Cédric BERNAT, Docteur en Droit – Société d'Avocats LEX CONTRACTUS – Notre site : www.lexcontractus.fr

31 août 2010

La FIDUCIE en droit français : de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, à l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, et au décret n° 2010-219 du 2 mars 2010

Principaux textes applicables :

Loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie

Ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie

Décret n° 2010-219 du 2 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel, dénommé « Registre national des fiducies »

 

 

C’est notamment à la suite des « Etats généraux de la transmission d’entreprise » réunis en février 1989 à Montpellier que la question de l’introduction de la fiducie en droit français a été posée. Les services du ministère de la justice ont alors mis à l’étude un projet de loi tendant à introduire en droit français une institution analogue aux trusts anglo-saxons, et qui serait dénommée « fiducie ».

Dès le départ, cependant, la perspective a été plus large que celle de la simple transmission d’entreprises ; les utilisations de la fiducie ont été envisagées aussi bien dans le domaine de la gestion économique et financière que des sûretés ou, au moins au départ, des libéralités.

Très vite, s’est imposée l’idée que l’institution d’une fiducie en droit français nécessitait un aménagement des dispositions fiscales. Mais il est également immédiatement apparu que le ministère des Finances n’était pas disposé à mettre en place un régime fiscal trop dérogatoire par rapport au droit commun. Dès lors que la fiducie a été présentée comme comportant par elle-même et en elle-même, des avantages décisifs pour ceux qui choisiraient d’en faire usage, sur le plan juridique, le ministère des Finances a considéré qu’elle ne devait procurer aucun avantage fiscal (voir par exemple, Rép. Fosset : Sén. 30-8-1990).

Les textes préparés par le service (aujourd’hui, direction) de la législation fiscale ont donc été, dès le départ, orientés dans une double direction :
– assurer la neutralité, de sorte que les opérations effectuées par l’intermédiaire d’une fiducie soient soumises à un traitement fiscal identique à celui qui leur serait appliqué si elles avaient été réalisées dans le cadre d’une autre structure juridique ;
– prévoir cependant les dispositions nécessaires pour que ce nouvel instrument juridique puisse véritablement fonctionner et qu’il ne soit pas paralysé par des règles fiscales dont la complexité atténuerait ou supprimerait l’intérêt de la réforme.
Un projet de loi en ce sens avait été déposé en 1992, puis modifié en 1994 ; mais il n’a jamais été discuté. La question est ensuite longtemps restée en suspens, malgré une résolution du Parlement européen prévoyant l’harmonisation des droits européens en matière de trusts (résolution du 15 novembre 2001), avant d’être relancée par le ministre de la justice qui a annoncé, le 15 décembre 2004, la mise en chantier d’un nouveau projet de loi sur la fiducie.
Le sénateur Marini a alors déposé, le 8 février 2005, une proposition de loi instituant la fiducie, qui s’est inspirée largement des principes directeurs du projet de 1992/1994. Cette proposition a finalement été adoptée par le Sénat, le 17 octobre 2006, après que le Gouvernement l’eut substantiellement amendée, puis par l’Assemblée nationale le 7 février 2007 (Loi 2007-211 du 19 février 2007 : JO 21 p. 3052).

I. Présentation

Le projet est parti de l’idée que le Code civil ne connaît pas d’institution analogue au trust des pays de droit anglo-américain qui permet à une personne de transférer la propriété de biens lui appartenant à un trustee, avec mission de les administrer non dans l’intérêt propre du trustee mais dans celui des bénéficiaires désignés à l’acte. Le Gouvernement avait néanmoins reconnu que l’internationalisation de la vie économique a conduit les praticiens de droit français à se familiariser avec cette pratique et en apprécier l’utilité dans la vie des affaires, notamment dans le domaine des sûretés.
C’est pourquoi un mécanisme spécifique a été introduit dans le Code civil, dont la portée est toutefois beaucoup plus restreinte que les projets initiaux et que le mécanisme du trust dont il s’inspire, notamment par l’impossibilité d’utiliser la fiducie à des fins de transmission à titre gratuit. Initialement, sa portée était également restreinte par la limitation des constituants aux seules personnes morales, aujourd’hui supprimée avec l’admission des personnes physiques (Loi 2008-776 du 4 août 2008 art. 18 : JO 5 p. 12471 ; Ord. 2009-112 du 30 janvier 2009 : JO 31 p. 1854).
En outre, ce texte répond au souci d’éviter les fraudes et les abus (y compris en matière de blanchiment et de corruption) par le recours à des mécanismes de transparence et de publication et la limitation du rôle de fiduciaire aux seuls professionnels des services financiers (sous réserve, aujourd’hui, des avocats).

La fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse.
La fiducie est définie comme l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.
Les biens transférés vont former un patrimoine séparé, distinct du patrimoine personnel du fiduciaire (c’est-à-dire du trustee en droit anglo-américain). Ainsi est reconnue en droit français la notion de « patrimoine d’affectation ».
On remarquera néanmoins que si le texte est inspiré des règles relatives au trust, la fiducie n’est pas, pour autant, un trust car elle n’emporte pas démembrement de la propriété ; en droit anglo-américain, la dissociation des prérogatives réalisée par le trust est inséparable de la distinction entre la « common law » et l’« equity » ; le droit du trustee est un droit légal et celui du bénéficiaire est un droit équitable, plus puissant cependant que le droit légal puisqu’en Angleterre, en cas de conflit entre la loi et l’équité, c’est l’équité qui l’emporte. La même distinction n’est pas opérée par la législation relative à la fiducie, étant donné que les bénéficiaires n’ont aucun « droit » dans la fiducie et que le fiduciaire est bien propriétaire (seul le constituant a un droit de créance sur le fiduciaire, s’il est en même temps bénéficiaire, comme ce devrait normalement être le cas).
En outre, la fiducie ne peut pas trouver à s’appliquer dans le domaine de la transmission du patrimoine à titre gratuit, dans la mesure où toute fiducie constituée dans un tel but est nulle ; la fiducie est réservée à des fins d’administration et de gestion, ainsi qu’à la constitution de garanties et sûretés, dans le souci d’offrir aux opérateurs français un dispositif qui leur évite de recourir aux mécanismes étrangers pour des opérations éventuellement purement françaises.

II. Identification des parties au contrat

Le contrat de fiducie est passé entre un ou plusieurs constituants et un ou plusieurs fiduciaires ; le ou les bénéficiaires ne sont pas parties au contrat.
Au départ, seuls pouvaient être constituants les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés. Les personnes physiques ne pouvaient jamais constituer une fiducie, alors qu’elles peuvent, naturellement, constituer des trusts dans les pays qui connaissent ce mécanisme. Cette situation a aujourd’hui changé, les personnes physiques ayant la possibilité de constituer une fiducie depuis le 1er février 2009.
Quant aux fiduciaires, il ne pouvait s’agir, au départ, que des seuls établissements de crédit, entreprises d’investissement et entreprises d’assurance. Depuis le 1er février 2009, les avocats peuvent également être désignés en qualité de fiduciaires (Loi 2008-776 du 4 août 2008 art. 18 ; Ord. 2009-112 du 30 janvier 2009 art. 8 et 9). A cet effet, les avocats doivent notamment effectuer une déclaration préalable au conseil de l’ordre, souscrire une assurance propre à cette activité, tenir une comptabilité séparée et ouvrir un compte spécialement affecté à chaque fiducie exercée (Décret 2009-1627 du 23 décembre 2009 : JO 26 p. 22310).
Le constituant et le fiduciaire doivent être résidents d’un Etat de la Communauté européenne ou d’un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale en vue d’éliminer les doubles impositions qui contient une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscales.
Les bénéficiaires peuvent être des personnes quelconques, physiques ou morales, résidentes ou non-résidentes de France ; le constituant ou le fiduciaire peut être le bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires du contrat de fiducie. En principe, le constituant doit être l’un des bénéficiaires, les biens transférés ayant vocation à revenir dans son patrimoine à l’expiration de la fiducie s’ils ne sont pas transmis à d’autres bénéficiaires.

S’agissant des constituants personnes physiques, la possibilité de souscrire une fiducie est refusée aux personnes qui font l’objet d’une mesure de tutelle (un tuteur ne pouvant transférer les biens du majeur protégé) et aux mineurs (C. civ. art. 509, 5º et 408-1). Mais les personnes sous curatelle peuvent conclure un contrat de fiducie avec l’assistance de leur curateur (C. civ. art. 468).
Enfin, dans le cas d’époux mariés sous le régime de la communauté, les biens communs ne peuvent être transmis dans un patrimoine fiduciaire qu’avec l’accord des deux conjoints (C. civ. art. 1424, al. 2).

III. Contenu du contrat

Le contrat doit être passé par écrit et contenir les mentions obligatoires suivantes :
– l’indication des biens et droits transférés ;
– l’identité du ou des constituants et celle du ou des fiduciaires ;
– la désignation des bénéficiaires ou les règles de leur désignation ;
– la mission du fiduciaire et l’étendue de ses pouvoirs ;
– la durée de la fiducie, limitée à 99 ans (avant le 6 août 2008, la durée maximale était de 33 ans) ;
– en cas de fiducie conclue à titre de garantie, la dette garantie et la valeur estimée du bien ou du droit transféré dans le patrimoine fiduciaire (C. civ. art. 2372-2 et 2488-2 nouveaux).
Le contrat de fiducie doit être conclu par acte notarié, à peine de nullité, lorsqu’il porte sur un bien de communauté ou un bien indivis (C. civ. art. 2012, al. 2).

Le contrat de fiducie prend fin :
– par le décès du constituant personne physique, sauf en cas de fiducie-sûreté (Loi 2009-526 du 12 mai 2009 art. 138, X : JO 13 p. 7920) ;
– par la survenance du terme ;
– par la réalisation du but poursuivi quand celle-ci a lieu avant le terme.
Lorsque la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie, le contrat de fiducie prend également fin de plein droit, sauf stipulations prévoyant les conditions dans lesquelles il se poursuit. Sous la même réserve, il prend fin lorsque le fiduciaire fait l’objet d’une liquidation judiciaire ou d’une dissolution ou disparaît par suite d’une cession ou d’une absorption et, s’il est avocat, en cas d’interdiction temporaire, de radiation ou d’omission du tableau.
Lorsque le contrat de fiducie prend fin en l’absence de bénéficiaire, les droits, biens ou sûretés présents dans le patrimoine fiduciaire font, de plein droit, retour au constituant. Lorsqu’il prend fin par le décès du constituant, le patrimoine fiduciaire fait de plein droit retour à la succession.

La fiducie constituée à titre de garantie par une personne physique pouvant être stipulée rechargeable, le formalisme régissant le contrat initial s’appliquera également aux conventions de rechargement (C. civ. art. 2372-5 et 2488-5 nouveaux).

IV. Formalités

Le contrat de fiducie et ses avenants sont soumis à enregistrement dans un délai d’un mois à compter de leur date au service des impôts du siège du fiduciaire ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France. A défaut, le contrat est nul.
Lorsqu’ils portent sur des immeubles ou des droits réels immobiliers, ils sont, sous la même sanction, soumis à publicité foncière au bureau des hypothèques compétent.
Par ailleurs, le Registre national des fiducies, dont la création était prévue par la loi, vient d’être institué (Décret 2010-219 du 2 mars 2010). Ce registre a pour finalité de centraliser les informations relatives aux contrats de fiducie nécessaires pour faciliter les contrôles permettant la lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. L’inscription d’un contrat de fiducie au registre est donc sans effet sur l’opposabilité du contrat aux tiers.

V. Protection juridique

Les biens ou droits transférés par le constituant au fiduciaire doivent former un patrimoine séparé, distinct du patrimoine personnel du fiduciaire ; l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n’affecte pas le patrimoine fiduciaire. Le patrimoine fiduciaire ne peut en principe être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. Cependant, en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire. Le contrat de fiducie peut toutefois limiter l’obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire, une telle clause n’étant opposable qu’aux créanciers qui l’ont expressément acceptée.
Dans le cadre d’une fiducie constituée à titre de garantie, si le constituant (ou le débiteur) n’exécute pas son obligation, le bénéficiaire de la fiducie (qui peut être le fiduciaire lui-même) ne pourra pas conserver un bien dont la valeur est supérieure à la créance garantie sans indemniser le constituant en lui versant une somme égale à la différence (C. civ. art. 2372-4 et 2488-4). La valeur des biens transférés pouvant avoir évolué pendant la durée de la fiducie, elle sera déterminée par expertise, amiable ou judiciaire. Si le contrat de fiducie prévoit la vente du bien par le fiduciaire, le calcul de la somme due au constituant se fera sur la base du prix de vente.
Ces dispositions encadrant les conditions de constitution d’une fiducie-sûreté, initialement réservées aux personnes physiques, viennent d’être étendues aux personnes morales (Loi 2009-526 du 12 mai 2009 art. 138, X). En revanche, la règle selon laquelle la garantie dans le cadre du rechargement de la fiducie ne peut être consentie pour un montant supérieur à la valeur du bien au jour de cette recharge reste applicable uniquement aux fiducies constituées par une personne physique.

VI. Dispositions comptables

Il est prévu que les éléments d’actif et de passif transférés forment un patrimoine d’affectation et que les opérations affectant ce patrimoine fassent l’objet d’une comptabilité autonome chez le fiduciaire. Des comptes annuels doivent être établis.
Le Conseil national de la comptabilité (CNC) vient de rendre un avis relatif au traitement comptable des opérations de fiducie (Avis 2008-03 du 7-2-2008, dont le contenu peut être consulté en ligne sur le site internet du ministère des finances : http://www.finances.gouv.fr). Le traitement comptable de l’opération de fiducie y est envisagé dans les comptes individuels, selon les différentes étapes (constitution, fonctionnement et fin du contrat), en considérant les opérations chez le constituant et chez le fiduciaire. Les incidences en matière de comptes consolidés y sont également traitées.

VII. Dispositions fiscales

Lorsque le constituant est une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés, les principes applicables reposent sur la volonté de mettre en place un dispositif de neutralité fiscale, en considérant que le constituant dispose sur le fiduciaire d’une créance égale à la valeur comptable des éléments transférés et en l’imposant ensuite sur les résultats de l’exploitation du patrimoine fiduciaire selon un régime analogue à celui des sociétés de personnes.
La constitution du patrimoine fiduciaire se fait ainsi dans des conditions de neutralité fiscale, à condition que le constituant soit désigné comme le ou l’un des bénéficiaires dans le contrat de fiducie ; à cet effet, il est prévu que les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du transfert dans un patrimoine fiduciaire de biens et droits inscrits à l’actif du bilan du constituant de la fiducie ne sont pas compris dans le résultat imposable de l’exercice de transfert, sous réserve que certaines conditions soient respectées, à savoir, notamment, que le fiduciaire se substitue au constituant et que les éléments, autres que les immobilisations, transférés dans le patrimoine fiduciaire soient inscrits dans les écritures du patrimoine fiduciaire pour la valeur qu’ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures du constituant.
L’imposition des résultats du patrimoine fiduciaire est faite au nom du ou des constituants, considérés comme titulaires d’une créance au titre de la fiducie (au prorata de la valeur réelle des biens transférés en cas de pluralité de titulaires). Corrélativement, toute variation ou dépréciation du montant de la créance ou des créances au titre de la fiducie est sans incidence sur le résultat imposable du titulaire de cette créance.
La fiducie doit faire l’objet d’une déclaration d’existence par le fiduciaire, qui est tenu aux obligations déclaratives qui incombent normalement aux sociétés soumises au régime fiscal des sociétés de personnes.
En matière de TVA et de fiscalité locale, le principe général est celui de l’imposition du fiduciaire.
En ce qui concerne le droit de contrôle de l’administration, le principe est de même que les fiducies, en la personne de leur fiduciaire, sont soumises à vérification de comptabilité et que la procédure de vérification des déclarations déposées par le fiduciaire pour le compte des fiducies est suivie entre l’administration des impôts et le fiduciaire.

S’agissant du constituant personne physique, la constitution d’une fiducie dans le cadre d’une activité de nature professionnelle ainsi que les modalités d’imposition du résultat fiduciaire sont soumises, sous réserve de quelques adaptations, au régime fiscal applicable au constituant personne morale soumis à l’impôt sur les sociétés.
Lorsque le constituant est un particulier agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, la mise en fiducie n’est pas retenue pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, les plus-values étant neutralisées, à condition notamment que le constituant soit le ou l’un des bénéficiaires désignés et que le fiduciaire inscrive, dans les écriture du patrimoine fiduciaire, les biens ou droits transférés pour leur prix ou valeur d’acquisition par le constituant (Ord. 2009-112 du 30 janvier 2009 art. 10). Le résultat du patrimoine fiduciaire est quant à lui imposé à l’impôt sur le revenu directement au nom du constituant en fonction de la nature de l’activité de la fiducie.
Pour l’application des droits de mutation par décès, les biens ou droits mis en fiducie, qui font de plein droit retour à la succession du constituant, sont compris dans le patrimoine de ce dernier pour leur valeur vénale nette à la date du décès.
Enfin, les biens et droits mis en fiducie ainsi que leurs fruits sont imposables, le cas échéant, à l’ISF chez le constituant, étant considérés comme n’ayant jamais quitté son patrimoine.

Concernant l’application aux fiducies de la taxe patrimoniale de 3 %, l’administration précise, dans une instruction du 7 août 2008, que le constituant est fiscalement titulaire de droits sur les actifs mis en fiducie et qu’il est donc redevable de la taxe de 3 % à raison des droits qu’il détient sur les actifs immobiliers mis en fiducie (Inst. 7 Q-1-08 n° 13 à 16). C’est le constituant qui a la charge de satisfaire les obligations prévues par les articles 990 D et suivants du CGI, notamment dans l’hypothèse où il voudrait se prévaloir d’une possibilité d’exonération (l’administration n’envisage pas le cas des constituants personnes physiques, dans la mesure où ce n’était pas autorisé à la date de la publication de l’instruction). L’administration ajoute que, à titre pratique, les obligations déclaratives visées aux d) et e) du 3° de l’article 990 E du CGI peuvent être remplies par le fiduciaire habilité par le constituant et qu’elle se réserve la faculté de demander au constituant la production du contrat de fiducie.

VIII. Appréciation d’ensemble

On voit que la fiducie, telle qu’elle est actuellement organisée, est assez différente des trusts de droit anglais ou américain. En réalité, ce texte manifeste bien la difficulté de faire entrer le concept de « trust » dans nos mentalités et nos catégories juridiques. Pour l’établissement de l’impôt français, il faudra toujours qu’il y ait un propriétaire. Il est enfin à noter que le texte actuel ne prévoit rien à propos des trusts étrangers et que, par suite, il laisse en l’état les incertitudes qui peuvent être relevées à propos de la situation des constituants ou bénéficiaires, résidents de France, dans leurs relations avec des trusts étrangers. 
 
Extrait d’un article co-écrit par :
– Professeur Donovan W. M. WATERS, Queen’s Counsel, Doctor of Civil Law, Fellow of the Royal Society of Canada, Cabinet Douglas Symes and Brisseden ;
– Maître Guy FORTIN, Avocat associé, Cabinet Ogilvy Renault, Montréal, Province de Québec, Canada, Ancien Président de l’Association Canadienne d’Etudes Fiscales, Membre de l’IBA et de l’IFA, de l’International Academy of Estate and Trust Law ;
– Maître Georges KHAIRALLAH, Avocat à la cour d’appel de Paris, Agrégé des Facultés de Droit – Professeur à l’Université de Paris-Sud ;
– Maître Pierre-Jean DOUVIER, Avocat associé, Bureau Francis Lefebvre, Membre de l’IBA, de l’IFA et de l’IACF, Vice-Président du Comité 5 de l’IBA (Trusts, Wills and Wealth Transfer Techniques).

6 août 2010

Nouvelles précisions sur la portée de l’article L. 132-8 du Code de commerce : à propos de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 JUILLET 2010

ACTUALITÉ – DROIT DES TRANSPORTS

 

COUR DE CASSATION – Chambre commerciale – Arrêt n° 829 du 13 juillet 2010 – Pourvoi n° 10-12.154

Cassation

Demandeur(s) : Société Système U centrale régionale Sud
Défendeur(s) : Société Transbidasoa

Sur le moyen unique :

Vu l’article 3 du code civil, ensemble l’article L. 132-8 du code de commerce et l’article 7, paragraphe 2, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;

Attendu que l’article L. 132-8 du code de commerce conférant au transporteur routier une action en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire institués garants du paiement du prix du transport n’est pas une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Transbidasoa a effectué des transports de jus de fruits d’Espagne vers la France dont elle n’a pas été payée par l’expéditeur, la société Dream fruit ; qu’elle a assigné en règlement du prix de ces prestations la société Système U centrale régionale Sud (la société Système U), destinataire de ces transports, sur le fondement de l’article L. 132-8 du code de commerce ;

Attendu que pour condamner la société Système U à payer à la société Transbidasoa la somme de 8 200 euros, l’arrêt retient que l’article L. 132-8 du code de commerce, texte d’ordre public, a vocation à assurer la protection des intérêts économiques des transporteurs auxquels est accordée une garantie de paiement du prix de leurs prestations, dans des conditions concourant ainsi à la sécurité des opérations de transport et que ce texte doit donc être regardé comme une loi de police au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la Convention de Rome, lorsque le lieu de livraison des marchandises transportées se situe en France ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 décembre 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier, autrement composée.

Président : Mme Favre
Rapporteur : M. Potocki, conseiller
Avocat général : M. Carre-Pierrat
Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard et Trichet ; SCP Baraduc et Duhamel

 

Observations rapides

 

I. L’article L. 132-8 du Code de commerce n’est pas une loi de police

Un transporteur routier avait transporté des marchandises d’Espagne vers la France mais n’avait pas été payé par l’expéditeur. Il avait alors agi en paiement contre le destinataire, en application de l’article L 132-8 du Code de commerce qui institue celui-ci garant du paiement du prix du transport.

La Cour d’appel de Montpellier avait fait droit à la demande, en estimant :

–         Que l’article L. 132-8, destiné à assurer la protection des intérêts économiques des transporteurs dans des conditions concourant à la sécurité des opérations de transport, est une loi de police au sens de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (article 7, § 2),

–         Et que ce texte s’applique lorsque le lieu de livraison des marchandises se situe en France.

La Cour de cassation censure cette décision, au motif que :

L’article L. 132-8 n’est pas une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable, et de constituer une loi de police.

Une cour d’appel avait déjà jugé que l’article L. 132-8 du Code de commerce est une disposition d’ordre public interne de protection mais n’a pas un caractère « internationalement impératif » (Rennes, 5 SEPTEMBRE 2006, RTDcom. 2007 p. 265, obs. Philippe DELEBECQUE).

La Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles a été remplacée par le Règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 (« Rome I »).

La solution retenue par la Cour de cassation reste d’actualité, puisque les lois de police sont désormais définies à l’article 9, § 1 de ce règlement, dans les termes utilisés ici par cette Cour et qui avaient déjà été retenus par la COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, dans un arrêt du 23 NOVEMBRE 1999 (affaire n° 369/96 point 30 ; Revue critique de Droit international privé 2000, p. 710, note FALLON).

 

II. Les prestations de transport international routier sont en principe régies par la Convention de Genève du 19 mai 1956 (CMR), d’ordre public

Toutefois, la CMR est muette sur l’action directe du transporteur à l’encontre du destinataire.

Il faut alors se référer au Règlement CE n° 593/2008 précité :

Article 5 du Règlement CE n° 593/2008 : 

« À défaut de choix exercé conformément à l’article 3, la loi applicable au contrat de transport de marchandises est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la résidence habituelle de l’expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties s’applique. »

Ainsi, la COUR DE CASSATION a-t-elle considéré, dans un arrêt du 24 MARS 2004 (Sté Transports Collomb Muret auto c/ Sté Panini France) :

– Que la Convention internationale de transport routier de marchandises par route, dite CMR, étant muette sur l’action directe du transporteur à l’encontre du destinataire, il convient, par application de l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (sur la loi applicable aux obligations contractuelles), de la soumettre à la loi avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits.

Selon l’article 4, § 4 de cette Convention, le contrat de transport est présumé avoir les liens les plus étroits avec le pays dans lequel le transporteur a son établissement principal et où est situé le lieu de chargement ou de déchargement.

Par suite, dans un cas où, ayant, à la demande du commissionnaire de transport expéditeur, acheminé des marchandises depuis l’Italie jusqu’en France, selon lettre de voiture internationale, un transporteur avait, faute d’avoir été payé par l’expéditeur, assigné le destinataire en paiement d’une provision, c’est à bon droit qu’ayant relevé que le transporteur avait son siège en France et que la livraison avait eu lieu en France, le juge des référés a fait application de l’article L 132-8 du Code de commerce.

– Et que, dans le cadre d’un transport soumis à la CMR, la prescription de l’action directe en paiement des prestations du transporteur à l’encontre du destinataire est soumise aux dispositions de l’article 32 de cette Convention. Par suite, doit être cassée l’ordonnance du juge des référés qui, pour déclarer prescrite cette action, a fait application de l’article 133-6 du Code de commerce.

En effet, bien que, dans l’un ou l’autre cas (CMR ou loi française), le délai de la prescription soit d’un an, son point de départ diffère. En droit français, le délai de l’action portant sur les frais de transport court à compter du jour de la remise de la marchandise au destinataire tandis que la CMR prévoit que la prescription a pour point de départ l’expiration d’un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, ce qui a pour effet, en pratique, de porter le délai à quinze mois.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que l’application de la CMR est d’ordre public. Les juges ne peuvent pas, lorsque ses conditions sont réunies, écarter le jeu de cette Convention (Cass. com. 25 MAI 1993 n° 947, RJDA 12/93, n° 1027 ; Cass. com. 11 JANVIER 1994, DMF 1994 p. 453, note Yves TASSEL ; Cass. com. 3 NOVEMBRE 1992 n° 1633, RJDA 2/93, n° 111).

L’application impérative de la CMR ne peut toutefois concerner que les dispositions qu’elle énonce. Lui échappent au contraire, les situations à propos desquelles elle est muette. L’arrêt du 24 MARS 2004 illustre cette distinction.

Pour en savoir plus :

V. Cédric BERNAT, Les actions en paiement prévues à l’article L. 132-8, à l’intérieur du contrat de transport, in Thèse de Doctorat (Le principe de l’effet relatif dans les contrats commerciaux internationaux), éd. 2004, op. cit. n° 527, s. pp. 352, s.

 

 

25 mars 2010

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : les contrats proches du CONNAISSEMENT MARITIME

    

Avertissements : 

Les développements qui suivent sont issus de notre Thèse de Doctorat.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

             

1250. Division Parmi les contrats de transports de marchandises par mer, outre le connaissement, la lettre de transport maritime ou sea waybill suscite un intérêt certain de la part des opérateurs, en raison de ses spécificités qui la distinguent du connaissement et qui peuvent correspondre à certaines attentes des opérateurs[1].

En pratique, « le tonnage total de marchandises acheminées en conteneurs maritimes[2], et donc potentiellement multimodalisées, se situe aujourd’hui autour de 500 millions de tonnes, soit 10 % seulement du volume de toutes les marchandises échangées par voie maritime, mais 45 % de la valeur du commerce mondial, soit plus de 3.000 milliards $ (2.560 milliards d’Euros) » ; le « total mondial des conteneurs manutentionnés s’élève au-dessus de 150 millions d’unités », et « l’essor du conteneur se poursuit depuis sa création il y a trente ans à un rythme plus rapide que la croissance des échanges mondiaux »[3]. Aussi, importe-t-il de s’interroger sur le régime applicable à ce mode de transport (A) ; mais l’étude de la notion de transport multimodal ne serait pas complète si on ne la distinguait pas de deux expressions proches : connaissement de transport multimodal (B) et connaissement direct (C).

A.   Le contrat de transport multimodal : première approche

 

1251. Division A part une Convention des Nations Unies de 1980, qui n’entrera jamais en vigueur, le droit positif international est, à ce jour, dépourvu de tout texte portant droit uniforme en matière de transport multimodal de marchandises. Pour pallier au moins en partie cette lacune, la CCI et la CNUCED ont élaboré un régime possible de l’entrepreneur de transport multimodal (ETM), offert aux opérateurs (1). On notera que la BIMCO[4] a également offert aux opérateurs un contrat-type intitulé COMBIDOC (révisé en 1977)[5]. Cependant, le vide juridique d’un droit uniforme subsiste et peut susciter certaines propositions (2). Enfin, concrètement, en pratique, quel est, à ce jour, le régime applicable aux ETM (3) ?

1. Genèse des Règles applicables aux documents de transport multimodal (Règles CNUCED-CCI de 1991)

 1252. Notion de transport combiné ou multimodal — Dans les années 1960, avec le développement de la conteneurisation, sont apparus de nouveaux termes contractuels, en dehors du découpage classique d’un transport de bout en bout, où chaque fraction du voyage (ferroviaire, maritime, fluviale, routière, aérienne) relevait d’un régime juridique propre. Depuis, une profession particulière, celle des entrepreneurs de transport multimodal (ETM), a pris en charge la réalisation de transports internationaux de bout en bout, sans rupture de charge, sous un titre de transport unique, et un régime juridique qu’il restait à unifier[6].

Mais encore fallait-il conceptualiser ce type de transports. Des termes ont été proposés : transport intermodal, mixte, combiné, multimodal. Martine RÈMOND-GOUILLOUD a justement fait observer que le terme « intermodal » présentait « une connotation plus économique »[7]. Quant au terme mixte, il est, selon nous, trop général, trop générique, dans la mesure où il n’évoque pas forcément directement le transport mettant en œuvre plusieurs modes de transport successifs sous un régime unique. Au contraire l’expression transport mixte nous paraît renvoyer à l’activité d’un navire transportant à la fois des passagers et des marchandises. Quant aux deux dernières propositions, le terme multimodal a manifestement recueilli les suffrages de la quasi totalité des juristes, et celui de combiné, ceux des opérateurs, peut-être simplement parce que ce dernier compte une syllabe de moins, et qu’il faut en matière commerciale, aller toujours très vite. Nous userons en conséquence indifféremment de l’un ou de l’autre de ces termes. 

 

1253. Premières réglementations de la matière — En 1975, la CCI a publié le fruit de ses travaux portant Règles uniformes pour un document de transport combiné[8]. Ces règles ont connu un franc succès auprès des ETM qui ont élaboré, à partir du modèle original, des polices-types de contrats de transports multimodaux[9].

Le 24 mai 1980, à Genève, la CNUCED a adopté une Convention sur le transport multimodal international[10], qui prévoit essentiellement la responsabilité de plein droit de l’ETM depuis la prise en charge des marchandises jusqu’à leur livraison. Indirectement, ses préposés, mandataires et sous-traitants sont également responsables. Il s’agit d’une responsabilité pour faute ou négligence présumées, limitée dans son quantum avec des dispositions particulières suivant que lui soient imputés des pertes ou avaries d’une part, ou retards d’autre part[11]. Le texte n’est cependant pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications ou d’adhésions[12].

Pour faire face à ce retard à l’allumage, et à la fois moderniser les précédentes Règles de 1975, la CNUCED et la CCI se sont associées pour élaborer un nouveau corps de règles immédiatement applicables, reprenant pour l’essentiel, le contenu de la Convention CNUCED de 1980. Elles y parvinrent et adoptèrent le 11 juin 1991, les Règles applicables aux documents de transport multimodal (RDTM), qui furent publiées l’année suivante[13]. 

 

1254. Objectifs des RDTM — La CNUCED et la CCI s’étaient assigné deux objectifs.

Le premier était de parvenir à concilier des intérêts contradictoires, à deux égards. D’une part, d’un point de vue institutionnel, ces règles ont été élaborées conjointement par la CNUCED et la CCI, la première étant plus proche des intérêts des Etats, la seconde, plus sensible aux prétentions des opérateurs commerciaux privés. Cette mixité originelle  est le gage d’un premier équilibre. Et d’autre part, les chirurgiens du texte avaient à concilier les intérêts des ETM avec ceux des chargeurs, en tenant compte des besoins de la pratique, bien que, à la suite d’Eric CAPRIOLI, l’on puisse regretter que si « ces règles devraient (…) avoir la faveur des pays chargeurs, les pays armateurs et les compagnies maritimes paraissent plus partagés »[14].

Le second objectif était de procéder à l’uniformisation des règles, à deux degrés : d’une part, en tentant d’unifier véritablement le régime juridique applicable aux documents de transports multimodaux, et d’autre part, en raison de la manifeste interaction des différents aspects d’une opération économique internationale (vente, transport, assurance, financement), en s’attachant à contribuer à l’uniformisation du droit commercial international dans son entier, transversalement, en veillant à la compatibilité des différents corps de règles, dès lors qu’ils sont appelés à cohabiter, par la force des choses, c’est-à-dire la réalité du marché[15]. 

 

1255. Force obligatoire des RDTM — Les RDTM sont un matériau contractuel offert aux opérateurs pratiquant non seulement le transport multimodal proprement dit, mais encore à ceux ne pratiquant que le transport maritime, et même à ceux ne pratiquant que du transport unimodal (par opposition au multimodal)[16]. L’art. 2 définit ainsi le contrat de transport multimodal (pas forcément international, mais le plus souvent) : « le contrat de transport multimodal désigne un contrat unique pour le transport de marchandises par au moins deux modes de transport différents ». Elles n’acquièrent force obligatoire, inter partes, que si les parties ont choisi d’en faire leur loi contractuelle ; auquel cas, toute clause contraire aux dispositions des RDTM est nulle, à l’exception de celle qui aggraverait la responsabilité de l’ETM[17].

Dans ses rapports avec les droits nationaux et le droit international, en cas de conflit de règles, les RTDM s’inclinent devant les dispositions d’ordre public (art. 13).

Comme pour les RUUCD, il sera très bientôt possible de mesurer le degré d’application de ces règles par les opérateurs, et d’analyser les premiers fruits jurisprudentiels arbitraux et peut-être étatiques.

         

2. L’absence de Convention internationale (efficace)

1256. Constatation d’un vide législatif — Si l’on excepte la Convention de Genève du 24 mai 1980, qui n’est pas entrée en vigueur et n’y entrera probablement jamais, le transport multimodal, à ce jour, à la différence des modes de transports spécifiques (maritime, aérien, ferroviaire, routier), n’est l’objet d’aucune disposition impérative sous le sceau d’un véritable texte international[18] ; car, rappelons-le, les Règles CNUCED-CCI de 1991 ne sont qu’un matériau contractuel offert au consentement libre des parties. Quant aux dispositions éparses, presque « accidentelles », dénichées ici et là, dépareillées (comme celle évoquée par la Professeur BONASSIES dans l’art. 2 de la Convention de Genève de 1956 sur le transport routier ou CMR[19] ou dans l’art. 31 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 sur le transport aérien[20]), elles ne permettent pas, selon nous, de dégager avec suffisamment de certitude, un régime uniforme du transport multimodal, qui soit un régime de compromis, réconciliant les thèses en présence.

1257. Quel remède contractuel ? — Face à ce vide, outre la juxtaposition de contrats distincts[21], deux possibilités s’offrent aux juristes en quête d’un droit applicable à l’opération complexe de transport multimodal :

1°) soit un découpage de l’opération, par tranches de modes de transport (la Convention sur les transports maritimes sera applicable à la phase maritime, la Convention sur les transports aériens sera applicable à la phase aérienne, etc…)[22] ;

2°) soit la soumission de l’ensemble de l’opération à un régime unique[23], mais lequel ?

La première branche de l’option, dont le connaissement direct est une illustration[24], n’est guère satisfaisante. En effet, s’il n’est pas possible, à l’issue des expertises, de déterminer le moment auquel le dommage aux marchandises est survenu, la responsabilité de quel transporteur particulier faudra-t-il rechercher ? Nous pensons que la question ne se pose pas ainsi. D’une part, l’organisateur du transport multimodal agit, en quelque sorte, comme un commissionnaire de transport ; et l’on sait les incidences de régime qu’une telle qualification (ou requalification) implique. D’autre part, va se poser la question de savoir si les transporteurs (réels) successifs ont, ou non, pris des réserves, au moment où ils ont pris personnellement en charge les marchandises ; et l’on sait qu’en l’absence de réserves, le transporteur est présumé avoir reçu des marchandises conformes aux mentions les désignant figurant sur le document de transport. Donc, en droit, on parviendra toujours à déterminer un opérateur « responsable », même si cette responsabilité juridique ne correspond pas à la réalité des circonstances de réalisation de la perte ou des dommages, dans l’hypothèse où ces circonstances sont demeurées inconnues ou n’ont pu être prouvées. Dans ce cas, la fiction juridique viendra pallier la méconnaissance des circonstances de réalisation des dommages, et permettra (sauf liquidation judiciaire du déclaré « responsable ») d’indemniser les ayants-droits aux marchandises, ou tout autre personne ayant souffert du dommage (comme un assureur subrogé ou un vendeur qui aura expédié un second lot de marchandises pour remplacer le premier qui a été avarié ou perdu).

Mais, si le juge ou l’arbitre parvient toujours à une solution, cette première branche de l’option (le découpage du régime), présente un avantage majeur : l’imprévisibilité du régime d’indemnisation (notamment, quelle sera la limitation de responsabilité applicable ?), pour la ou les victimes potentielles. Il est donc souhaitable d’envisager la seconde branche.

Il faudrait donc dégager un régime juridique unique régissant tout le transport, quel qu’en soit le mode, en cas de transport multimodal ; oui, mais lequel ? Sur cette question, comme l’on se trouve face à un vide presque total, l’enthousiasme des juristes face à un terrain presque vierge aidant[25], on peut trouver des dizaines d’opinions, chacune avec des nuances plus ou moins justifiées, et parfois, plus ou moins contraires. Faut-il s’inspirer, comme le suggère le Professeur BONASSIES, de la seconde partie de la Convention de Genève de 1980 ? Faut-il croiser ces considérations avec les Règles CNUCED-CCI de 1991 ? Faut-il aussi éclairer cette réflexion du régime du commissionnaire de transport français, distinct du « commissionnaire-expéditeur » belge (comme on a tenté de le faire lors du colloque précité des Associations française et belge de droit maritime de janvier 1999) ? La question est d’une riche complexité.

1258. De lege ferenda… — Mais, au-delà de cette question sur un hypothétique régime unique du transport multimodal, ne pourrait-on pas former le vœu que, après qu’eut été dégagé un droit commun applicable à tous les modes de transport de marchandises, ce même droit commun apporterait une réponse au régime de base du transport multimodal de marchandises, et que, comme pour les modes spécifiques de transport, d’autres règles, complémentaires, mais spécifiques, pourraient être ciselées en vue de parfaire le dispositif ? En d’autres termes, le droit commun des transports de marchandises ainsi dégagé servirait de terreau à tous les régimes spéciaux, de la même manière qu’en droit des régimes matrimoniaux, les époux sont d’abord soumis à un régime de base obligatoire, lequel est complété par un régime spécial, choisi par eux.

3. Quel régime pour le contrat de transport multimodal ?

1259. Le régime dépend de la lex contractus — A titre liminaire, on rappellera qu’à l’instar de tout autre contrat commercial international, les contrats de transport multimodal (qui peuvent prendre la forme d’un connaissement multimodal en cas d’émission, par exemple, par une compagnie maritime) sont soumis à la loi d’autonomie, ou à défaut, par la loi désignée par la règle de conflit applicable, et, naturellement, le régime de ce type particulier de contrat peut varier suivant la norme finalement applicable.

1260. Le droit positif français sous l’attraction du régime du commissionnaire de transport — Madame LACASSE, entreprenant de définir les contours du régime de droit commun de l’ETM, après avoir pris le soin de distinguer notamment le contrat de commission de transport, du contrat de transport[26], souligne l’évidente attraction exercée par le régime du commissionnaire de transport sur celui de l’entrepreneur de transport multimodal[27].

Toutefois, le Professeur BONASSIES différencie le commissionnaire de transport de celui qu’il qualifie non pas d’ETM mais d’OTM (organisateur de transport multimodal), au motif que l’OTM, à la différence du commissionnaire de transport, « n’est pas garant des pertes et avaries subies par les marchandises » ; « de plus, tout en ayant à charge l’organisation du transport, l’OTM peut alléger fortement sa responsabilité, ce qui en fait un système très souple »[28]. Si l’attraction exercée par le régime des commissionnaires de transport est donc incontestable, elle est toutefois relative.

1261. Un terrain largement abandonné à la liberté contractuelle — Ainsi que l’observait justement Monsieur BOKALLI en 1989, et ses travaux sont, de ce point de vue, toujours d’actualité, à défaut de toute « réglementation uniforme et impérative du transport multimodal international des marchandises », il appartient aux opérateurs de choisir leurs propres « aménagements contractuels » pour adopter un système de responsabilité de l’ETM[29].

Notamment, les parties contractantes pourront opter pour l’extension d’un régime de responsabilité existant[30] (par exemple, celle du transporteur maritime), ou la création d’un régime autonome de responsabilité (responsabilité sui generis) prévoyant soit une responsabilité « allégée » soit une responsabilité « aggravée » de l’ETM[31].

B.   Distinction du contrat de transport multimodal et du connaissement de transport multimodal

 

1262. Le genre et le mode — Simplement, le connaissement de transport multimodal n’est qu’un mode de contrat de transport multimodal. Le contrat de transport multimodal peut être émis par de nombreux opérateurs (commissionnaires de transport, NVOCC, transitaires, transporteurs routier, ferroviaire, aérien, maritime…). En revanche, le connaissement de transport multimodal n’est émis que par un transporteur maritime (ou, du moins, par la compagnie exploitant commercialement le navire).

1263. Précision sur le droit de livraison réservé au détenteur d’un exemplaire du connaissement multimodal ou à l’opérateur qui fournit une lettre de garantie — En principe, lorsque est émis un connaissement de transport multimodal, comme pour les connaissements maritimes classiques, seul le détenteur du titre peut légitimement solliciter la livraison des marchandises, des mains du transporteur.

Dans l’affaire Diana[32], un commissionnaire intermédiaire apparaissait comme chargeur dans un connaissement multimodal maritime, et ce commissionnaire était resté en possession des deux exemplaires du connaissement, puisqu’il craignait pour le recouvrement du fret (dont il avait fait l’avance) auprès du commissionnaire principal (lequel s’est effectivement retrouvé en liquidation). Dans le même temps, ledit commissionnaire principal, pour se conformer au crédit documentaire ouvert par une banque iraquienne, a émis des connaissements FIATA[33] visant les mêmes marchandises, conteneurisées, à raison d’un connaissement par conteneur, et le destinataire réel (acheteur CAF[34]) a pris possession des marchandises, muni des connaissements FIATA, « contournant » en quelque sorte la sûreté que croyait avoir pris le commissionnaire intermédiaire. Ce dernier a alors reproché au transporteur maritime d’avoir remis les marchandises à une personne sans titre (en fait, en raison du caractère multimodal du transport, les marchandises avaient été débarquées dans un port Syrien et avaient terminé leur voyage par route, jusqu’en Irak[35]).

Par quel contrat le transporteur maritime était-il lié ? Le transporteur n’était censé connaître, en l’espèce (jusqu’à la livraison), que le contrat de transport par lui émis : le connaissement multimodal[36]. Son cocontractant, partie à la formation du connaissement était le chargeur, c’est-à-dire ici, le commissionnaire intermédiaire ; et, comme ce dernier avait conservé les deux exemplaires (négociables) du connaissement, le transporteur n’aurait dû, en principe, ne remettre les marchandises qu’à un opérateur qui se serait présenté, muni de l’un de ces deux exemplaires.

En l’espèce, en remettant les marchandises au porteur de connaissements FIATA émis par un commissionnaire (principal), le transporteur n’a pas respecté la logique interne du connaissement multimodal, et s’est laissé abuser par les titres intitulés connaissements FIATA. Les juges ont ainsi estimé qu’en remettant les marchandises aux autorités iraquiennes sans exiger en contrepartie une lettre de garantie, le transporteur avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l’égard du commissionnaire intermédiaire. Quant au montant du préjudice subi par le commissionnaire intermédiaire, il était égal au montant du fret dont il n’avait pu obtenir le remboursement, en raison de la négligence du transporteur.

Le problème de fond, dans cette affaire, nous paraît résulter d’une mauvaise harmonisation des contrats les uns avec les autres[37] :

–  Pourquoi le crédit documentaire exigeait-il des connaissements FIATA ? Il aurait suffi que ne soit exigé qu’un « document de transport multimodal » au sens de l’art. 26 des RUU 500 (relatives aux crédits documentaires), pour que le commissionnaire principal n’émette pas de « document de transport (« émis par un transitaire ») » (le connaissement FIATA) au sens de l’art. 30 des RUU 500. Ainsi, les deux sortes de connaissements ne se seraient pas « télescopées ».

–  Ou alors, pour éviter tout risque de contradiction, il appartenait au commissionnaire principal, soit de conserver l’exercice direct de sa mission et de ne pas recourir aux services d’un commissionnaire intermédiaire, soit de donner des consignes précises à ce dernier (qui n’aurait plus été que mandataire) afin de préserver la logique contractuelle de l’ensemble de l’opération.

En d’autres termes, s’il est exact que le transporteur maritime n’avait pas à remettre les marchandises à un opérateur qui n’était pas porteur d’un exemplaire du connaissement par lui émis, il nous semble qu’en amont de cette négligence, le commissionnaire principal a lui aussi commis une faute en ne s’assurant pas de la bonne articulation des contrats en cause.

1°) Le commissionnaire principal n’ignorait pas l’existence du crédit documentaire, et c’est d’ailleurs, en connaissance de cause qu’il a émis les connaissements FIATA ;

2°) Le commissionnaire principal est censé être responsable du fait de tous ses substitués. A ce titre, il a l’obligation, s’il se substitue un sous-commissionnaire ou commissionnaire intermédiaire, de suivre de près la réalisation de la mission. De ce chef, nous voyons là une faute du commissionnaire principal qui a laissé souscrire une connaissement d’une autre nature, par son substitué, ruinant l’unité juridique de l’opération de transport[38]. Et, en effet, un conflit entre les deux types de connaissements n’a pas manqué de naître… Pour nous, c’est la négligence première (chronologiquement) du commissionnaire principal, qui a provoqué l’erreur du transporteur maritime, sans doute troublé par l’appellation « connaissement » (certes FIATA, mais connaissement quand même). Les avocats du commissionnaire intermédiaire, pas plus que ceux du transporteur,  ne paraissent avoir exploité cette piste, peut-être à tort.

C.   Distinction du connaissement multimodal et du connaissement direct

 

1264. Une frontière nette entre les deux notions — Le connaissement direct ou « through bill of lading » est un contrat unique au sens instrumental, couvrant l’ensembles des modes de transports qui vont se succéder pour l’acheminement des marchandises. En revanche, il cloisonne et divise le régime de responsabilité, suivant le mode de transport considéré ; et « quand les circonstances de la perte ou de l’avarie ne peuvent être déterminées, il y a un régime sui generis »[39]. Le connaissement direct est donc un connaissement « combiné » (au sens où l’emploient MM. DELEBECQUE et GERMAIN[40]) en ce qu’il combine plusieurs modes de transports distincts, aux régimes distincts, au moyen d’un instrumentum unique.

Mais, là où il y a ambiguïté, c’est que les mots n’ont pas la même signification pour tous les auteurs. Ainsi peut-on lire, sous la plume de Marie TILCHE, que « le connaissement de transport combiné repose sur un statut unique »[41] (exact contraire de ce qui peut être lu dans le RIPERT et ROBLOT !). Dans le même sens que Madame TILCHE, Ross MASUD estimait en 1992 que dans le « combined transportation », l’unique « transport document is issued by one carrier undertaking responsibility for the goods during the entire transport involving different links and modes of transportation but under a legal regime known as network liability system »[42].

Alors, lorsque l’on s’inquiète (à juste titre) que des transporteurs émettent des connaissements de « transport combiné » qui sont en réalité des connaissements directs, encore faut-il savoir de quel « contrat de transport combiné » on parle et à quelle notion de « connaissement direct » on se réfère. Un effort de définition s’impose manifestement, pour que les qualifications aient un sens précis (pléonasme volontaire) ; et comme la confusion la plus totale semble régner dans les conventions d’appellations, ainsi que nous venons d’en rapporter une illustration, il faut proposer une convention claire.

Ainsi, proposons-nous la convention suivante :

–  On peut désigner sous l’appellation connaissement direct le titre unique de transport cloisonnant les régimes de responsabilité suivant le mode de transport considéré, avec un régime unique subsidiaire en cas d’indétermination de l’origine de la perte ou du dommage ;

–  On peut désigner sous l’appellation contrat de transport multimodal ou contrat de transport combiné (les deux appellations étant parfaitement synonymes), le titre unique de transport prévoyant un régime unique de responsabilité pour la totalité du voyage des marchandises.

En d’autres termes, nous conservons l’appellation utilisée par Marie TILCHE et rejetons celle de MM. DELEBECQUE et GERMAIN. Ainsi, aucune confusion ne nous paraît possible entre les deux types de contrats, et, si par mégarde, des opérateurs utilisaient une qualification inexacte, il appartiendrait naturellement à l’arbitre ou au juge saisi, de procéder à la requalification nécessaire.

D.   Distinction du connaissement multimodal et du connaissement « port to port » (port à port)

 

1265. Une distinction évidente… — La différence entre un connaissement multimodal (titre émis par un transporteur maritime prenant sous son unique responsabilité la totalité de l’acheminement multimodal de la marchandise, par exemple, mer / fer / route) et un connaissement « port to port », c’est-à-dire, finalement, un connaissement ordinaire est plutôt évidente. Comme son nom l’indique, le connaissement de port à port ne couvre que la phase maritime du transport. Inversement, le connaissement multimodal couvre le transport maritime mais aussi la phase terrestre qui, par exemple, le transport maritime.

1266. La curieuse qualification « alternative » — Pourtant, face à la mauvaise rédaction ou à la rédaction ambiguë des contrats par les opérateurs, les juges doivent parfois rappeler l’évidence. Ainsi, dans l’affaire du navire Boka 014, un connaissement était — pour le moins curieusement — qualifié de « connaissement de transport combiné ou de port à port » ! Il faut être sérieux et concis : c’est soit l’un, soit l’autre ! Il ne viendrait à l’idée de personne d’intituler un contrat : « contrat de vente ou de bail » ! Nous affirmons avec force qu’un tel contrat n’en est pas un car l’objet du contrat doit être déterminé au sens des articles 1108 et 1129 du Code civil ! Or, si c’est « une vente ou un bail », qu’est-ce alors ? Et s’il s’agit d’un « connaissement multimodal ou d’un connaissement de port à port », de quel contrat parle-t-on ? A quel contrat les parties ont-elles effectivement consenti ? Une telle démarche de la part d’un rédacteur d’actes n’a rien de juridique et frise l’incompétence professionnelle.

Dans l’affaire du Boka 014, les juges du fond et la Cour de cassation ont estimé que, la rubrique « place of delivery » (lieu de livraison à destination) n’ayant pas été remplie, et une mention manuscrite « port to port » figurant sur le connaissement, les parties contractantes avaient ainsi manifesté leur volonté de voir la responsabilité du transporteur maritime cesser à la livraison au port de destination, à savoir, Anvers (Belgique)[43]. Les juges ont ici, exactement pensons-nous, procédé à la recherche de la volonté réelle des parties contractantes, essentiellement manifestée par la mention manuscrite.

1267. Précision jurisprudentielle aidant à la distinction : dans un connaissement multimodal, les lieux de prise en charge et de livraison doivent être mentionnés — Dans l’affaire du navire CMB Ensign[44], la Cour de cassation a précisé qu’un « connaissement qui concerne expressément un transport maritime de port à port », ne deviendrait « un connaissement de transport combiné qu’à la condition que les lieux de prise en charge (« Place of recept ») et de livraison des marchandises (« Place of delivery ») y soient mentionnés ». Deux hypothèses sont donc à distinguer.

–  Soit le connaissement est intitulé « de port à port », mais indique, par exemple, « lieu de livraison : Rungis » ou « Place of delivery : Rungis » (impliquant un transport routier postérieur au transport maritime) ; dans ce cas, nonobstant l’appellation générale du connaissement « port to port », il ne s’agit pas d’un connaissement port to port, mais d’un connaissement de transport multimodal (il appartiendra au juge de procéder à la requalification nécessaire) ;

– Soit le connaissement est intitulé « de port à port », et laisse vierge la clause « lieu de livraison » ; dans ce cas, la responsabilité du transporteur maritime cesse au port de livraison.

1268. Contradiction entre un connaissement « port to port » et la présence d’une clause FCL/FCL — Dans la même affaire, le connaissement intitulé « port to port » contenait une clause FCL/FCL[45] c’est-à-dire une clause visant les transports par conteneurs, de domicile à domicile[46] ou « house to house » : ainsi que l’observe le Professeur BONASSIES, cette mention est « habituellement interprétée par les professionnels comme indiquant que le conteneur confié au transporteur a été remis « empoté » par le chargeur, et doit être délivré au domicile du destinataire ou au lieu indiqué par celui-ci »[47].

Il y a donc une contradiction manifeste à prétendre faire cohabiter dans le même titre, une clause FCL/FCL et une clause « port to port ». De deux choses l’une : ou bien la responsabilité du transporteur cesse au port de livraison (il ne s’agit alors que d’un connaissement ordinaire, classique), ou bien on est en présence d’un véritable connaissement de transport multimodal, et sa responsabilité cessera à la livraison au domicile du destinataire (par exemple, après qu’un transport routier aura suivi le transport maritime) ou au lieu indiqué par ce dernier.

On remarquera qu’en l’espèce, la Cour de cassation, en présence d’une telle contradiction, a fait prévaloir l’intitulé du connaissement (port to port) sur la clause FCL/FCL. On ne peut pas reprocher aux juges d’avoir ainsi tranché [leur appréciation est, de toute façon, souveraine (pour les juges du fond), et, à défaut de manifestation claire de la volonté des parties, il faut malgré tout trancher] : si les parties osent se plaindre de l’interprétation judiciaire de leur contrat, qu’elles commencent plutôt par apprendre à rédiger correctement un contrat, en veillant à l’harmonisation élémentaire des clauses entre elles !

Encore une fois : que les rédacteurs de contrats tournent sept fois la plume dans leur encrier avant de noircir le papier !


[1] V. supra, n° 132, s.

[2] V. Marie TILCHE, Conteneurs maritimes : faut-il un régime spécifique ?, BTL 1999, p. 531. Add. Versailles, 14 janvier 1999, BTL 1999, p. 550 : le contrat de location de conteneur n’est pas un contrat de transport mais juste un « contrat de location de meubles ». Dans le même sens, le contrat de fourniture de conteneurs (par le transporteur maritime) et le contrat de transport sont deux contrats distincts : Aix-en-Provence, 9 décembre 1999 (Jolly Rubino), DMF 2000, p. 914, obs. TASSEL, et les références citées par l’auteur, p. 918. Dans cette affaire, il a justement été jugé que « la mise à disposition des conteneurs par le transporteur maritime, contrat distinct du contrat de transport, n’entraîne en elle-même aucune modification du moment de la prise en charge ».

Egalement, il faut remarquer que, un conteneur étant scellé, lorsque toutes les marchandises qu’il contient sont adressées au même destinataire, ce dernier ne peut exiger une livraison partielle au motif que deux connaissements distincts ont été émis pour désigner chacun une partie des marchandises contenues dans ce conteneur : il ne pourra, dans ce cas, obtenir qu’une livraison totale, muni des deux connaissements : Rouen, 29 avril 1999 (CMB Melody), DMF 2000, p. 351, obs. Yves TASSEL, et DMF 2001, Le droit positif français en l’an 2000, par Pierre BONASSIES, n° 74, pp. 62 et 63.

V. encore, plus largement : Georges-André GAUTHIER, Régime des conteneurs, Juris-Classeur Com. fasc. 976 (éd. 1996) ; et Yann LE GOUARD, Conteneurisation, la nouvelle donne, 1986 (disponible à la B.U. Droit de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, sous la cote KD LEG C).

[3] V. Stéphane MIRIBEL, compte-rendu du colloque AFDM / ABDM, Paris, 14 et 15 janvier 1999, Transport multimodal et assurance, DMF 1999, pp. 657, s. et 756, s., spécialement p. 658. Add. RIPERT et ROBLOT (tome 2, 16ème éd. 2000, mise à jour par DELEBECQUE et GERMAIN, op. cit.), n° 2789-1, p. 784.

[4] Baltic and International Maritime Conference.

[5] Contrat-type cité par Marie TILCHE in Multimodal / logistique, le temps du droit, BTL 2001, p. 85.

[6] L. PEYREFITTE, Le régime juridique des transports combinés de marchandises, DMF 1973, p. 643 à 649, et 707 à 711.

[7] M. RÈMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, Pédone 1988, n° 601, note 44. En son sens, nous ajouterons que, d’un point de vue étymologique, la racine latine inter signifie : entre, dans, au milieu de, dans l’espace de, parmi. Appliqué à l’économie, qui met l’accent sur les liens entre les opérateurs économiques, le préfixe inter a sa place. Appliqué à un transport que l’on veut juridiquement unifié, et non pas morcelé, le préfixe inter, non seulement produit l’effet inverse au but recherché, mais encore, ne semble désigner, dans le temps, que les moments précis où la marchandise change de mode de transport, cette dernière étant entre deux modes de transport… Le terme « intermodal » ne pouvait effectivement qu’être rejeté.

[8] CCI, Publication n° 298. V. également, sur les travaux antérieurs d’UNIDROIT et du CMI (Comité maritime international) : H. SCHADEE, Petite polémologie sur le dernier projet de Convention internationale sur le transport international combiné de marchandises, DMF 1970, p. 540, s. ; C. LEGENDRE, La Conférence de Tokyo du CMI, DMF 1969, p. 451 à 456 et 515 à 517 ; texte du projet CMI : DMF 1969, p. 467, s.

[9] V. par ex. le connaissement FIATA, ou encore le connaissement négociable BIMCO, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

[10] Juris-Classeur com. V° Transport combiné, fasc. 856. V. aussi les observations sceptiques de RODIÈRE vis-à-vis de ce texte : DMF 1981, p. 6. L’art. 1er, § 1, de la Convention, définit le transport multimodal international comme « le transport de marchandises effectué par au moins deux modes de transport différents, en vertu d’un contrat de transport multimodal, à partir d’un lieu situé dans un pays où les marchandises sont prises en charge par l’ETM jusqu’au lieu désigné par la livraison dans un pays différent ». Pour une étude détaillée des dispositions de la Convention, v. Nicole LACASSE, Le transport multimodal international de marchandises, étude comparative des droits canadien et français, thèse Paris I, 1988, spécialement p. 328, s.

[11] En cas de perte ou d’avarie, la responsabilité est limitée à 920 DTS/colis ou 2,75 DTS/kg de poids brut des marchandises ; en cas de retard à la livraison, la responsabilité est limitée à 2,5 fois le montant du fret pour les marchandises ayant subi le retard, sans excéder le montant total du fret.

[12] L’art. 6 de la Convention exige la signature de 30 Etats avant que le texte puisse entrer en vigueur. A ce jour (septembre 2002), seuls 9 Etats y ont adhéré : Chili, Malawi, Maroc, Mexique, Norvège, Rwanda, Sénégal, Venezuela, Zambie.

Sur l’échec de cette Convention, add. Stéphane MIRIBEL, compte-rendu du colloque AFDM / ABDM « Transport multimodal et assurance » (Paris, 14 et 15 janvier 1999), DMF 1999, p. 657, spécialement p. 660.  Il est indiqué que l’interventionnisme étatique dans les opérations des ETM, organisé dans la première partie du texte, n’a pas favorisé l’enthousiasme des professionnels, mais que le régime de responsabilité, organisé par la seconde partie du texte, étant « assez souple et équilibré », selon les termes du Professeur BONASSIES, devrait peut-être servir d’inspiration à l’élaboration d’un nouveau régime uniforme.

[13] CCI, Publication n° 481.

[14] Eric A. CAPRIOLI, Considérations sur les nouvelles Règles CNUCED/CCI applicables aux documents de transport multimodal, DMF 1993, p. 204, s., spéc. p. 224.

[15] Eric A. CAPRIOLI, op. cit., conclut ainsi sa chronique (pp. 221 et 224) : « Le document de transport multimodal, tel qu’il est régi par les nouvelles règles, est acceptable par la communauté commerciale internationale. Les Incoterms 1990 de la CCI n’ont-ils pas été révisés pour partie à cause des changements techniques de transport se traduisant par l’acheminement multimodal ? De sorte que ce sont pas moins de sept termes qui correspondent à tous les modes de transport y compris le multimodal (EXW, FCA, CPT, CIP, DAF, DDU, DDP). Outre cela, l’acceptation du texte par la communauté bancaire internationale ne laisse planer aucun dote ; les règles ont été conçues pour être compatibles avec les futures RUU 500 (qui ont été adoptées officiellement en 1993) sur le crédit documentaire de la CCI. Pour preuve, l’art. 26 du projet définitif est entièrement consacré au document de transport multimodal. (…) ».

[16] Eric A. CAPRIOLI, op. cit. p. 208.

[17] Idem.

[18] V. notamment Victor-Emmanuel BOKALLI, Conteneurisation et transport multimodal des marchandises, aspects juridiques et assurances, thèse Aix Marseille III, 1989, spécialement p. 209, s.

[19] V. le compte-rendu du colloque précité, DMF 1999, spécialement p. 661.

[20] DELEBECQUE et GERMAIN in RIPERT et ROBLOT, n° 2789-1, spécialement p. 785.

[21] V. Nicole LACASSE, thèse précitée, spécialement p. 23, s.

[22] C’est ce que MM. DELEBECQUE et GERMAIN qualifient de transports « combinés » (in RIPERT et ROBLOT, op. cit. p. 784).

[23] C’est ce que ces mêmes auteurs qualifient de transports « homogènes » (idem).

[24] Sur le connaissement direct, v. infra, n° 1264, s.

[25] MM. DELEBECQUE et GERMAIN (in RIPERT et ROBLOT, loc. cit.) observent, à propos d’un régime unique du transport multimodal, que, « juridiquement, on peut imaginer toute une série de solutions ».

[26] Thèse précitée, spécialement p. 122, s.

[27] Op. cit. p. 128, s. Dans le même sens, v. Victor-Emmanuel BOKALLI, thèse précitée, spécialement p. 234, s.

[28] Propos rapportés par Stéphane MIRIBEL, in compte-rendu du colloque de l’AFDM et de l’ABDM, précité, DMF 1999, spécialement p. 664.

[29] Thèse précitée, spécialement p. 246, s.

[30] BOKALLI, p. 246.

[31] BOKALLI, p. 248, s. Sur les conditions générales de validité des clauses de limitation ou d’exonération de responsabilité, v. supra, n° 1094, s.

[32] TC Marseille, 12 mars 1982 (inédit) ; Aix-en-Provence, 3 octobre 1984, DMF 1986, p. 160, note ACHARD ; Cass. Com. 31 mars 1987, DMF 1988, p. 451 ; Montpellier, 19 janvier 1989 (inédit) ; puis Cass. Com. 29 janvier 1991, DMF 1991, p. 354, note critique de R. ACHARD ; Andrée CHAO, Quand deux connaissements interfèrent, BTL 1991, pp. 677 et 684.

[33] FIATA : Fédération internationale des associations de transitaires et assimilés. Connaissement FIATA : connaissement négociable pour transports combinés.

[34] Coût, assurance et fret.

[35] On notera que le transporteur routier avait la qualité de simple mandataire du transporteur maritime (v. la motivation de : Montpellier, 19 janvier 1989, rapportée par Raymond ACHARD, dans sa note sous : Cass com. 29 janvier 1991, DMF 1991, spécialement p. 357).

[36] Le transporteur maritime, qui se charge de l’organisation de l’acheminement final de la marchandise, par voie routière en l’occurrence, et émet à ce titre un connaissement de transport multimodal, revêt la qualité de commissionnaire de transport (v. la motivation de l’arrêt de la Cour de Montpellier, précité).

[37] Le Professeur TASSEL nous semble de cet avis : l’auteur écrit, à propos de l’affaire Diana, et imaginant que le connaissement multimodal légitimement détenu par le commissionnaire intermédiaire aurait pu entrer en conflit avec les mêmes connaissements FIATA, mais cette fois, détenus par le banquier émetteur du crédit documentaire, que « la seule façon de résoudre le conflit de droits est donc de le faire disparaître, ce qui suppose une rédaction conforme des documents susceptibles d’être en conflit » (TASSEL, article précité, in Mélanges en l’honneur d’Henri BLAISE, spécialement p. 409).

[38] On remarquera également, à la suite de Monsieur ACHARD (note précitée), que si le transporteur avait su l’existence de connaissements FIATA, il n’aurait probablement pas émis, à son tour, un nouveau connaissement couvrant la totalité du transport. Ici encore, si le commissionnaire principal avait suivi de près l’organisation du transport, il se serait fait connaître au transporteur maritime et lui aurait indiqué l’existence des connaissements FIATA, afin d’éviter le fâcheux doublon, à l’origine du présent litige.

[39] Marie TILCHE, Multimodal / logistique, le temps du droit, BTL 2001, p. 85.

[40] Pour ces auteurs, les transports « peuvent être combinés et par là soumis à des régimes juridiques différents » (op. cit. n° 2789-1, p. 784).

[41] Marie TILCHE, op. cit. loc. cit.

[42] Ross MASUD, The emerging legal regime for multimodal transport, RDAI 1992, p. 825, spécialement n° 5, p. 826 : dans le transport combine, l’unique document de transport est établi par un seul transporteur qui prend les marchandises sous sa responsabilité pendant l’entier transport, qui peut inclure différents modes de transport, mais sous un seul régime juridique connu sous le nom de responsabilité de réseau.

[43] Cass. Com. 26 octobre 1999, Scapel 2000, p. 15 ; DMF 2001, Le droit positif français en l’an 2000, par Pierre BONASSIES, spécialement n° 81, p. 66.

[44] Cass. Com. 4 juillet 2000, DMF 2001, p. 130, obs. AMMAR ; add. obs. BONASSIES, in Le droit positif français en l’an 2000, précité, n° 81, spécialement p. 66 in fine et 67.

[45] Full Container Load = conteneur chargé complet.

[46] V. le lexique des termes juridiques et techniques proposé à la fin du Lamy Transport, tome 2.

[47] BONASSIES, obs. précitées, p. 67.

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : les contrats proches de l’AFFRETEMENT DE NAVIRE

 

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Les développements qui suivent sont issus de notre Thèse de Doctorat.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

     

1247. Position du problème Parmi les moyens offerts aux opérateurs pour transporter (au sens commun) des marchandises, outre les conventions de transport proprement dites s’offrent les variétés connues d’affrètement d’engins de transport et notamment de navires. Mais, au-delà encore des affrètements classiques de navires (essentiellement à temps ordinaire et au voyage), la matière de l’affrètement étant mue par un esprit de liberté contractuelle, des contrats « hybrides » se sont développés, pour lesquels il est quasi impossible de donner une typologie précise, puisque, précisément, d’une part, toutes les nuances contractuelles sont dans la nature, et d’autre part, même si les parties donnent un nom à leur contrat, il se peut que cet intitulé ne corresponde pas à la matière contractuelle telle qu’elle résulte des stipulations qui suivent. Il est donc particulièrement délicat d’aborder cette matière floue « autour » des contrats d’affrètements classiques de navire. Tel est pourtant notre objectif.

1248. L’approche de la difficulté par RODIÈRE Dans un article publié en 1980, RODIÈRE évoque cette question en des termes qui auraient pu être ceux de 1900, comme ceux de l’an 2000. Ainsi que le relève l’auteur, la liberté des parties contractantes navigue parfois dans des eaux intermédiaires entre le transport, l’affrètement et la commission de transport. Certes, en théorie, il est aisé de distinguer ces contrats. Mais, encore une fois, la lecture des contrats maritimes peut réserver bien des surprises et parfois bien des interrogations sur la qualification finale à conférer à tel contrat[1]. Le « Père du droit maritime » (ainsi que le nomme le Professeur VIALARD) tente néanmoins d’opérer une classification (qu’il sait relative) dans cette brume contractuelle, et distingue trois sortes « d’arrangements commerciaux ».

1248-1. Un contrat de transport, éventuellement multimodal Selon une première hypothèse, un commerçant ou un industriel pourrait négocier avec une compagnie maritime « contre un prix à la tonne (ou toute autre unité de mesure) », le transport d’une « quantité donnée ou simplement déterminable de marchandises, en les prenant en charge à tel endroit et en les acheminant à tel autre endroit »[2]. Pour nous, cette hypothèse, ainsi décrite, ressemble à un contrat de transport multimodal de marchandises[3], à ceci près que, dans un tel contrat, les marchandises doivent être précisément désignées en genre et en nombre ; ou alors, il s’agirait d’un contrat préparatoire (comme un contrat de base ou un contrat-cadre dans le cas où les parties envisagent de renouveler périodiquement la même opération, dans les mêmes conditions) ou d’un avant contrat (comme une promesse synallagmatique).

Mais la qualification que nous avons avancée de contrat de transport multimodal recèle elle-même sa propre ambiguïté, sur laquelle nous reviendrons : l’entrepreneur ou organisateur de transport multimodal souscrit-il une obligation de transport ou une obligation de commission de transport ? Et là aussi, il faut nuancer la réponse, au regard des obligations exactement souscrites.

1248-2. Un affrètement d’espace La seconde hypothèse envisagée par RODIÈRE : « un industriel ou un commerçant (…) conclut avec un armateur un contrat aux termes duquel celui-ci mettra à sa disposition, sur un ou plusieurs navires, des espaces propres à déplacer une certaine quantité de marchandises ou une quantité déterminable (un minimum et un maximum étant souvent prévus) depuis tel port jusqu’à tel autre port (…). Une charte-partie est annexée au contrat.

Quelle est sa nature ? A première vue, on est en présence d’un contrat d’affrètement parce qu’il s’agit essentiellement de réserver des espaces ou des navires entiers, que l’armateur ne prend pas en charge la marchandise et que son rôle consiste seulement à recevoir les marchandises à bord de son ou de ses bâtiments et à les conduire aux ports désignés »[4].

Qu’en est-il de l’affrètement partiel en droit français ? D’abord, quel que soit le droit national considéré, il n’est que dans le cadre d’un affrètement au voyage que l’affrètement partiel soit envisageable ; il est, a contrario, exclu en matière d’affrètements à temps (à temps ordinaire et coque nue). Cette première réflexion, assez évidente, est d’ailleurs reprise dans la loi française du 18 juin 1966 : ainsi, peut-on lire, à l’art. 5 du texte, que « par l’affrètement au voyage, le fréteur met, en tout ou en partie, un navire à la disposition de l’affréteur en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages ». Donc, il semble que ce que la pratique appelle parfois « affrètement d’espace » ou affrètement partiel, soit reconnu dans la loi.

Mais, si la notion est communément admise, le régime de l’affrètement d’espace est-il aussi unanimement considéré ? C’est là le siège de la difficulté. On sait qu’en principe, la matière de l’affrètement est largement ouverte à la liberté contractuelle ; aussi, les contrats-types de charte-partie prévoient-ils tous des clauses aménageant (dans le sens de l’allègement) la responsabilité du fréteur. La même souplesse est-elle possible en matière d’affrètement d’espaces ? Monsieur MORINIÈRE peut apporter des éléments de réponse.

Cet auteur nous apprend que dans le contrat-type de « slot charter » ou charte-partie « SLOTHIRE » (élaborée par la BIMCO), le fréteur met à disposition de l’affréteur une partie du navire pour un temps défini, et qu’au moment de l’embarquement, ce dernier reçoit un « reçu d’embarquement » qui peut prendre la forme d’une « loading list » ou liste de chargement[5]. En outre, le fret correspondant à la l’espace réservé est dû en totalité, quand bien même l’affréteur n’utiliserait pas, par exemple, en raison d’un volume de marchandises moins important que prévu, la totalité du volume réservé en soute : c’est ce que les praticiens nomment « deadfreight »ou « faux fret », et qui ne peut être assimilé à une clause pénale mais plutôt au prix de l’exclusivité[6].

Dans un contrat proche, le contrat d’engagement de fret, il semble que la seule différence notoire réside en une « clause de non-responsabilité » bénéficiant naturellement au fréteur. Mais concrètement, la mise en œuvre de cette clause, par laquelle le fréteur entend ne pas prendre en charge les marchandises et se contenter de fournir le navire comme moyen d’acheminement, n’est pas sans susciter des interrogations, déjà formulées par RODIÈRE : « au point de vue pratique, où est la prise en charge ? (des marchandises) » ; « quel est le signe irrécusable de cette volonté chez l’armateur : prendre en charge la marchandise ou mettre le navire à disposition ? Il n’y en a pas et c’est seulement en s’aidant des clauses du contrat que l’on peut répondre car seules les obligations précises des parties qualifient leur convention »[7].

Au vu de ce qui précède, même si la mise en œuvre d’une clause de responsabilité peut soulever certaines questions d’ordre général, propres à toutes les clauses de responsabilité stipulées en matière d’affrètement de navire, il semble que rien ne distingue le régime de l’affrètement d’un navire entier, de celui d’un affrètement d’espace. Naturellement, dans tous les cas, le navire est désigné nommément ; et pour le reste, ce n’est qu’une question de proportion d’espace « loué » et de prix du fret exigé en contrepartie par l’armateur fréteur.

En faveur de cette unité du régime de l’affrètement, qu’il concerne un navire entier, ou une partie de navire, on observera enfin que « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus »[8] (et l’art. 5 de la loi de 1966, en proposant un régime supplétif, ne distingue deux régimes particuliers, selon que l’affrètement au voyage considéré, concernerait la totalité ou une partie seulement du navire).

1248-3. Le contrat-cadre ou la promesse synallagmatique de transport ou d’affrètement : les multiples visages du « contrat de volume » ou « de tonnage » En dernier lieu, RODIÈRE envisage l’hypothèse d’un « contrat suivant lequel, moyennant un prix donné (pour telle unité de mesure), (un) armateur s’engage à évacuer sur des (destinations) à fixer par (son client, commerçant ou industriel), la production de celui-ci »[9]. Ce dispositif n’est pas sans évoquer celui d’un contrat-cadre entre deux opérateurs[10]. Mais, pour le reste (affrètement ou transport), tout dépend des termes du contrat cadre. Il pourra s’agir d’une sorte d’abonnement à des chartes-parties successives d’affrètement au voyage, ou d’une sorte d’abonnement à des connaissements ou contrats de transport successifs (comme des lettres de transport maritimes) ; et, pour compliquer, on peut imaginer qu’un contrat-cadre prévoit la fréquence d’organisation des transports à réaliser, sans se prononcer sur le mode d’acheminement, ou en laissant le contractant débiteur de la prestation caractéristique libre des voies et moyens de transport (il y aurait ici commission de transport, et peut être transport si le « commissionnaire » transporte lui-même). A ce propos, le Professeur VIALARD observe que « la pratique contemporaine a vu apparaître aux côtés des affrètements « nommés » par la loi, des contrats variés aux contours juridiquement incertains, comme le contrat de tonnage (qui évoluent aux frontières du contrat d’affrètement au voyage — par abonnement — et du contrat de transport) (…) »[11].

Une sentence récente de la Chambre arbitrale maritime de Paris (CAMP) a reposé la question de la qualification de ce type de contrat. L’appellation donnée par cette juridiction arbitrale nous convient, par sa neutralité : « contrat de volume » (on comprend bien qu’il s’agit, pour le débiteur de la prestation caractéristique, de s’engager à déplacer des « volumes » de marchandises sur certaines destinations). Pour la CAMP, « un tel contrat-cadre est une promesse formelle et mutuelle (c’est-à-dire une promesse synallagmatique) de souscrire dans un délai déterminé à un nombre de contrats d’affrètements parfaits »[12]. Alors : contrat-cadre ou promesse synallagmatique ?

D’un côté, il semble que l’on puisse analyser le contrat-cadre en une promesse synallagmatique. En effet, ainsi que nous l’avons vu[13], les promesses synallagmatiques consensuelles valent contrat définitif assorti de force obligatoire (tout au moins, en droit français), et contiennent les éléments essentiels du futur contrat définitif et la partie victime de la résistance de l’autre partie à achever le cycle de formation du contrat peut engager la responsabilité contractuelle de cette dernière et demander au juge ou à l’arbitre l’exécution forcée de l’obligation de parfaire le contrat déjà existant.

D’un autre côté, le plus souvent, la promesse synallagmatique concerne une vente particulière (vente unique portant sur un immeuble). Le contrat-cadre tend au contraire à organiser dans les grandes lignes une relation contractuelle à moyen ou long terme, qui prendra la forme d’une multitude de « petits contrats », tous pris en exécution du contrat-cadre. Enfin, le contrat-cadre n’est pas étymologiquement une « promesse ». C’est déjà un contrat… mais un contrat portant engagement (ou « promesse ») de contracter ensuite d’autres engagements ponctuels.

La frontière entre promesse synallagmatique et contrat-cadre est fine, et la distinction éventuelle nous paraît plus théorique que pratique.

Aussi, ne critiquerons-nous pas la CAMP d’avoir ainsi rapproché les deux notions[14].

1249. Conclusion : la relativité de la matière contractuelle, génératrice de la relativité de la qualification Il n’est donc pas possible de tracer des perspectives claires là où le jeu de la liberté contractuelle peut à tout instant brouiller les pistes des qualifications traditionnelles. Le juriste en quête d’exactes qualifications devra donc avancer, en pratique, avec une extrême vigilance, et une absence totale d’a priori sur une qualification éventuelle, lorsqu’il amorcera la lecture d’un contrat, et spécialement d’un contrat qui, à première vue, paraît se rapprocher d’un contrat d’affrètement ou de transport.


[1] RODIÈRE, Le contrat au tonnage, DMF 1980, p. 323, spécialement n° 7, p. 326.

[2] RODIÈRE, op. cit. n° 1, p. 323.

[3] Sur ce contrat, v. infra, n° 1251, s.

[4] RODIÈRE, op. cit. n° 3, p. 324.

[5] Jean-Michel MORINIÈRE raisonne spécifiquement à propos des NVOCC, mais son raisonnement vaut pour tous les affréteurs en général, en ce compris ceux qui ne seraient pas NVOCC : v. article précité sur les NVOCC, in ADMO 1998, p. 109, s. spécialement p. 118.

[6] En effet, le deadfreight ressemble, en droit de la vente, à l’indemnité d’immobilisation : par sa promesse d’achat (ici, par sa réservation d’espace), l’acheteur (ici, l’affréteur) qui, finalement, n’a pas confirmé la vente (ici, l’affréteur qui n’a pas utilisé son espace réservé), a fait perdre au vendeur (ici, fréteur), une chance de trouver acquéreur (un affréteur qui utilise réellement l’espace réservé). Plus précisément, l’indemnité d’immobilisation (ou le deadfreight) constitue le prix de l’exclusivité : Civ. 1ère, 5 décembre 1995, Bull. n° 452 ; Defrénois 1995, p. 757, obs. MAZEAUD, et p. 814, obs. BÉNABENT. Enfin, il est constant que l’indemnité d’immobilisation ne constitue pas une clause pénale au sens de l’art. 1152 du Code civil : v. par exemple Civ. 3ème, 29 juin 1994, Bull. n° 139 ; JCP 1994, I, 3809, obs. VINEY ; Defrénois 1994, p. 1459, obs. MAZEAUD.

[7] RODIÈRE, op. cit. n° 6, spécialement p. 326.

[8] V. ROLAND et BOYER, op. cit. n° 434, p. 936.

[9] RODIÈRE, op. cit. n° 5, p. 325.

[10] En ce sens : RODIÈRE, op. cit. n° 5, p. 325. Pour la Cour de Rouen, une telle opération s’analyse en une « promesse synallagmatique de contrats de transports » : Rouen, 30 juin 1977, DMF 1978, p. 535.

[11] Op. cit. n° 389, p. 333. Add. note 1, p. 339.

[12] CAMP, sentence 1039 du 12 décembre 2000, DMF 2001, p. 404.

[13] V. supra, n° 95.

[14] Dans le même sens, v. RODIÈRE et du PONTAVICE, op. cit. n° 286-1, pp. 268 et 269 : « le contrat de tonnage est une promesse de passer le nombre de contrats d’affrètements nécessaires à l’évacuation de la marchandise ou encore une promesse de passer le nombre de contrats de transport nécessaires à cette même évacuation ; tantôt il s’agit donc d’un contrat-cadre préparatoire à d’autres contrats qui peuvent être des contrats d’affrètement ou des contrats de transport. Tantôt, le contrat-cadre lui-même est considéré comme un contrat d’affrètement, les contrats d’application étant également des contrats d’affrètement ».

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : un contrat proche de la commission de transport : le contrat de NON-VESSEL-OPERATING COMMON CARRIER (N.V.O.C.C.)

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– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

           

1242. La pratique américaine de l’organisation des transports par mer de marchandises conteneurisées — L’évocation de ces intermédiaires entre chargeur et transporteur, que sont les commissionnaires, nous conduit à examiner une variété particulière de commissionnaires, ceux que Monsieur MORINIÈRE a baptisé, traduit de l’américain, les transporteurs maritimes contractuels ou Non-Vessel-Operating Common Carriers (NVOCC)[1].

Le domaine d’activité des NVOCC ne concerne que l’organisation du transport de marchandises conteneurisées. A cet égard, suivant le taux de remplissage des conteneurs, la pratique américaine distingue les Less than Containers Load (LCL) des Full Containers Load (FCL), les premiers désignant des conteneurs incomplets, à l’inverse des seconds. Le plus souvent, des navires de petite taille (feeders) vont charger LCL et FCL dans des ports excentrés, puis se rejoignent dans une Container Freight Station (CFS), où les LCL sont éventuellement complétés, et où s’organise le remplissage optimum des super-porte-conteneurs[2].

1242-1. Les grandes étapes de la reconnaissance juridique des N.V.O.C.C. — Quant à l’origine du concept, c’est avec le développement de la conteneurisation à partir de 1956, et à la suite d’une tâtonnante construction jurisprudentielle, que la Federal Maritime Commission (FMC) a donné naissance en 1962, à la notion de NVOCC, définissant cet opérateur comme « toute personne qui par son établissement, le maintien de tarifs, la publicité ou autre, propose le transport interne ou international par mer de marchandises tel que défini par la loi », étant précisé qu’il est « supposé être un expéditeur de marchandises vis-à-vis des transporteurs maritimes substitués »[3]. La notion de NVOCC est pour la première fois entrée dans les textes législatifs américains, avec le Shipping Act du 20 mars 1984, qui disposait que « chaque NVOCC exerçant au départ ou vers les USA devait déposer auprès de la FMC une caution d’au moins $ 50.000 et disposer d’un mandataire aux USA pour y recevoir d’éventuels actes de procédure »[4]. Le tollé des NVOCC non américains a conduit à l’adoption du NVOCC Act de 1991 entré en vigueur le 3 mars 1992, et complété par de « nouvelles mesures » adoptées par la FMC le 22 janvier 1993[5]. Pour les Etats de l’Union Européenne, une directive du 29 juin 1982 pose certaines conditions de moralité, de compétences et de solvabilité à la délivrance de licences professionnelles aux auxiliaires de transport. Cependant, M. MORINIÈRE note que cette réglementation européenne est, pour l’heure, insuffisante, dans la mesure où elle ne permet pas suffisamment de s’assurer de la solvabilité d’un tel opérateur[6]. Or, cette question de solvabilité est essentielle puisqu’elle conditionne l’utilité de toute action en garantie à l’encontre d’un NVOCC qui, par hypothèse, ne possède pas de navire et peut ne présenter qu’un patrimoine quasi inexistant.

On notera cependant que, postérieurement à l’écriture de l’article de M. MORINIÈRE, la réglementation française de la profession de commissionnaire de transport été révisée par le décret n° 99-295 du 15 avril 1999, dont l’art. 2, qui réécrit l’art. 7 du décret n° 90-200 du 5 mars 1990, prévoit désormais que tout commissionnaire de transport devra, à compter du 1er juillet 1999, fournir des capitaux propres, réserves, ou caution bancaire, d’un montant au moins égal à 22.867,35 euros (ou 150.000 francs), sans pour autant que le montant des cautions ne puisse excéder la moitié de la capacité minimale requise, soit la somme de 11.433,68 euros (ou 75.000 francs)[7].

1242-2. Les diverses formes de N.V.O.C.C. : carriers et freight forwarders — Il est intéressant de noter que la pratique américaine a enchevêtré sous ce même concept, des fonctions très différentes. Le concept de NVOCC est un conglomérat artificiel potentiellement source de confusion pour les chargeurs qui y ont recours. M. MORINIÈRE nous enseigne tout d’abord que « les NVOCC peuvent apparaître sous deux visages »[8] : ceux qui se disent carriers, et ceux qui se présentent comme freight forwarders. Les seconds ne dissimulent pas leur activité réelle sous une étiquette fallacieuse, comme c’est en général le cas des premiers. Les freight forwarders (mot à mot : expéditeurs de fret, au sens de marchandises) ont des activités mixtes qui tendent à les rapprocher d’une part de nos transitaires, et d’autre part de nos commissionnaires de transports maritimes[9].

1243. Division — Au delà de ces appellations anglo-saxonnes, si l’on entreprend de désacraliser la notion de NVOCC, on s’aperçoit très vite qu’elle se rattache à deux notions connues du droit français, et qu’il n’y a, dès lors, aucune aura extraordinaire derrière ce qualificatif. Il apparaît concrètement que le « NVOCC » est soit un simple commissionnaire de transport maritime (A), soit un affréteur au voyage pouvant parfois prendre la qualité juridique de transporteur maritime (B). Il s’agira, dans les deux cas, d’opérer, en tant que de besoin, une requalification du contrat.

         

A. Le contrat de N.V.O.C.C. et la commission de transport

1244. L’émission d’un « house » bill of lading par le N.V.O.C.C. : critique du concept — La particularité de la pratique des NVOCC est qu’elle implique une multiplication des documents relatifs au transport des marchandises conteneurisées, entre le NVOCC et son client d’une part, et entre le NVOCC et le transporteur maritime réel[10] d’autre part. Une autre confusion terminologique vient alors du fait que le NVOCC remet à son client un house bill of lading (étant entendu que le bill of lading, au sens strict, est un connaissement, émis par le seul transporteur maritime), et que le transporteur maritime réel remettra ensuite un master bill of lading au NVOCC (en réalité il s’agira du véritable bill of lading). Celui de ces documents qui pose problème, est celui que la pratique a qualifié de house bill of lading. Certes, ainsi que le fait remarquer M. MORINIÈRE, ce dernier porte la mention « for delivery apply to… »[11], ou « for the release of goods apply to… »[12], ou encore « agents to contact at destination… »[13]. Le but de cette stipulation est d’inviter le porteur du house bill of lading à se rapprocher du représentant local du NVOCC, au port de destination, qui lui remettra le seul document qui fasse foi de sa qualité de destinataire, auprès du transporteur maritime : le « vrai » connaissement ou master bill of lading (puisque, rappelons-le, le transporteur ne peut valablement remettre les marchandises qu’au porteur légitime du connaissement, sauf lettre de garantie).

Donc, la présence de cette mention (for delivery apply to…) est bien la preuve que le house bill of lading n’est pas un véritable connaissement, au sens de la loi française et des Conventions internationales de Bruxelles et Hambourg. Cette pratique visant à dénommer house « bill of lading », un document qui, en réalité, n’est pas un bill of lading, est particulièrement vicieuse, dans la mesure où elle tend à donner à un contrat de commission, l’apparence d’un véritable contrat de transport maritime par l’appellation « connaissement / bill of lading », alors qu’en réalité, il ne s’agit absolument pas d’un contrat de transport maritime.

Au soutien de sa démonstration que le house bill of lading est un connaissement, M. MORINIÈRE recourt aux trois fonctions traditionnelles du connaissement pour vérifier si le house bill of lading satisfait à chacune d’elles : la prise en charge des marchandises, le titre représentatif de celles-ci, et le contrat de transport maritime.

1. Cette prise en charge des marchandises par le NVOCC peut n’être que purement formelle, notamment dans le cas où le client du NVOCC achemine lui-même les marchandises conteneurisées, au port, puis le long du navire (alongside ship). Dans ce cas de figure, il y a concomitance entre la « prise en charge » par le NVOCC et la (véritable) prise en charge par le transporteur maritime (gestionnaire du navire). En pratique, sous réserve du droit applicable au contrat transport (le vrai connaissement), cette prise en charge correspond au contrôle du chargement dont le NVOCC ès-qualité de commissionnaire de transport, garantit le bon déroulement à son client[14]. Enfin, sauf dans un cas précis, que nous verrons, cette soi-disant prise en charge des marchandises par le NVOCC, relève largement de la fiction dans la mesure où la prise en charge est liée à la garde des marchandises. Or, en pratique, les conteneurs seront rarement sous la garde de NVOCC, sauf à imaginer un opérateur cumulant plusieurs fonctions, comme transitaire et NVOCC.

2. M. MORINIÈRE admet que, s’agissant de la représentativité des marchandises, le house bill of lading ne permet pas au destinataire des marchandises, de les retirer auprès du transporteur maritime, puisque seul le master bill of lading ouvre droit à livraison auprès du (vrai) transporteur maritime.

Par ailleurs, il est exact, ainsi que nous le verrons, que le connaissement émis par le NVOCC affréteur au voyage, a bien valeur représentative des marchandises.

3. Quant à la valeur de contrat de transport du connaissement, l’auteur distingue à nouveau entre freight forwarders et carriers, concluant que les documents émis par les premiers ne sont pas des connaissements (nous partageons cet avis), et que les documents émis par les seconds peuvent toujours être qualifiés de connaissements, mais sous réserve du pouvoir de requalification judiciaire[15] (la formule est pour le moins paradoxale[16]). Sur ce dernier point en revanche, nous sommes partisans d’une solution radicale, qui nous semble en conformité avec la réalité : le NVOCC n’émet valablement aucun connaissement, sauf dans le cas où il est affréteur au voyage.

A l’issue de son analyse, l’auteur conclut que « le document remis par le NVOCC au chargeur peut être un connaissement lorsqu’il répond aux trois fonctions classiques qu’on lui attribue (…) Dans les autre cas, nous sommes en présence de documents de transport de NVOCC »[17]. Cette conclusion appelle deux observations.

La première partie de la conclusion est juste. Effectivement, le NVOCC qui remet un connaissement (en exécution d’une charte-partie au voyage) à son client, doit être qualifié de transporteur maritime. Cependant, au regard des options dont disposent les NVOCC quant aux modalités de leurs activités, ce cas de figure où le NVOCC émet un « vrai » connaissement est unique. Partant, il est gênant que cette hypothèse soit érigée en principe par M. MORINIÈRE alors que, manifestement, il ne s’agit que d’une exception ; sauf par ce dernier à démontrer, au moyen de statistiques réalisées sur ce point, qu’en pratique, les NVOCC recourent massivement à l’affrètement au voyage. Or, au contraire, faisant une évocation historique, il note que le transport s’est « dissocié petit à petit de l’affrètement » au profit du transport sous connaissement[18].

Notre seconde observation vise la seconde partie de la conclusion de l’auteur et ce qu’il désigne pudiquement ainsi : « document de transport de NVOCC ». Qu’est-ce, en réalité (hormis encore une fois le cas du NVOCC affréteur au voyage), sinon un contrat de commission de transport maritime ?

Au demeurant, l’ultime preuve que le NVOCC n’est pas, dans ce cas, un transporteur maritime, c’est qu’il est contraint d’en revenir au vrai connaissement, avec un vrai transporteur maritime. Selon nous, il convient de ne pas se laisser abuser par cette apparence terminologique trompeuse où celui qui ne transporte pas se qualifie néanmoins de carrier[19] ; au contraire, il convient, dans chaque cas, d’examiner les termes du contrat, de se prononcer sur la nature des obligations souscrites constitutives de la prestation caractéristique et partant, de qualifier (ou requalifier) exactement, rigoureusement, le contrat litigieux[20].

             

B. Le contrat de N.V.O.C.C., l’affrètement au voyage et le transport maritime

1245. NVOCC affréteur au voyage ayant émis un connaissement à son nom Ainsi que M. MORINIÈRE en a fait la démonstration[21], le NVOCC affréteur au voyage revêt la qualité de transporteur maritime, aux motifs que le fréteur ne délivre pas à ce dernier, un connaissement, mais une loading list (liste de chargement), et que de surcroît, le fréteur au voyage insère dans le container freight engagement conditions, une clause de non responsabilité (negligence clause) qui naturellement ne serait pas valable au regard du droit positif en matière de transport maritime[22], outre une deadfreight clause aux termes de laquelle la totalité du fret est due par l’affréteur, quand bien même tout l’espace réservé n’aurait pas été utilisé. En conséquence, le transporteur maritime apparaît comme étant l’affréteur, c’est-à-dire le NVOCC.

1246. Réserves Nous ferons cependant observer deux choses.

• Tout d’abord, en général, en matière d’affrètement au voyage, c’est le fréteur, investi des gestions nautique et commerciale du navire, qui émet le connaissement et endosse la qualité de transporteur maritime[23]. La pratique originale des NVOCC émettant des connaissements en application d’une charte-partie au voyage, nous laisse donc, quand même, dans une certaine perplexité. Mais l’on comprend que le fréteur ne souhaite pas apparaître comme transporteur maritime par l’émission d’un connaissement, pour des raisons tenant à l’engagement de sa responsabilité vis-à-vis du futur porteur du connaissement, qui constaterait, par exemple, des avaries, au port de destination. Tout dépendra alors du résultat de la négociation survenue entre le NVOCC et le fréteur.

• En second lieu, il est possible que le NVOCC affréteur ne remette pas de bill of lading à son client. En ce cas, le NVOCC (ès-qualité de commissionnaire de transport) demeure simplement garant du fréteur, dans la limite de la responsabilité de celui-ci. RODIÈRE, raisonnant sur l’hypothèse symétrique du commissionnaire (français) affrétant un navire au voyage, sans émettre de connaissement, considère que « le commissionnaire conserve cette qualité lorsqu’il a recours à l’affrètement de navire »[24].

En revanche, et c’est dans cette seule hypothèse que nous rejoignons M. MORINIÈRE, si le NVOCC affréteur au voyage émet un connaissement à son nom, qu’il remet à son client, alors seulement, il y a lieu de le qualifier de transporteur maritime. En d’autres termes, la seule circonstance que le NVOCC affrète un navire au voyage, est insuffisante à le qualifier de transporteur maritime. Il ne pourra être ainsi désigné, qu’à la double condition qu’il ait souscrit à une charte-partie au voyage avec le fréteur, puis qu’il ait remis à son client (chargeur) un bill of lading à son nom.


[1] Jean-Michel MORINIÈRE, Le transporteur maritime contractuel, Thèse, Nantes, 1997.

[2] Inversement, ces CFS sont utiles à la ventilation des cargaisons de conteneurs importées ; v. MORINIÈRE, Genèse et juridicité de l’acronyme NVOCC, A.D.M.O. tome XV, 1997, p. 319 à 329, spéc. 117 et 126.

[3] Idem, p. 321 et 322.

[4] Idem, p. 325.

[5] Idem, p. 326.

[6] Idem, p. 329.

[7] V. Lamy, Transport, tome 2, éd. 2002, n° 124, p. 89.

[8] MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, A.D.M.O. tome XVI, 1998, p. 109 à 174, spéc. p. 127.

[9] Mais alors, pourquoi les englober sous l’étiquette Non-Vessel-Operating Common Carrier ?

[10] Par opposition au NVOCC qui se dit transporteur.

[11] « Pour la livraison, s’adresser à… » ; Jean-Michel MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 125.

[12] « Pour la délivrance/livraison des marchandises, s’adresser à… ».

[13] « Agents à contacter à destination… ».

[14] Idem, n° 31, p. 23.

[15] MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 129.

[16] En effet, de deux choses l’une : soit la qualification est la bonne et il n’y a pas lieu de craindre une requalification judiciaire ou arbitrale ; soit on a conscience que la qualification est erronée et alors, effectivement, on pressent fortement la sanction de la requalification juridictionnelle.

[17] Idem.

[18] Idem, p. 141.

[19]         « Vous voyez qu’en ce fait la plus forte apparence

Peut jeter dans l’esprit une fausse créance. 

De cet exemple-ci ressouvenez-vous bien ;

Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. »

Sganarelle, (Sganarelle, scène XXIV), de MOLIÈRE (Œuvres, éd. Firmin-Didot et Cie, 1800, tome I, p. 207).

[20] Sur le pouvoir souverain des juges du fond, de requalification desdits opérateurs, v. Martine RÈMOND-GOUILLOUD, op. cit. n° 464, p. 301 ; et plus généralement, MALAURIE et AYNÈS, Droit civil, tome VIII, Les contrats spéciaux, Cujas 1995, n° 7, p. 16. Notons enfin que là où M. MORINIÈRE estime que « le juge peut rechercher la volonté réelle des parties » pour éventuellement requalifier un contrat (Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 129), nous prétendons de plus fort que le juge en a non seulement la faculté (sauf le juge des référés, juge de l’évidence, qui ne peut trancher une contestation sérieuse), mais encore le devoir ; car comment bien juger en matière contractuelle si, avant même d’examiner les termes du litige qui oppose les parties, l’on n’analyse pas d’abord l’étendue de leurs droits et obligations respectifs, tant au vu de l’instrumentum du contrat, qu’au regard d’indices relatifs à la manière dont cette convention a été exécutée en pratique ?                                                                                                                                                                                                                                                         

[21] M. MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, A.D.M.O. tome XVI, 1998, p. 109 à 174, spéc. p. 118 s. et 138 s.

[22] Cet argument relatif à la negligence clause ne peut au mieux que constituer un indice puisque de toute manière, dans les rapports fréteur/affréteur, c’est cette stipulation qui prévaudra, dérogeant au caractère impératif du régime de responsabilité du transporteur.

[23] VIALARD, n° 422, p. 361.

[24] RODIÈRE, BT 1979, p. 322.

Le régime juridique des CAPITAINES de NAVIRES

 

Avertissements : 

Les développements qui suivent, issus de notre Thèse de Doctorat, sont ici reproduits avec une pensée particulière pour le Professeur Antoine VIALARD, qui fut notre Professeur de Droit maritime et Directeur de nos travaux de recherches à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

 

246. Présentation du capitaine Le capitaine de navire est choisi par l’armateur (ce dernier pouvant être une société propriétaire du navire, ou bien un affréteur)[1]. Pour autant, le capitaine de navire ne doit pas être confondu avec le capitaine d’armement (ce dernier étant un « préposé terrestre de l’armateur chargé de pourvoir  aux besoins des capitaines de navires en fait d’équipage »[2]).

Le capitaine de navire (seul maître à bord après Dieu ! pour d’évidentes raisons liées à la permanence du péril marin et à l’isolement historiquement total, puis désormais seulement physique, du navire en cours de navigation) regroupe sur sa tête une multitude de fonctions, très diverses, que l’on classe traditionnellement en trois groupes : des fonctions techniques (conduite du navire et administration du navire), des fonctions commerciales (représentation contractuelle et représentation en justice[3]), et des fonctions publiques (officier d’état civil, notaire, autorités disciplinaire et pénale à son bord). Nous ne reviendrons pas sur les fonctions dites publiques pour lesquelles nous renvoyons aux études réalisées sur ces aspects[4].

 

246-1. Bref regard historique Avant le début des progrès de la communication à distance que l’on peut situer au début du XXème s., ainsi que nous l’avons suggéré, le navire, en mer, était totalement isolé ; et, au port de destination, le capitaine, ne pouvant s’entretenir avec l’armateur demeurant dans le pays du port de départ, était inévitablement conduit à prendre certaines initiatives qu’il estimait utiles, pour le compte de ce dernier. Ainsi, pouvait-il conclure des contrats avec des tiers, sa mission oscillant entre le mandat et la commission. En effet, à l’époque de GROU et WALSH[5], il n’était pas possible aux armateurs de chaperonner leurs capitaines, embarqués pour des mois, pour de lointaines destinations, à bord de magnifiques vaisseaux tels le Massiac, navire de la Compagnie des Indes dont la poupe était, pour l’anecdote, un émerveillement architectural et artistique.

Mais avec les progrès, outre le recul de la magnificence de certaines décorations architecturales navales, les fonctions commerciales du capitaine se sont sensiblement réduites, notamment grâce à l’installation dans les ports de destination, de représentants permanents de l’armateur (commis succursaliste[6] ou agent de l’armateur, ou encore société de ship-management[7]), ou simplement grâce au recours par ce dernier à un représentant occasionnel de ses intérêts (le consignataire du navire[8]). Nous verrons, dans le sens de cette évolution, certaines dispositions de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969. Cette évolution pratique est salutaire pour le capitaine, qui, jadis, devait supporter de très lourdes responsabilités liées à sa grande polyvalence.

En revanche, le nécessaire isolement physique de l’expédition maritime a suscité une particularité en matière de responsabilité du capitaine de navire, qui ne trouve aucun équivalent en droit terrestre, et qui, malgré les évolutions ci-avant évoquées, conserve, à ce jour, toute son actualité[9]. Il s’agit de la responsabilité personnelle du capitaine du navire, en cas de « faute nautique » de sa part, ayant mis en péril l’expédition maritime ; et le caractère personnel de cette faute et de cette responsabilité ne sont nullement remis en cause par la qualité juridique que peut, par ailleurs, revêtir ledit capitaine (préposé ou mandataire)[10].

 

247. Division Avant d’examiner en quelles circonstances le capitaine de navire est amené, notamment, à contracter pour le compte de l’armateur (paragraphe 2), il convient préalablement de définir la nature de ce personnage (préposé, mandataire ?) (paragraphe 1). Il nous faudra enfin brosser le portrait de son régime de responsabilité (paragraphe 3).

 

Paragraphe 1. Recherche de la nature de la fonction de capitaine de navire

 

248. Énoncé de la difficulté « Réduire le capitaine à la qualité de préposé faisait rugir CHAUVEAU, qui ne se résolvait pas à ramener au rang des domestiques de l’art. 1384, al. 5 C. civ. ce personnage doté d’un pouvoir autonome de commandement, de larges pouvoirs légaux de représentation et d’une très large indépendance du fait de son éloignement du port d’attache »[11]. Le débat est lancé !

  

249. Le capitaine est signataire d’un contrat de travail (« contrat d’engagement ») salarié Nonobstant la relative indépendance du capitaine évoquée supra, au sens des dispositions de l’art. 1384, al. 5 du Code civil[12], tout employé salarié, fût-il capitaine de navire, est en premier lieu préposé de son employeur ou commettant.

   

249-1. Détermination du commettant du capitaine Il peut paraître surprenant de prétendre rechercher le commettant. Cependant, la diversité des situations pratiques exige certaines précisions.

Si le commettant est le propriétaire du navire, il n’y a pas de difficulté, à moins que la même personne cumule la qualité de propriétaire et capitaine d’un même navire. Dans ce cas, par application des dispositions de l’art. 69, al. 3 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, il convient d’opérer une distinction suivant que, au moment du dommage, l’auteur du dommage agissait ès-qualité de capitaine ou ès-qualité d’armateur propriétaire[13].

Si le navire a été affrété au voyage (voyage charter), le fréteur conservant la gestion nautique et commerciale du navire (art. 7 du décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes), c’est lui qui sera le commettant du capitaine[14].

Si le navire est affrété à temps ordinaire (time charter), le fréteur ne conserve que la gestion nautique du navire (art. 20 du même décret), la gestion commerciale étant confiée à l’affréteur, qui pourra prendre la qualité de transporteur en émettant un connaissement. Pour la gestion nautique, le commettant du capitaine est donc le fréteur, et pour la gestion commerciale, le commettant est l’affréteur. Il faudra donc distinguer entre les fautes du capitaine survenues dans le cadre de la gestion nautique (par exemple échouage du navire), de celles survenues dans le cadre de la gestion commerciale (par exemple lors de l’émission d’un connaissement ne comportant pas toutes les mentions nécessaires)[15].

Mais les fautes nautiques du « capitaine, pilote ou autre préposé du transporteur » sont, en droit français (loi du 18 juin 1966, art. 27, al. 1, b), et dans le cadre de la Convention de Bruxelles (art. 4, § 2, a), exclusives de la responsabilité du transporteur, en ce qu’elles constituent un « cas excepté ».

Si l’affréteur sous-affrète le navire, le commettant du même capitaine, pour la gestion commerciale, sera le sous-affréteur[16].

Si le navire est affrété coque nue (bare boat charter), l’affréteur prend à sa charge la totalité de la gestion du navire (nautique et commerciale), et c’est donc lui qui sera le commettant du capitaine[17].

Enfin, il est un cas exceptionnel où le capitaine de navire aura pour commettant un autre capitaine de navire : à l’occasion d’un remorquage.

Lorsqu’il s’agit de remorquage portuaire, cette opération se réalise sous la direction du capitaine du navire remorqué (art. 26, al. 1 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes) : le capitaine du navire remorqué devient le commettant du capitaine du navire remorqueur ; et inversement, lors d’un remorquage hauturier (en haute mer), cette opération se réalise sous la direction du capitaine du navire remorqueur (art. 28, al. 1 de la même loi) : le capitaine du navire remorqueur devient le commettant du capitaine du navire remorqué[18].

    

249-2. Conséquences de la qualité de préposé du capitaine D’une part, le capitaine, ès-qualité de préposé, engage en principe la responsabilité de son commettant pour les fautes qu’il a commises dans l’exercice de ses fonctions[19] (art. 1384, al. 5, C. civ.).

Cependant, la portée de ce texte éminemment « terrestre » a été adaptée au monde de la mer, où l’on relève l’existence d’un usage ancestral de non-responsabilité de l’armateur pour les fautes nautiques commises par ses préposés[20]. Ainsi que nous l’avons dit, la faute nautique du capitaine ou d’un membre de l’équipage exonère l’armateur, mais aussi le transporteur (sauf dans le cadre de la Convention de Hambourg qui ne reprend pas ce « cas excepté »).

D’autre part, les qualités de gardien au sens de l’art. 1384, al. 1er, du Code civil (pouvoir, usage, direction et contrôle de la chose[21]) et de préposé (dépendance totale ou partielle) étant incompatibles[22], la Cour de cassation a admis l’application de cette incompatibilité au profit du capitaine de navire, qui, parce qu’il est préposé de son commettant, n’a pas la qualité de gardien du navire, et n’est pas responsable des dommages qui pourraient être causés par le fait du navire[23]. Enfin, depuis l’arrêt d’Assemblée Plénière du 25 février 2000, précité, il semble que, dès lors que le capitaine n’aura pas excédé les limites de la mission à lui assignée par l’armateur, sa responsabilité personnelle, même en cas de faute nautique, ne pourra nullement être recherchée[24].

De troisième part, si le capitaine, ès-qualité de préposé, cause un dommage à autrui (ou à un bien appartenant à autrui), mais en agissant en dehors de sa stricte mission contractuelle, il se place alors dans le champ de l’article 1382 du Code civil, le droit commun retrouvant son empire.

         

250. Le capitaine mandataire Le capitaine peut encore, à certains égards, être mandataire de l’armateur. Mais nous sommes à présent très loin des prérogatives quasi « ouvertes » d’il y a encore 150 ans.

–          L’art. 6 de la loi précitée du 3 janvier 1969 limite géographiquement les pouvoirs de représentation du capitaine. Il ne pourra éventuellement représenter l’armateur que « hors des lieux où l’armateur a son principal établissement ou succursale », mais encore, il ne pourra le représenter qu’aux fins de pourvoir « aux besoins normaux du navire et de l’expédition ». Voilà des dispositions qui limitent déjà sensiblement les pouvoirs de représentation du capitaine.

–          Pour tout autre représentation de l’armateur, le capitaine doit se prévaloir d’un « mandat exprès de l’armateur ou, en cas de communications impossibles avec lui, avec l’autorisation du tribunal compétent ou, à l’étranger, de l’autorité consulaire » (art. 7).

–          Enfin, « hors des lieux où l’armateur a son principal établissement ou une succursale, le capitaine peut, en cas d’urgence, prendre au nom de l’armateur toutes dispositions conservatoires des droits de l’armateur, des passagers et des chargeurs » (art. 8, al. 1) ; le capitaine est alors réputé avoir agi comme gérant d’affaires (art. 8, al. 2)[25].

Le mandant du capitaine est celui qui détient la gestion commerciale du navire[26].

   

251. Conclusion A l’issue de cet examen, il apparaît que le capitaine de navire est principalement un préposé, et accessoirement un mandataire de l’armateur, mais qu’il cumule, au moins potentiellement, les deux qualités[27].

         

Paragraphe 2. Fonctions du capitaine de navire contractant

 

252. Le capitaine de navire contractant Sur la forme, le capitaine de navire pourra représenter l’armateur dans la conclusion de contrats, dans toutes les limites qui viennent d’être rappelées en matière de mandat. Sur le fond, les contrats à conclure seront des contrats de remorquage, de manutention ou d’acconage, de pilotage ou de subrécargue[28] ; en cas d’urgence, ce pourra être par exemple un transbordement sur un autre navire et la conclusion d’un contrat de transport, pour sauver les marchandises qui étaient à bord d’un navire atteint d’une importante voie d’eau et menaçant de sombrer.

Dans ce dernier cas, « les marchandises sauvées ou sacrifiées contribuent (aux avaries communes) en proportion de leur valeur marchande réelle ou supposée au port de déchargement » (art. 31 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 préc.)[29]. Pour que les cocontractants de l’urgence bénéficient de ce privilège pour le paiement de leur prestation, « la jurisprudence exige que le contrat ait été conclu par le capitaine, hors du port d’attache et d’un port où l’armateur aurait un représentant à terre et dans les limites des pouvoirs légaux du capitaine »[30].

           

Paragraphe 3. Responsabilités du capitaine de navire

 

253. Diversité des responsabilités Outre ses responsabilités pénale et disciplinaire[31], le capitaine de navire engage sa(ses) responsabilité(s) civile(s)[32], contractuelle (A) et délictuelle (B).

 

A. Les responsabilités contractuelles du capitaine[33]

             

254. Le principe de la responsabilité pour faute prouvée du capitaine Conformément au principe de l’effet relatif, le capitaine de navire n’engage sa responsabilité contractuelle qu’à l’égard de son commettant ou de son mandant ; bref, à l’égard de toute personne de laquelle il tient, sur le fondement d’un contrat, certains pouvoirs, certaines obligations.

L’art. 5 de la loi du 3 janvier 1969 entérine une solution jurisprudentielle antérieure[34] en disposant que : « Le capitaine répond de toute faute commise dans l’exercice de ses fonctions ». En d’autres termes, sa responsabilité ne peut être engagée que pour faute prouvée : il n’est tenu que d’une obligation de moyens[35].

        

255. Distinction entre faute nautique et faute commerciale du capitaine L’intérêt de la qualification de la nature de la faute commise par le capitaine se manifeste à un double titre, ainsi que nous l’avons évoqué supra : d’une part, dans le cadre d’un affrètement à temps, les gestions nautique et commerciale du navire étant scindées en deux (la gestion nautique incombant au fréteur, la gestion commerciale relevant de l’affréteur), la qualification de la nature de la faute commise par le capitaine permettra de déterminer si la responsabilité engagée du fait du capitaine est celle du fréteur ou celle de l’affréteur ; d’autre part, la faute « nautique » du capitaine est un cas exonératoire de responsabilité pour le transporteur maritime en droit interne français ainsi que dans la Convention de Bruxelles (mais pas dans les Règles de Hambourg).

            

256. Qualification impérative et motivée D’où la nécessité de tracer une ligne de crête entre les deux catégories. Le caractère impérieux de la qualification de la faute en cause est particulièrement sensible pour les juges du fond (et tout autant pour les arbitres) ; la haute juridiction française a d’ailleurs sanctionné des magistrats qui certes avaient qualifié une faute de « nautique », « sans préciser en quoi la sécurité du navire s’en était trouvée compromise »[36].

         

257. La faute nautique dans la Convention de Bruxelles : évolution du critère de qualification La Convention de Bruxelles prévoyait, dès l’origine (1924), que « ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant : a) des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote, ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l’administration du navire » (art. 4, § 2, a)[37]. La version anglaise de la dernière partie de la formule[38] pose problème. Si l’on voit bien à quoi peut correspondre la faute dans la navigation, il est plus délicat (obscur ?) de déterminer ce qu’il faut entendre par management of the ship. Cette interrogation n’est pas le fruit des seuls juristes français. Les Anglais eux-mêmes sont « embarrassés »[39] à cet égard. CHAUVEAU avait proposé un critère de qualification permettant une meilleure appréhension de la faute nautique dans son ensemble, comprenant les deux aspects distincts de la notion : est nautique toute faute qui pourrait survenir en l’absence de cargaison à bord du navire[40]. Donc, outre les fautes de navigation au sens strict, on peut y ajouter les fautes concernant les agrès et apparaux, ainsi que, plus largement, la structure du navire, et tout ce qui s’y rattache. La jurisprudence n’a pas retenu directement ce critère. Dans son ensemble, elle a d’abord considéré comme faute nautique, toute faute de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime[41]. Dans l’hypothèse où une faute pourrait être à la fois commerciale (atteinte aux marchandises) et nautique (atteinte à la sécurité de l’expédition maritime), par exemple parce qu’un arrimage défectueux d’une marchandise altère celle-ci en se déplaçant, tout en provoquant une gîte dangereuse du navire, compte tenu du poids de cette marchandise, et perce la coque du navire, engendrant une voie d’eau (la marchandise était ici un camion)[42], c’est la qualification de faute nautique qui l’a emporté, au regard de l’impérieux maintien de la sécurité du navire lui-même.

En revanche, il a été jugé[43] que lorsque c’est une faute de manutention lors du déchargement du navire, qui est à l’origine de la perte d’une partie des marchandises (déchargement d’une remorque, provoquant le désarrimage des autres remorques et de leur chargement, ainsi qu’une gîte de 45° nécessitant le jet à la mer d’une partie des marchandises pour éviter de perdre le navire), le transporteur ne peut s’exonérer en invoquant une faute nautique au sens de l’art. 4, § 2 de la Convention de Bruxelles de 1924. Ainsi que l’a pertinemment observé M. BONASSIES, « il semble bien qu’après (cet arrêt) il faille refuser toute incidence (au) critère de sécurité. Peu importe que la faute commise par le capitaine ait ou non affecté la sécurité du navire. Le seul critère auquel on doive se référer est celui du but de l’opération fautive »[44]. Plusieurs décennies ont donc été nécessaires à la détermination, par la jurisprudence française, du critère le plus pertinent.

Peut-être aurait-il été souhaitable de s’intéresser plus tôt au droit comparé, d’examiner les différentes solutions proposées et d’étudier les effets potentiels de chacune d’elles. Ainsi, le droit américain (US) connaît cette solution depuis (au moins) 1905, date d’un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis[45] !

          

258. Absence de référence à la faute nautique dans la Convention de Hambourg La Convention de Hambourg rompt avec la tradition maritime que nous avons évoquée, en ne reprenant pas la faute nautique comme cause exonératoire de responsabilité pour le transporteur maritime (le texte met en revanche l’accent sur les incendies et les retards à la livraison). C’est là, une marque de modernité évidente, la tradition historique de la faute nautique du capitaine, ès-qualité de cas excepté de responsabilité du transporteur maritime, constituant désormais un anachronisme injuste… mais un anachronisme qui sert, désormais, les intérêts financiers des assureurs maritimes, qui verraient d’un très mauvais œil l’alourdissement de la responsabilité des transporteurs maritimes qu’ils sont censés assurer. S’opposent donc des intérêts purement juridiques (en faveur de la modernisation des règles de responsabilité du transporteur maritime[46]), à des intérêts strictement économiques (en faveur de l’immobilisme juridique du statut du transporteur maritime). Et, ainsi que l’observe le Professeur VIALARD, en l’état de l’opposition de ces groupes de pressions au rang desquels figurent, en bonne place, les assureurs londoniens (la Lloyd’s notamment), la France, même si ses juristes approuvent cette modernité insufflée par la Convention de Hambourg, ne peut, seule, ratifier ladite Convention, car alors, les transporteurs français se trouvant soumis à cette Convention, devraient répercuter cet alourdissement de responsabilité dans leurs tarifs (les taux du fret augmenteraient d’autant), tandis que les armateurs britanniques conserveraient leur régime actuel (Convention de Bruxelles) (et leurs taux de fret actuels) ; en conséquence, la loi de la concurrence détournerait les chargeurs des transporteurs maritimes français, au profit des transporteurs britanniques. La meilleure solution consisterait en une ratification concomitante de la Convention de Hambourg par la plupart des Etats européens, mais la pression exercée par les assureurs empêche, pour l’heure, ce dépoussiérage du droit conventionnel des transports maritimes.

L’art. 5, § 1 de la Convention de Hambourg prévoit que « le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises ainsi que du retard à la livraison, si l’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard a eu lieu pendant que les marchandises étaient sous sa garde au sens de l’art. 4, à moins qu’il ne prouve que lui-même, ses préposés ou mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées pour éviter l’événement et ses conséquences ». Outre la classique présomption de responsabilité du transporteur, le texte prévoit que ce dernier pourra se libérer en prouvant que lui et ses préposés ont été raisonnablement diligents pour éviter l’événement dommageable ou réduire les conséquences de celui-ci. Le texte ne distingue pas selon que le fait dommageable revêtirait un caractère strictement commercial, ou nautique. : ubi lex non distinguit… L’art. 5, § 1 des Règles de Hambourg aligne donc tacitement le régime des fautes nautiques sur celui des fautes commerciales (les rédacteurs du texte ne pouvant ignorer cette distinction).

Donc, dans le système des Règles de Hambourg, et sous réserve de leur applicabilité ès-qualité de lex contractus, le transporteur maritime est responsable de toutes ses fautes, fussent-elles nautiques ou commerciales, à moins qu’il ne prouve que lui-même, ses préposés ou mandataires ont pris toute mesure de nature à éviter le dommage ou les conséquences de celui-ci.

       

259. La faute nautique en droit interne français L’art. 27, b), de la loi du 18 juin 1966 dispose que : « Le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison, à moins qu’il ne prouve que ces pertes ou dommages proviennent : (…) b) des fautes nautiques du capitaine, du pilote ou d’autres préposés du transporteur (tels les manutentionnaires et acconiers) ».

Interprétant ces dispositions, la jurisprudence a retenu, dans son ensemble, que la faute nautique serait celle qui aura mis le navire en péril, c’est-à-dire qui aura compromis sa sécurité, et, a contrario, que la faute commerciale serait celle qui n’aura mis en péril que les marchandises (ce qui implique, a priori, qu’en cas de cumul, la faute nautique doive prévaloir sur la faute commerciale)[47]. Or, il a pu être constaté[48] que, récemment, la jurisprudence s’oriente plutôt vers la prévalence de la faute commerciale et, donc, de l’engagement de la responsabilité du transporteur.

Il a ainsi été jugé[49] qu’un capitaine de navire qui prend la mer malgré un avis de tempête engage la responsabilité du transporteur (ici : un fréteur ayant émis une charte-partie GENCON), lequel ne peut pas invoquer une faute nautique du précédent : il y a donc faute commerciale. Le Professeur TASSEL approuve cette solution, considérant que « la décision d’appareiller concerne l’expédition maritime et non le navire lui-même » ; qu’à la suite de M. BONASSIES, « la faute nautique pourrait voir son domaine limité aux fautes commises en mer » ; et que « l’état de la mer est pris en compte dans un cas exonératoire de responsabilité spécifique, celui des faits constituant un événement non imputable au transporteur »[50].

Néanmoins, nous critiquons cette solution, car c’est là, selon nous, aller directement à l’encontre des dispositions des art. 5 et 6 de la loi de 1966, qui étaient applicables en la cause. Les magistrats de Rouen ont ôté toute responsabilisé à un capitaine qui avait manifestement commis une faute grave, en discordance avec les techniques et conseils de navigation qui lui ont été prodigués pour l’obtention de son diplôme[51] ! Nous considérons qu’il s’agit plus d’une dérive jurisprudentielle que d’une « évolution ». Examinons les arguments de M. TASSEL.

1. « La décision d’appareiller concerne l’expédition maritime et non le navire lui-même ». Cette observation est exacte. Mais, en cas de tempête, avant de s’inquiéter pour les marchandises dont le sort est finalement accessoire, il convient au premier chef de s’intéresser à la sécurité du navire lui-même, dont le sort est pour le moins capital.

On pourra alors observer que l’arrêt Aude de 1991 a abandonné le critère de la sécurité du navire pour celui du but de l’opération fautive. Le fait de « prendre la mer » a-t-il un but nautique ou un but commercial ? M. TASSEL s’engouffre dans la réponse : « time is money »[52], plaidant pour le but essentiellement commercial. Cela est encore exact ; mais par extension, tout à un but commercial, y compris les fautes dont personne ne conteste le caractère « nautique », qui sont commises, finalement, elles aussi, dans un but commercial. Nous ne partageons pas le choix de cette extension en ce qui concerne la décision d’appareiller, qui, selon nous, constitue chronologiquement le début du périple marin… et du péril marin.

2. Le second argument de M. TASSEL est le suivant : à la suite de M. BONASSIES, « la faute nautique pourrait voir son domaine limité aux fautes commises en mer ». M. BONASSIES a écrit exactement ceci : « Si la jurisprudence nouvelle se confirme (l’arrêt Aude), la faute « nautique » verra son domaine limité pour l’essentiel aux fautes commises en mer »[53]. Les propos autorisés de M. BONASSIES ne nous paraissent pas exclure du champ des fautes nautiques, la décision d’appareiller. La formule de l’auteur conserve une certaine souplesse qui autorise certaines précisions. Nous pensons fermement, ainsi que nous l’avons déjà dit, que la décision d’appareiller, notamment au regard des conditions atmosphériques, marque l’entrée dans la phase maritime et donc nautique.

3. « L’état de la mer est pris en compte dans un cas exonératoire de responsabilité spécifique, celui des faits constituant un événement non imputable au transporteur ». Le dernier argument de M. TASSEL est exact en apparence, mais nous paraît également critiquable sur un point.

Le cas excepté de l’art. 27, d), de la loi de 1966 (« faits constituant un événement non imputable au transporteur ») recouvre certains cas exceptés de la Convention de Bruxelles [parmi lesquels, les périls de la mer : art. 4, § 2, d) de la Convention]. Or, il est constant en droit positif interne que, pour se prévaloir utilement de ce cas excepté, encore faut-il que la circonstance à l’origine du fait dommageable ait été imprévisible et irrésistible[54].

Dans ces conditions, comment affirmer que l’état de la mer et plus particulièrement la tempête préalablement annoncée par un avis spécial, était « pris en compte » dans le cas excepté de l’art. 27, d) de la loi (péril marin imprévisible et irrésistible) ?

           

259-1. Cas particulier de l’arrimage défectueux d’une marchandise L’art. 38 du décret du 31 décembre 1966[55], à l’instar de l’art. 3, § 2, de la Convention de Bruxelles (1924 et Visby)[56] (et contrairement à la Convention de Hambourg[57]), fait expressément obligation au transporteur de s’assurer personnellement de l’arrimage des marchandises. Un arrimage défaillant par le capitaine est donc réalisé « pour le compte du transporteur »[58]. En ce sens, et nous ne pouvons qu’approuver la jurisprudence française qui qualifie le plus souvent cette faute dans l’arrimage des marchandises, de « commerciale », par opposition à la faute « nautique »[59].

           

260. Conclusion sur le critère de distinction entre faute nautique et faute commerciale : la faute de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime Au vu de tout ce qui précède, le critère phare de la distinction entre faute nautique et faute commerciale pourrait bien être celui du but de l’opération fautive[60]. Mais, comme il peut parfois y avoir doute sur ce but, il nous paraît sage de nous en remettre au critère de la faute mettant en péril la sécurité du navire, qui, s’il n’est pas parfait, présente l’avantage d’être éminemment pratique ; et c’est d’ailleurs la position adoptée par le Professeur VIALARD : la faute nautique est celle qui est « de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime tout entière »[61].

A cela, il faut ajouter que la Cour de cassation s’est prononcée en un sens proche (mais sa solution est plus complexe), au visa de l’art. 4, § 2, a), de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans un arrêt du 20 février 2001 : « en se déterminant ainsi, alors que le caractère nautique d’une opération n’entraînant pas nécessairement le caractère nautique de la faute commise au cours de cette opération, la Cour d’appel, qui n’a pas précisé en quoi la faute avait intéressé l’équilibre et la sécurité du navire et n’avait pas eu d’effet que sur la marchandise transportée (cargaison de sucre mouillée), n’a pas donné de base légale à sa décision »[62]. Ce qui est curieux, c’est la fin de la formule, qui semble signifier que c’est à partir de l’étendue des résultats de la faute qu’il faut qualifier cette faute (si la marchandise a seule subi un dommage, et non le navire, la faute ne pourrait être, ipso facto, que commerciale)[63]. Donc, pour la Cour de cassation, pour être nautique, la faute devrait être dommageable à la fois au navire et à la marchandise, ce qui revient à nier l’existence d’une faute nautique qui ne causerait de dommages qu’aux marchandises transportées. Cette solution a déjà commencé de recevoir application auprès des juridictions du fond[64].

          

261. Première conclusion : l’avenir incertain de la faute nautique Il n’est pas exclu que dans quelques décennies, il ne soit plus d’actualité de chercher à définir le ou les critères de la faute nautique car celle-ci pourrait disparaître en tant que cause d’exonération de responsabilité du transporteur maritime. Le Professeur MOLFESSIS relève ainsi notamment, que la jurisprudence de la Cour de cassation « semble guidée par le seul résultat à atteindre », le but de sa politique juridique étant de « restreindre singulièrement la faculté d’exonération du transporteur »[65]. Pour le reste, sous un titre évocateur, l’auteur envisage ce qui pourrait bien être le prélude du « Requiem pour la faute nautique »[66]. Et le Professeur TASSEL d’ajouter : « On s’accorde à admettre soit que la faute nautique doit disparaître en tant que cause d’exonération du transporteur maritime, soit qu’elle doit être contenue dans une interprétation des plus restrictives qui la cantonnerait à la conduite du navire à la mer [ce que les anglais nomment « error in navigation »] »[67].

           

262. Seconde conclusion : la mort de la faute nautique et l’avènement de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (art. 1384, al. 5, du Code civil) Mais, dès à présent, la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation en matière de responsabilité des préposés à l’égard des tiers [« n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant », Ass. Plén. 25 février 2000 (Costedoat), précité], n’est-elle pas de nature à protéger le capitaine de navire ès-qualité de préposé de l’armateur (son commettant) en cas de faute nautique commise dans l’exercice de sa mission ? Nous le pensons. En conséquence, grâce à la portée de l’arrêt précité de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, la faute nautique du capitaine, dès à présent, n’est plus de nature à exonérer l’armateur transporteur : au contraire, sa responsabilité, ès-qualité de commettant du capitaine, est définitivement engagée à l’égard de toute personne victime d’une mauvaise exécution du contrat de transport, et il ne dispose d’aucun recours contre le capitaine dès lors que cette faute nautique n’a pas excédé le cadre de sa mission.

L’article 1384, al. 5, du Code civil (nouvellement interprété) a tué la faute nautique !

 

 

B. La responsabilité délictuelle du capitaine

 

263. La responsabilité délictuelle du capitaine Conformément aux canons de la responsabilité civile délictuelle, la responsabilité du capitaine ne peut être engagée que s’il est prouvé une faute personnelle de sa part, un dommage (réserves, expertises…), et un lien de causalité entre les deux, et, pouvons-nous ajouter, pour un dommage ne résultant pas d’une inexécution de sa mission contractuelle[68].

 

 


[1] Art. 4 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.

[2] CORNU, Vocabulaire juridique, V° Capitaine.

[3] Sur les spécificités du capitaine représentant l’armateur en justice, v. VEAUX, Capitaine, J.-Cl. Com. fasc. 1155 (éd. 1998), n° 65 et 66.

[4] VEAUX, n° 67 à 71 ; VIALARD, n° 199 et 200.

[5] Richissimes armateurs Nantais du début du XVIIIème s., la ville de Nantes étant alors, aux termes d’un mémoire de 1704, le port de l’Atlantique enregistrant le plus grand trafic commercial (et négrier…) : v. Armel de WISMES, Les ports de Bretagne au temps de la grande marine à voile, éd. J.-P. GYSS, 1998, p. 127, s.

[6] Art. 5 du décret n° 69-679 du 19 juin 1969 relatif à l’armement et aux ventes maritimes.

[7] VIALARD, n° 188.

[8] Art. 18 du même texte.

[9] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, Contrat de transport de marchandises, Responsabilité du transporteur, Régime interne : règles de fond, Juris-Classeur com. fasc. 1266 (éd. 1997), n° 16, § 2.

[10] Sur les qualités de préposé et mandataire, v. infra, n° 249-2 et 250 ; sur la faute nautique, v. infra, n° 255, s.

[11] VIALARD, n° 201.

[12] Comp. art. 1797 du même Code sur la responsabilité de l’entrepreneur « du fait des personnes qu’il emploie ».

[13] Art. 69, al. 3 de la loi : « Si le propriétaire du navire, l’affréteur, l’armateur ou l’armateur-gérant est le capitaine ou un membre de l’équipage, la disposition de l’alinéa précédent (faculté pour le capitaine et autres membres d’équipage, d’invoquer la limitation de responsabilité du propriétaire de navire même lorsqu’ils ont commis une faute personnelle) ne s’applique qu’aux fautes qu’il a commises dans l’exercice de ses fonctions de capitaine ou de membre de l’équipage ». A contrario, le propriétaire-capitaine ne peut pas invoquer la limitation de responsabilité du propriétaire de navire s’il a commis une faute en cette dernière qualité : VEAUX, préc. n° 14. Contra : une décision antérieure à la loi : Paris, 7 janvier 1956, DMF 1956, p. 220, note SAUVAGE.

[14] Solution acquise avant le décret : Cass. com. 6 juillet 1961, DMF 1961, p. 593, note RODIÈRE, et Bull. n° 316.

[15] Sur la distinction entre fautes nautiques et fautes commerciales, v. infra, n° 249-2 et 250.

[16] TC Seine, 4 juillet 1967, DMF 1968, p. 225.

[17] VEAUX, n° 15.

[18] VEAUX, n° 19, s.

[19] « N’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant » : Ass. Plén. 25 février 2000 (Costedoat),  D 2000, p. 673, note BRUN ; D 2000, somm. 467, obs. DELEBECQUE ; JCP 2000.II.10295, conclusions KESSOUS et note BILLIAU ; JCP 2000.I.241, n° 5, obs. VINEY ; RJDA 2000, p. 395, obs. DORLY ; RTDCiv. 2000, p. 582, obs. JOURDAIN ; Resp. civ. et ass. 2000, chron. n° 11, obs. GROUTEL ; Droit et patrimoine 2000, n° 82, p. 107, obs. CHABAS. V. aussi : R. KESSOUS et F. DESPORTES, Les responsabilités civile et pénale du préposé et l’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 février 2000, Rapport annuel de la Cour de cassation 2000, La documentation française, Paris, 2001, p. 257 à 275 ; P. BONASSIES, Le droit positif français en 2000, DMF hors série, mai 2001, n° 25, p. 34. Monsieur BONASSIES observe que « c’est une règle d’une extrême importance qui est affirmée : celle de l’immunité civile du préposé pour les fautes commises dans l’exercice de sa mission », solution qui ramène à la vie la thèse de Robert GARRON (La responsabilité personnelle du capitaine de navire, Aix-en-Provence, 1964) selon laquelle le capitaine ne devait engager sa responsabilité civile personnelle que « dans la mesure où il aura commis une faute caractérisée, une faute lourde, une faute détachable de son service » (thèse précitée, n° 76). V. enfin : Pierre BONASSIES, Aspects nouveaux de la responsabilité du capitaine, DMF 2002, p. 2, spécialement p. 7, s.

Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, soulignons que, antérieurement à l’arrêt Costedoat, le commettant dont la responsabilité civile avait été engagée en raison d’une faute imputable à son préposé, disposait, par principe, d’un droit de recours ou d’appel en garantie contre ce dernier, essentiellement pour des raisons de solvabilité au regard du tiers victime. Désormais, ce principe est renversé : aucun recours n’est possible contre le préposé (arrêt Costedoat), sauf si le préposé a commis une faute personnelle en dehors de ses fonctions (Civ. 2ème, 18 mai 2000, Bull. n° 84 ; JCP 2000.I.280, n° 19, obs. VINEY ; Gaz. Pal. 22 avril 2001, somm. obs. CHABAS).

[20] VEAUX, n° 11.

[21] Arrêt Franck : Chambres réunies, 2 décembre 1941, S 1941, p. 217, note H. MAZEAUD / JCP 1942.II.1766, note J. MIHURA.

[22] Ce principe, quoique de droit positif (v. récemment : Civ. 2ème, 1er avril 1998, RTDCiv. 1998, p. 914, obs. MESTRE), n’en est pas moins critiqué par une partie de la doctrine : M.-A. PÉANO, L’incompatibilité entre la qualité de gardien et celle de préposé, D 1991, chron. 5 ; A. VIALARD, op. cit. n° 218, p. 190 : « depuis les arrêts de l’Assemblée Plénière du 9 mai 1984 [époux Gabillet, Bull. n° 1 / D 1984, p. 525, concl. CABANNES, note CHABAS / JCP 1984.II.20255 (1ère espèce), note de JEAN de la BÂTIE / RTDCiv. 1984, p. 508, obs. HUET] reconnaissant dans l’enfant non discernant le gardien des choses qu’il utilise, le principe d’incompatibilité des fonctions de gardien et de préposé devient tout simplement grotesque et incohérent » ; en effet, en droit positif, l’enfant en bas-âge est gardien d’un bâtonnet de bois (jurisprudence confirmée plus récemment : Civ. 2ème, 24 mai 1991, Bull. n° 159), tandis que le capitaine de navire n’est pas gardien de son navire… Pareille solution ferait sûrement bondir CHAUVEAU, dont on connaît la position sur le statut du capitaine.

[23] Exemple : rupture d’une amarre lors d’une manœuvre d’accostage, blessant mortellement un officier du port, Rouen, 8 juillet 1966, DMF 1966, p. 741, note M. OSMONT.

[24] Par application de la jurisprudence nouvelle, le capitaine du navire de croisière Cristal Symphony  qui, en mai 2001, n’a pas respecté la vitesse maximale autorisée, a créé une grande vague qui a causé certains dommages matériels en s’écrasant contre, et parfois en submergeant, certaines rives et digues de la Garonne (notamment sur la commune de Saint-Louis de Montferrand), ne devrait pas engager sa responsabilité personnelle, si l’on considère qu’il a commis une faute dans l’exercice de sa mission. En dehors du cadre d’une faute nautique (comme le dépassement de la vitesse autorisée), il avait déjà été jugé qu’un capitaine n’est pas responsable du dommage causé (notamment à des automobilistes) par le déferlement d’une vague qui n’a pu être stoppé en raison d’une brèche existant dans la paroi d’une digue : Rouen, 24 novembre 1983, BT 1984, p. 373. Avec la jurisprudence nouvelle, la responsabilité du fait des choses (et spécialement du navire) engageant la responsabilité des armateurs se trouve renforcée, tandis que, corollairement, celle des capitaines se trouve allégée.

[25] Sur le régime de la gestion d’affaires (quasi-contrat), v. art. 1372 à 1375 du Code civil ; H., L., J. MAZEAUD, F. CHABAS et M. de JUGLART, n° 669, s. et les réf.

[26] VEAUX, n° 23, et les réf.

[27] En ce sens : VIALARD, n° 201, s.

[28] Nous reviendrons en temps utile sur chacun de tous ces contrats.

[29] Comp. De lege Rodia de Jactu, La loi de Rhodes sur le jet à la mer (d’après le Digeste de Justinien), trad. M. CHEVREAU, directeur du CESAM de Bordeaux (Comité d’Etudes et de Services des Assureurs Maritimes et Transports de France), novembre 1999.

[30] VEAUX, n° 64, et les réf.

[31] VEAUX, n° 50 à 53. Complétez avec la loi du 10 juillet 2000 (JO 11 juillet, D 2000, lég. 325 modifiant l’art. 121-3 du Code pénal, et dont les termes généraux, qui permettent une application aux capitaines de navires, allègent les conditions des délits non intentionnels. Add. les observations de Monsieur BONASSIES, in Le droit positif français en l’an 2000, DMF hors série n° 5, mai 2001, n° 7, p. 11 ; et, du même auteur : Aspects nouveaux de la responsabilité du capitaine, DMF 2002, p. 2, spécialement pp. 5 et 6. V. aussi : Jean-Paul DECLERCQ, A propos de poursuites suite à un abordage : la responsabilité pénale du capitaine, ADMO 1999, p. 57.

[32] BONASSIES, La responsabilité du capitaine, Annales IMTM 1991, p. 133 ; ODIER, Responsabilité du capitaine, ADMA, tome XII, 1993, p. 293.

[33] Le pluriel employé ici se justifie au regard des doubles compétences du capitaine : nautique et commerciale.

[34] Cass. com. 30 mars 1965, Bull. n° 240 ; DMF 1965, p. 480.

[35] VEAUX, n° 38 et 39.

[36] Cass. Com. 17 juillet 1980, Bull. n° 302 ; DMF 1981, p. 209, note ACHARD.

[37] Remarquons que la loi de 1966 globalise ces deux aspects sous la formule de : « faute nautique ».

[38] La version d’origine, anglaise, dispose ici : « in the navigation or in the management of the ship ».

[39] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, J.-Cl. Com. fasc. 1266 (éd. 1997), spéc. n° 18.

[40] CHAUVEAU, Droit maritime, Litec 1958, n° 808.

[41] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, n° 19, et les réf.

[42] Cass. com. 4 juillet 1972, Bull. n° 214 / DMF 1972, p. 717 / D 1973, p. 41, note RODIÈRE ; dans le même sens : Cass. com. 12 avril 1976, DMF 1976, p. 685.

[43] Cass. com. 26 février 1991, Aude, DMF 1991, p. 358 ; BTL 1991, p. 375, obs. CHAO ; DMF 1992, p. 158 à 162, n° 75, obs. BONASSIES.

[44] BONASSIES, obs. préc. spéc. p. 160.

[45] V. l’affaire du navire Germanic qui, en cours de déchargement, et alourdi par la glace, a sombré dans le port de Hambourg, citée par M. BONASSIES, préc. pp. 160 et 161. L’auteur indique même (p. 162), que cette solution somme toute raisonnable, figurait déjà dans un projet de loi présenté au Sénat américain dès 1892

[46] Le Professeur VIALARD nous fait observer que « la doctrine française travaille, depuis cinquante ans, à la suppression des cas exceptés, à commencer par la faute nautique, qui est devenue le symbole d’un système de responsabilité inique ». Dans le même sens, mais en termes moins percutants : v. VEAUX-FOURNERIE et VEAUX (fasc. 1266, préc. n° 26), qui considèrent « un peu anachronique » l’exonération du transporteur pour faute nautique de l’équipage.

[47] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, préc. n° 20, in fine.

[48] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, n° 26.

[49] Rouen, 13 juillet 1994, DMF 1995, p. 540, obs. Y. TASSEL.

[50] TASSEL, obs. préc. p. 546.

[51] Sur la formation et les différents degrés de compétence des capitaines de navires, v. A. VIALARD, n° 195.

M. RÈMOND-GOUILLOUD précise que lorsque la faute du capitaine « est grossière au point que ses compétences sont mises en cause, c’est le choix de son commettant qui est critiquable : la faute est alors justement requalifiée en faute commerciale : ainsi pour un défaut de surveillance au cours d’une relâche (Cass. com. 2 juin 1987, BT 1987, p. 414) » : op. cit. n° 582, p. 376. Cette solution mérite selon nous, d’être circonstanciée. En effet, bien des fautes de navigation pourraient, a posteriori, être qualifiées de grossières ou graves. Renverser la règle chaque fois de façon automatique (ou « juste »), chaque fois qu’un capitaine aura commis une telle faute reviendrait à vider le cas excepté de la faute nautique de l’essentiel de son intérêt. L’arrêt de la Cour de cassation, cité à titre d’illustration par l’auteur, peut relever de l’accident de parcours (il y en a eu d’autres…) et, à notre connaissance, la solution qu’il retient n’a jamais été reprise ultérieurement.

Aussi, pour nous, une telle solution (retour à la responsabilité du transporteur pour cause d’incompétence grave du capitaine) ne peut présenter un intérêt que si cette incompétence était soit connue du transporteur (mais se pose alors le problème de la preuve de cette connaissance), soit notoire [mais dans ce cas, outre le problème de preuve de cette notoriété, se posera la question de la cessation des fonctions du capitaine par application de certaines dispositions du Code disciplinaire et pénal de la navire marchande, de son contrat d’engagement, et de certaines dispositions du Code du travail maritime (art. 109 et titre V)].

[52] TASSEL, p. 547.

[53] BONASSIES, préc. DMF 1992, p. 162, 2ème §.

[54] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, fasc. 1266 préc. n° 30, et les références.

[55] « Nonobstant toute clause contraire, le transporteur procède de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde et au déchargement de la marchandise. Il doit à la marchandise les soins ordinaires conformément à la Convention des parties ou aux usages du port de chargement. »

[56] « Le transporteur, sous réserve des dispositions de l’art. 4, procédera de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées. »

[57] La Convention de Hambourg ne prévoit rien, expressément, sur la responsabilité née d’un mauvais arrimage des marchandises. On peut en revanche y voir une disposition tacite, par application des dispositions de l’art. 5, § 1, le transporteur étant responsable des marchandises, tant qu’elles sont sous sa garde.

[58] RODIÈRE, Affrètements et transports, n° 623 ; BONASSIES, DMF 1992, p. 162.

[59] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, préc. n° 21, et les réf. Pour d’autres applications, casuistiques, de la faute nautique, v. ces mêmes auteurs, n° 22 à 25 ; RÈMOND-GOUILLOUD, n° 583.

[60] Martine RÈMOND-GOUILLOUD estime, dans une formule prudente, que : « le critère de distinction semble devoir être tiré de l’objet (c’est-à-dire le but) de l’opération litigieuse » : op. cit. n° 582, p. 376.

[61] Antoine VIALARD, note sous Aix-en-Provence, 19 janvier 2001, DMF 2001, p. 820, spécialement p. 834.

[62] Cass. Com. 20 février 2001, DMF 2001, p. 919, obs. Nicolas MOLFESSIS. Comp. pour une solution proche : Cass. Com. 17 juillet 1980, DMF 1981, p. 209, note ACHARD ; BT 1980, p. 567.

[63] Nicolas MOLFESSIS, op. cit. spécialement, p. 922.

[64] Versailles, 12ème Chambre, section 2, 20 décembre 2001, DMF 2002, p. 251, obs. Yves TASSEL.

[65] Op. cit. p. 923.

[66] Nicolas MOLFESSIS, Requiem pour la faute nautique, in Études de droit maritime à l’aube du XXIème siècle, Mélanges offerts à Pierre BONASSIES, éd. Moreux 2001, p. 207 à 237.

[67] Yves TASSEL, op. cit. spécialement p. 259.

[68] Pour un défaut de lien de causalité : Cass. com. 26 février 1962, Bull. n° 124 ; DMF 1962, p. 341 ; sur l’ensemble de la question : VEAUX, n° 41 à 49.

 

Le régime de responsabilité des COMMISSIONNAIRES de TRANSPORT

 

Avertissements :

– Les développements qui suivent sont issus de notre Thèse de Doctorat.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

 

 

236. DivisionEn principe, les responsabilités des commissionnaires sont présumées (A). Nous relèverons ensuite un décalage entre le principe théorique français de responsabilité illimitée des commissionnaires de transport, et la réalité tant française qu’européenne : en pratique la responsabilité des commissionnaires et spécialement celle des commissionnaires de transport est presque toujours limitée, sauf s’ils viennent à perdre le bénéfice de cette limitation (B). 

 

 

A.   Les responsabilités présumées

 

237. La responsabilité présumée : corollaire de l’obligation de résultat — Nous avons déjà vu que, par principe, sur le fondement des art. L. 132-4 et L. 132-5 du Code de commerce, les commissionnaires de transport sont tenus d’une obligation de résultat, même si certaines de leurs prérogatives peuvent, parfois, ne relever que des obligations de moyens. Corollaire de cette obligation générale de résultat, leur responsabilité est en principe présumée, ce qui emporte une conséquence classique : la seule preuve que doive rapporter le commettant victime, réside dans la réalité du dommage (nul n’est besoin de prouver que les commissionnaires ou leurs substitués auraient commis une faute[1]). Concrètement, les commissionnaires sont donc responsables de plein droit du dommage causé à leur commettant, soit parce qu’ils ont livré les marchandises avec retard (art. L. 132-4) (ce retard étant apprécié en considération de la date de livraison que le commissionnaire-chargeur avait prévu avec le transporteur maritime[2], ou encore « en fonction d’un délai normal de transport, eu égard à la destination et au mode de transport utilisé »[3]) ; soit parce que celles-ci ont subi des pertes ou avaries alors qu’ils en avaient la garde (art. L. 132-5).

Facteur alourdissant considérablement leur risque de voir leur responsabilité engagée, l’action en responsabilité contractuelle dirigée contre les commissionnaires peut prospérer sur deux terrains : en cas de faute personnelle des intéressés, mais aussi en cas de faute (ou de responsabilité présumée) de leurs substitués. Mais les commissionnaires sont libres de souscrire une assurance couvrant leur responsabilité contractuelle, découlant de leur fait mais aussi de celui de leurs substitués.

 

Si l’on observe la situation des principaux Etats européens, on constate que le principe de la présomption de responsabilité du commissionnaire de transport est largement partagée (France, Luxembourg, Espagne, Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne), à quelques exceptions (Belgique et Danemark, où le commissionnaire de transport n’est tenu que d’une obligation de moyens et où sa responsabilité doit toujours être prouvée)[4].

 

238. Responsabilité contractuelle du fait personnelEn premier lieu, les commissionnaires sont responsables de leurs faits personnels. Les art. L. 132-4 et L. 132-5 du Code de commerce (anciens art. 97 et 98), qui sont applicables à tous les commissionnaires de transport[5], présentent la responsabilité de ces derniers uniquement comme une « garantie ». Or, le commissionnaire n’est pas en principe « garant », au sens propre, sauf s’il s’est engagé dans une convention ducroire.

 

238-1. La responsabilité engagéeAu-delà du principe de responsabilité présumée, toute faute prouvée, même légère comme résultant d’une simple négligence[6], commise personnellement par le commissionnaire de transport, engage sa responsabilité à l’égard de son commettant. Sa responsabilité est engagée a fortiori en cas de faute grave résultant par exemple du choix du « transporteur virtuel » que nous avons déjà évoqué, ou encore, d’un transporteur insolvable et mal assuré[7] ; sa responsabilité est encore engagée en cas de faute lourde, telle l’absence de réserves en présence d’un dommage aux marchandises dont il avait connaissance[8]. Plus généralement, les commissionnaires sont responsables en cas de défaillance à toutes leurs obligations que nous avons vues, supra.

 

238-2. L’exonération de responsabilité par la force majeure, la faute du chargeur ou le vice propre de la marchandise Dans le cadre de l’art. L. 132-4, les commissionnaires peuvent s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’ils n’ont pas commis de faute et que l’inexécution contractuelle provient d’une cause qui leur est étrangère, et constitutive de force majeure.

Dans le cadre de l’art. L. 132-5, les commissionnaire ont la faculté de stipuler une clause limitative de responsabilité (nous allons y revenir), et peuvent s’exonérer de toute responsabilité en prouvant que ces avaries et pertes ont été causées par un événement de force majeure, la faute du chargeur ou le vice propre de la marchandise.

En tant qu’événement naturel imprévisible et irrésistible, la force majeure sera rarement retenue au bénéfice du commissionnaire[9]. Cependant, la faute exclusive de la victime (commettant) à l’origine de son propre dommage peut, par contrecoup, exonérer le commissionnaire. Ainsi, l’expéditeur qui aura mal arrimé des marchandises lors de l’empotage du conteneur, ne pourra pas rechercher la responsabilité du commissionnaire ; l’expéditeur-commettant qui aura mal emballé les marchandises, ce défaut d’emballage étant seul à l’origine des avaries constatées à la livraison, ne pourra pas plus rechercher la responsabilité du commissionnaire[10]… Le fait du prince résultant d’une décision de l’autorité publique peut parfois revêtir les caractéristiques de la force majeure, de même que le fait d’un tiers (comme la grève des dockers, à condition qu’elle soit irrésistible et imprévisible, ou encore un vol, dans les mêmes conditions)[11]. Quant au vice propre de la chose, il est logique de ne pas en rendre le commissionnaire responsable, mais son fabricant[12].

 

Une question se pose encore : l’immixtion du commettant dans l’exécution du contrat de transport (par exemple, par une négociation directe avec le transporteur) est-elle de nature à exonérer le commissionnaire, si une perte, une avarie ou un retard résulte de cette immixtion ?

Il a été jugé que si le commissionnaire de transport vient à être évincé de l’organisation du contrat de transport par des négociations directes entre le transporteur et le commettant, sa responsabilité doit en être diminuée, voire écartée, au regard des circonstances de l’espèce[13]. Toutefois, en l’espèce, la circonstance que le commissionnaire aurait été évincé de l’organisation du transport est, dans une certaine mesure, critiquable ; et surtout, en droit, ainsi que l’observe justement Madame de CET-BERTIN, il n’est pas du tout sûr que « l’intrusion (du commettant) dans le contrat de transport » présente, pour le commissionnaire, « les caractères de la force majeure »… ou plutôt, ajoutons-nous, les caractères de la faute de la victime. Pour nous, les causes d’exonération de responsabilité du commissionnaire de transport doivent être interprétées strictement et, sauf résiliation unilatérale du contrat de commission, initiée par le commettant (hypothèse envisagée par l’annotatrice de l’arrêt), nous ne croyons pas que le commissionnaire de transport soit dépossédé de ses prérogatives au cas de simples échanges, fussent-ils « directs », entre le commettant et le transporteur.

 

239. Responsabilité contractuelle du fait de ses substitués : le commissionnaire « garant » de ses substitués En second lieu, le commissionnaire de transport est responsable à l’égard de son commettant, du fait de ses substitués[14].

 

239-1. Question préalable de la validité de la substitution Dans le commerce international plus qu’ailleurs, il paraît nécessaire de laisser aux opérateurs une latitude certaine dans l’exécution de leur mission contractuelle, spécialement en ce qui concerne la faculté de confier à un autre opérateur, au moyen d’un sous-contrat (notamment), l’exécution de tout ou partie de cette mission.

Toutefois, le Professeur BÉNABENT, pétri de droit romain et d’intuitus personæ, considère que la faculté pour le commissionnaire, de sous-contracter tout ou partie de sa mission, ne lui est permise que s’il a préalablement reçu autorisation du commettant en ce sens[15].

Nous rejoignons cet auteur, uniquement sur le terrain de la force obligatoire du contrat de commission : si le commettant a interdit au commissionnaire de recourir aux services d’un sous-commissionnaire, ledit commissionnaire engagerait sa responsabilité contractuelle en cas de non-respect de son engagement[16].

 

239-1-1. L’interprétation du silence du commettant sur la question de la substitution Pour LYON-CAEN et RENAULT, dans le silence du commettant sur la faculté pour le commissionnaire de confier l’exécution de sa mission à un sous-commissionnaire, le commissionnaire ne pourrait procéder à cette substitution que lorsqu’il serait empêché d’agir lui-même, par un cas fortuit, et qu’à la condition que l’affaire à traiter soit « urgente »[17].

Nous ne partageons pas cette position aux antipodes des nécessités pratiques du commerce international, où efficacité et rapidité dans les transactions, sont reines. Pour nous, l’absence d’interdiction au commissionnaire par le commettant, de conclure un sous-contrat, vaut nécessairement ici, acceptation tacite de s’en remettre, sur ce point, à la lex mercatoria, et plus précisément, aux usages de la branche professionnelle considérée. En l’occurrence, la conclusion de contrats de sous-commission n’est pas rare dans le commerce international, et ce serait, pensons-nous, enfermer les commissionnaires dans un carcan antinomique avec la nature de leurs activités, que d’approuver la position des auteurs précités.

Allant jusqu’au bout de ce raisonnement, nous estimons, à la suite du Professeur DERRIDA, que des commissionnaires qui ne procèdent pas à la conclusion des sous-contrats qui auraient été nécessaires pour servir au mieux les intérêts du commettant, engagent leur responsabilité contractuelle, du fait de cette carence[18].

 

239-2. L’article L. 132-6 du nouveau Code de commerce L’art. L. 132-6 du nouveau Code de commerce (ancien art. 99) dispose que le commissionnaire de transport est « garant des faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises ». Cette règle n’est pas sans évoquer celle de l’art. 1994, al. 1 du Code civil qui prévoit que « le mandataire répond de celui qu’il s’est substitué dans la gestion (…) ».

En matière de commission de transport, la règle se justifie par le fait que le commissionnaire est responsable de bout en bout du transport des marchandises par lui organisé[19].

Toutefois, l’action en responsabilité du commettant contre le commissionnaire, du fait du transporteur, n’implique pas nécessairement la mise en cause du transporteur[20]. En d’autres termes, la circonstance que le commissionnaire soit garant de l’intégralité de la chaîne du transport, à l’égard de son client, justifie que ce dernier, ès-qualité de commettant, agisse seulement contre le commissionnaire.

 

Par suite, la lettre de l’art. L. 132-6 doit être élargie et appliquée non seulement à la responsabilité du commissionnaire de transport du fait du sous-commissionnaire[21], mais encore à la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur maritime[22].

Mais, l’art. L. 132-6 n’étant pas d’ordre public, les commissionnaires peuvent, en théorie, à loisir, insérer une clause d’exonération de responsabilité pour les dommages occasionnés par leurs substitués[23] ; la même possibilité est expressément prévue à l’art. L. 132-5 (sauf la limite de l’illicéité de la clause exonératoire de responsabilité qui viderait le contrat de sa substance en dispensant presque le débiteur de la prestation caractéristique, de son obligation essentielle[24]). Cependant, comme une telle clause manquerait singulièrement de popularité auprès des donneurs d’ordre (Marie TILCHE évoque justement à cet égard une « liberté dont ils n’usent pas pour des raisons commerciales »[25]), les conditions générales de la Fédération française des commissionnaires de transport (T.L.F.) prévoit un régime spécial de responsabilité du fait des substitués, que nous verrons dans quelques dizaines de lignes.

 

239-3. Limites de la garantie du fait des substitués • Au-delà des clauses de limitation de responsabilité sur lesquelles nous allons revenir, la première limite de la responsabilité des commissionnaires du fait de leurs substitués a trait à la qualité réelle de commissionnaire : si les substitués ont été imposés au commissionnaire par le commettant, il n’y a plus commission mais mandat, et ès-qualité de mandataire… le (faux) commissionnaire n’est plus responsable que de ses fautes personnelles (art. 1994 du Code civil) et n’a plus à répondre de ses substitués[26].

• La seconde limite majeure à la responsabilité des commissionnaires du fait de leurs substitués tient à la teneur du régime des substitués à l’origine du dommage. Si les commissionnaires de transport sont engagés en cas de faute de leurs substitués, par exemple en cas de faute du transporteur maritime, leur responsabilité ne pourra pas être recherchée au-delà de celle, limitée par la loi, dudit transporteur. Plus encore, les commissionnaires de transport peuvent se prévaloir, à l’égard de leurs clients, des causes d’exonération qui leurs sont opposées par les transporteurs, ainsi que du délai de prescription applicable à ces derniers[27]. Mais cette règle qui pourrait passer pour uniquement avantageuse a un autre tranchant : « Le commissionnaire de transport ne peut opposer à son commettant ni le caractère exclusif de la responsabilité du transporteur dont il est garant, ni les clauses limitatives de sa propre responsabilité personnelle, ni les limitations légales de responsabilité du transporteur maritime dès lors que la faute inexcusable de celui-ci y fait échec »[28]. En d’autres termes, le commissionnaire répond de ses substitués dans les mêmes conditions que ces derniers : « la responsabilité du commissionnaire est alignée sur le régime de responsabilité du cocontractant défaillant »[29]. Nous verrons bientôt, spécifiquement, que le commissionnaire peut tout à fait bénéficier, sous certaines conditions, des limitations de responsabilité de ses substitués.

 

Cette règle se justifie aisément : en effet, il ne saurait être question que le commissionnaire soit tenu de réparer la totalité du dommage subi par le commettant, et que, dans le même temps, lorsque le commissionnaire se retourne contre le transporteur défaillant, ce dernier ne l’indemnise finalement que dans la mesure de la limitation légale de responsabilité applicable ; car alors, le commissionnaire devrait supporter la différence sur ses propres deniers, et plus aucun opérateur ne se risquerait à contracter ès-qualité de commissionnaire. Egalement, on ne voit pas pourquoi le commissionnaire de transport serait plus largement tenu que l’exécutant contractuel défaillant[30].

Les conditions générales de la Fédération des entreprises de Transport et Logistique de France, en leur art. 7.1, vont en ce sens : « La responsabilité de l’O.T.L. est limitée à celle encourue  par les substitués dans le cadre de l’opération qui lui est confiée. Quand les limites d’indemnisation des intermédiaires ou des substitués ne sont pas connues ou ne résultent pas de dispositions impératives ou légales, elles sont réputées identiques à celles de l’O.T.L. ».

 

Il y a là une sorte de subrogation : le commissionnaire « garant » (au sens de l’art. L. 132-6) est en quelque sorte subrogé dans les droits et obligations de son substitué responsable, et c’est drapé dans le régime de son substitué qu’il va affronter procéduralement son commettant[31].

 

239-4. Vérification de la nature de l’obligation du commissionnaire : subrogation ? (non) / garantie ? (oui) — Si l’on voulait affiner l’analyse, on démontrerait en réalité qu’il ne s’agit pas d’une subrogation, car en cette matière, lorsqu’un opérateur est subrogé dans les droits ou obligations d’un autre, le subrogeant (ici, le substitué) a préalablement été désintéressé, et il manifeste ce désintéressement en remettant une quittance subrogative au subrogé (ici, le commissionnaire), la subrogation conventionnelle devant être expresse. Au-delà de ce formalisme qui fait ici défaut (et pour cause), il faut observer que l’objet de la subrogation est en principe à l’opposé de l’effet ici recherché. En droit commun, par la subrogation, le solvens (subrogé) désintéresse par le paiement, l’accipiens (subrogeant) ; alors, le solvens, ès-qualité de créancier et demandeur à l’action, se retourne contre le tiers débiteur. Ici, c’est tout le contraire : le subrogé (commissionnaire) voit sa responsabilité recherchée, il apparaît comme débiteur d’une indemnité au profit du tiers (tiers à la pseudo-subrogation) ; de plus, le subrogeant (ici, le substitué), n’est pas hors course : si le subrogé (commissionnaire) est condamné à indemniser le commettant (et il le sera selon toute vraisemblance), il bénéficiera d’un recours contre le substitué fautif[32]. Donc, pour être tout à fait cohérent, une seule notion juridique convient, et c’est celle qui figure dans la loi, à l’art. L. 132-6 : le commissionnaire est « garant » (notion de garantie) des faits de ses substitués à l’égard du commettant.

En toute hypothèse, le commissionnaire de transport est doublement « garant » :  il garantit son commettant en cas de retard à la livraison, de perte ou d’avarie aux marchandises (articles L. 132-4 et L. 132-5) ; et il garantit encore son commettant, du fait de ses substitués (art. L. 132-6), notamment en cas de solvabilité insuffisante de ces derniers [le commissionnaire peut s’exposer à devoir indemniser seul la victime du dommage en cas d’insolvabilité totale du substitué (qui serait par exemple en liquidation judiciaire), ou encore, les juges peuvent les condamner in solidum à indemniser la victime[33]]. Donc, corollairement, le commettant est doublement garanti.

 

240. Cloison étanche entre responsabilité personnelle du commissionnaire et responsabilité du fait de ses substitués, sauf déchéance du droit pour le substitué de limiter sa responsabilité — En toute hypothèse, les commissionnaires appelés en paiement d’indemnité, ès-qualité de garants de leurs substitués, ne peuvent se prévaloir de la stipulation limitant leur responsabilité de leur fait personnel[34] : si leur responsabilité est recherchée en raison d’une faute personnelle, ils pourront se retrancher derrière leur propre clause de limitation de responsabilité ; inversement, si leur responsabilité est recherchée en raison de la défaillance de leurs substitués, ils ne pourront se retrancher que derrière les dispositions du régime de ces derniers ; et, dans ce dernier cas, comme on l’a vu, si ce substitué est, par exemple, un transporteur maritime soumis à la Convention de Bruxelles (1924-1968) ayant commis une faute inexcusable et perdant le bénéfice de la limitation de responsabilité, le commissionnaire « garant » devra aussi réparation intégrale. Plus largement, si le substitué perd son droit à limitation, la perte du droit à limitation est étendue au commissionnaire, qui ne peut même pas invoquer sa propre clause de limitation[35].

 

 

 B.   Les conditions des limitations de responsabilité

 

241. Introduction Si, en droits français et luxembourgeois, les commissionnaires de transport ne bénéficient d’aucune limitation légale de responsabilité et qu’ils sont donc en principe tenus à une responsabilité illimitée, de bout en bout, du transport par eux organisé, la règle est souvent différente dans les autres Etats européens. 

 

242. Les limitations légales de responsabilité de la plupart des commissionnaires de transport européens En droits espagnol, suisse (conditions générales de l’Association suisse des maisons d’expédition ou C.G.S.A.M.E.), belge, allemand, anglais, hollandais, danois (Conditions générales de l’Association des commissionnaires et auxiliaires de transport des pays du Nord), la responsabilité des commissionnaires est limitée par la loi ou les usages, avec des nuances variables suivant les systèmes. On note cependant un chiffre récurrent : le plus souvent, l’indemnisation due par les commissionnaires en cas de perte ou d’avarie, est limitée à 8,33 DTS par kilo (Suisse, Allemagne, Danemark) (contre seulement 2 DTS en droit anglais !). Parfois, cette limitation est assortie d’un plafond global, très variable (20.000 DTS en droit suisse contre 2000 DTS en droit hollandais). Parfois encore, une indemnité spéciale est prévue en cas de simple retard à la livraison (une fois le prix de port en droit espagnol, et trois fois ce prix en droit danois)[36].

Ces limitations de responsabilité, si elles ne sont pas uniformes, paraissent néanmoins logiques puisqu’elles compensent le fardeau de la responsabilité présumée, en limitant le montant de l’indemnité qui sera due par le commissionnaire défaillant (comme c’est le cas pour le transporteur maritime).

 

243. Les limitations contractuelles de responsabilité des commissionnaires de transport français Lorsque le commissionnaire n’a pas exécuté sa mission, par exemple en ne donnant pas au transporteur sous-contractant les indications nécessaires à la sauvegarde des marchandises (sensibilité au gel d’un chargement de granulite[37], ou inversement, nécessité de transporter un lot de viande congelée dans un bloc réfrigéré), il engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du commettant, et cette responsabilité est illimitée (sauf, d’une part, cause étrangère emportant exonération, ou, d’autre part, limitation contractuelle particulière, dont la validité est appréciée dans les conditions du droit commun[38]). Et puisque la loi française n’a pas organisé cette limitation de responsabilité et qu’elle en a réservé la faculté aux commissionnaires de transport (art. L. 132-5 du Code de commerce (ancien art. 98), les commissionnaires français, réunis derrière leur Fédération ont fait œuvre réglementaire en ce sens.

C’est ainsi qu’en octobre 2001, la Fédération des entreprises de Transports logistiques de France ou T.L.F[39] s’est dotée de nouvelles conditions générales stipulant, entre autres, des limitations de responsabilité en raison du fait personnel des « opérateurs de transport et/ou de logistique » (O.T.L.) :

 

Art. 7.2 — « Les limitations d’indemnités indiquées ci-dessous constituent  la contrepartie de la responsabilité assumée de l’O.T.L. ».

 

Art. 7.2.1. — « Dans le cas où la responsabilité personnelle de l’O.T.L. serait engagée, pour quelque cause et à quelque titre que ce soit, elle est strictement limitée :

a)      pour tous les dommages à la marchandise imputables à l’opération de transport par suite de pertes et avaries et pour toutes les conséquences pouvant en résulter, aux plafonds d’indemnité fixés dans les dispositions légales ou réglementaires en vigueur applicables au transport considéré ;

b)      dans tous les cas où les dommages à la marchandise ou toutes les conséquences pouvant en résulter ne sont pas dus à l’opération de transport, à 14 euros par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées sans pouvoir excéder, quels que soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur de la marchandise concernée, une somme supérieure au produit du poids brut de la marchandise exprimé en tonnes multiplié par 2.300 euros avec un maximum de 50.000 euros par événement. »

 

Art. 7.2.2. — « Pour tous les dommages et notamment ceux entraînés par le retard à la livraison dûment constaté dans les conditions définies ci-dessus, la réparation due par l’O.T.L. dans le cadre de sa responsabilité personnelle est strictement limitée au prix du transport de la marchandise (droits, taxes et frais divers exclus), objet du contrat. En aucun cas cette indemnité ne pourra excéder celle qui est due en cas de perte ou d’avarie de la marchandise.

Pour tous les dommages résultant d’un manquement dans l’exécution de la prestation logistique, objet du contrat, la responsabilité personnelle de l’O.T.L. est strictement limitée au prix de la prestation à l’origine du dommage sans pouvoir excéder un maximum de 50.000 euros par événement. »

 

Enfin, si le donneur d’ordre a procédé à une déclaration de valeur à l’O.T.L., cela a pour effet de « substituer le montant de cette déclaration aux plafonds d’indemnité indiqués » aux articles 7.1 et 7.2.1. Corollairement, « cette déclaration de valeur entraînera un supplément de prix » (art. 7.4).

 

243-1. Champ d’application personnel des conditions générales T.L.F. Les conditions générales, dans leur version antérieure à 2001 (conditions générales F.F.O.C.T.), indiquaient en leur art. 1er, être applicables aux « transitaires », ce terme désignant tous les membres de la Fédération, quelle que fût la qualité juridique ou la fonction au titre de laquelle ils seraient intervenus. L’arrêt de la Cour de Rouen du 24 février 1994, ayant refusé d’appliquer le bénéfice de la limitation de responsabilité prévue dans ces conditions générales à un commissionnaire de transport, au motif qu’il n’était pas « transitaire », a donc été, naturellement, sanctionné par la Cour de cassation, au visa de l’art. 1134 du Code civil[40].

La lecture des conditions générales F.F.O.C.T. aurait permis à la Cour de Rouen d’éviter une telle erreur d’appréciation. Désormais, la lecture de l’art. 1er, al. 1, des nouvelles conditions (T.L.F.), offre une formulation voisine, qui, par sa clarté, ne devrait pas inciter les juges du fond à réitérer la jurisprudence rouennaise : « Les présentes conditions ont pour objet de définir les modalités d’exécution par un opérateur de transport et/ou de logistique, à quelque titre que ce soit (commissionnaire de transport, entrepositaire, mandataire, manutentionnaire, prestataire commissionnaire en douane ou non, transitaire, transporteur, etc…), des activités et des prestations afférentes au déplacement physique d’envois et/ou à la gestion des flux de marchandises, emballées ou non, de toutes natures, de toutes provenances, pour toutes destinations, moyennant un prix librement convenu assurant une juste rémunération des services rendus, tant en régime intérieur qu’en régime international ».

 

244. Le bénéfice pour les commissionnaires, de la limitation de responsabilité de leurs sous-contractants Par suite de l’«alignement» de la responsabilité du commissionnaire sur celle de ses substitués, le commissionnaire de transport bénéficie naturellement des systèmes de limitation de responsabilité dont ces derniers peuvent se prévaloir[41].

Mais le commissionnaire ne peut se prévaloir de la limitation de responsabilité de son préposé que si ce dernier est responsable du dommage[42] ; a contrario, si le dommage résulte de sa seule faute personnelle[43], il ne peut, éventuellement, invoquer que sa propre clause de limitation de responsabilité.

 

244-1. Contradiction entre la définition légale du contrat de voiture et la solution jurisprudentielle inspirée par le principe de l’effet relatif Il a ensuite été jugé que si la limitation de responsabilité du substitué résulte d’une stipulation contractuelle dérogatoire aux règles de limitation qui lui sont normalement applicables, dans la mesure où ce substitué n’aurait pas pu opposer une telle clause au commettant qui ne l’a ni connue, ni acceptée, le commissionnaire ne peut pas non plus se prévaloir d’une telle clause à l’encontre dudit commettant[44]. La solution est logique au regard de l’assimilation du régime du commissionnaire à celui de son substitué.

En revanche, si l’on comprend bien la lettre de l’art. L. 132-8 (ancien art. 101) du nouveau Code de commerce (rédaction issue de la loi GAYSSOT n° 98-69 du 6 février 1998), « la lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier ». Il semble donc que la lettre de voiture soit un contrat entre expéditeur (commettant) / commissionnaire / voiturier / et destinataire. Donc, si le contrat de transport, dans ce cas de figure, est bien un contrat à quatre parties, comment la Cour de cassation peut-elle estimer qu’une clause du contrat de transport, fût-elle une clause limitative de responsabilité, est « inopposable » à l’expéditeur commettant ? On comprend bien sûr l’attachement affectif aux principes de l’autonomie de la volonté et de l’effet relatif des conventions. Mais une telle application ici est-elle opportune ?

En contemplation de l’idée que le contrat de transport pourrait être une notion trompeuse, une sorte d’arbre cachant une forêt, c’est-à-dire un « contrat » cachant une « chaîne de contrats », il nous semble que, dans cette espèce, la clause litigieuse aurait dû être déclarée non seulement « opposable » à l’expéditeur commettant, mais encore, pour aller au bout du raisonnement, « obligatoire » (au sens de « force obligatoire ») à ce dernier. Certes, le principe de l’autonomie de la volonté, comme celui de l’effet relatif sont ici écartés, mais nous verrons que ce n’est qu’à ce prix que l’on peut prétendre se diriger vers une rationalisation du droit des transports de marchandises. Nous reviendrons sur l’art. L. 132-8 à l’occasion de l’étude des actions directes dont disposent les commettants à l’égard des sous-contractants des commissionnaires de transport, et réciproquement[45].

 

245. Une prescription relativement brève[46] En droit français, l’action en responsabilité contractuelle contre le commissionnaire est prescrite dans le délai d’un an (art. L. 133-6, al. 2, du nouveau Code de commerce, ancien art. 108, al. 2). Une fois n’est pas coutume : le droit français est en harmonie avec la tendance générale européenne [Espagne (sauf l’action exercée par le commissionnaire contre son client : 6 mois), Suisse, Danemark, Allemagne (sauf 3 ans en cas de faute lourde)]. Mais, une fois encore, la relativité des climats se manifeste : au Luxembourg la même action se prescrit par 2 ans, 6 mois en Belgique, 9 mois en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas[47].

 

 

Au titre des personnes qui deviennent « parties contractantes » par le truchement d’un intermédiaire, après l’étude des mandataires et celle des commissionnaires, il nous reste à évoquer la situation particulière du capitaine de navire, ès-qualité d’intermédiaire contractant.

 


[1] Cass. Com. 12 février 1991, BTL 1991, p. 218.

[2] Paris, 4 décembre 1987, DMF 1989, p. 113, note ACHARD.

[3] VEAUX-FOURNERIE, n° 83.

[4] Pour tous ces éléments, et d’autres, v. M. TILCHE, Commissionnaires de transport : un pays, un statut…, BTL 1999, tableau comparatif, p. 659.

[5] VEAUX-FOURNERIE, n° 81.

[6] Cass. com. 1er décembre 1992, Juris-Data, n° 002586 ; VEAUX-FOURNERIE, n° 82.

[7] Cass. com. 5 octobre 1965, Bull. n° 482.

[8] Paris, 20 mars 1969, DMF 1969, p. 734.

[9] V. cependant : verglas imprévisible et insurmontable constitutif de force majeure : Cass. Com. 6 février 1973, Bull. n° 62 ; JCP 1973.II.17501, note RODIÈRE. Add. pour des wagons bloqués par la SNCF, Cass. Com. 26 février 1980, Bull. n° 100 ; RTDCom. 1981, p. 356, obs. HÉMARD. Sur la situation de blocage (certes prévisible mais irrésistible, et constitutive de force majeure) du transport aérien en raison de la guerre du Golfe et où un commissionnaire de transport, malgré toutes les mesures qu’il avait prises pour surmonter le retard pris dans l’acheminement de marchandises, n’a pu respecter le délai de livraison : Cass. Com. 16 mars 1999, Contr. conc. cons. 1999, n° 86, obs. LEVENEUR. A contrario, n’est pas constitutive de force majeure une grève des dockers qui menaçait depuis treize jours : Paris, 26 avril 1984, BTL 1985, p. 61. Ajoutons que, très logiquement, si la force majeure est reconnue au bénéfice de l’exonération du transporteur, forcément, cette même force majeure devra déployer ses effets d’exonération de responsabilité au profit du commissionnaire cocontractant dudit transporteur : Cass. Com. 6 février et 15 juin 1973, BT 1973, pp. 132 et 365.

[10] Cass. Com. 3 octobre 1989, Bull. n° 245 (défaut d’arrimage et de calage des marchandises imputable à l’expéditeur). Add. pour des séries d’exemple d’emballages inadéquats, v. Lamy, Transport, tome 2, n° 415 ; pour des fautes du chargeur dans le conditionnement ou l’arrimage des marchandises conteneurisées, op. cit. n° 418 ; v. aussi les exemple cités au n° 525.

[11] VEAUX-FOURNERIE, n° 88 et 89.

[12] Cass. Com. 20 janvier 1998, RJDA 1998, n° 595.

[13] Paris, 5ème Ch., 6 octobre 1999 (Hajïn Seattle), DMF 2001, p. 17, obs. Cécile de CET-BERTIN.

[14] Ce cas de figure ne doit pas être confondu avec celui de l’art. 1384, al. 5, du Code civil sur la responsabilité civile délictuelle des maîtres et commettants du fait de leurs domestiques et préposés agissant dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

[15] Professeur Alain BÉNABENT, Jur.-Cl. Com. fasc. 365 (sur les effets du contrat de commission en général) (éd. 1992), spéc. n° 11. En ce sens, on relève même un arrêt désormais ancien (non confirmé depuis) affirmant que le contrat de commission est conclu intuitu personæ : Paris, 30 mai 1969, RTDCom. 1970, p. 767, obs. HÉMARD.

[16] A. BÉNABENT, op. cit. loc. cit.

[17] LYON-CAEN et RENAULT, Traité de droit commercial, tome 3, n° 460.

[18] DERRIDA, Les obligations du commissionnaire, in Le contrat de commission, 1949, p. 99 (cité par BÉNABENT, op. cit. n° 15) : « le pouvoir de substitution est toujours sous-entendu et la substitution elle-même est pour le commissionnaire un droit et un devoir ».

[19] Art. 1er, al. 1, du décret du 15 avril 1999 ; RODIÈRE et du PONTAVICE, n° 281-1, p. 261 ; A. VIALARD, n° 265, p. 227 et n° 267 p. 229 ; add. les réf. jurisprudentielles citées par ces auteurs ; P. VEAUX-FOURNERIE, Auxiliaires terrestres du transport maritime, Commissionnaire de transport, Jur.-Cl. Com. fasc. 1198 (éd. 1999), spéc. n° 67 ; pour un arrêt récent : Cass. Com. 20 janvier 1998, DMF 1998, p. 578, obs. Ph. DELEBECQUE ; dans le même sens : TC Dunkerque, 5 décembre 1994 : « le commissionnaire de transport, chargé d’organiser de bout en bout un transport, est responsable du préjudice subi par son donneur d’ordre à la suite du retard à la prise en charge des conteneurs à transporter et du retard à leur livraison à destination lorsqu’il est établi qu’il n’a pas respecté les dates d’envoi ni délivré en temps utile les documents nécessaires à la réception des marchandises par le destinataire ; il ne peut rechercher la garantie de ses substitués que s’il prouve leur faute, preuve non rapportée en l’espèce… », Rev. de droit commercial, maritime, aérien et des transports 1995, p. 69.

[20] Cass. Com. 6 janvier 1998, Bull. n° 10.

[21] VEAUX-FOURNERIE, n° 96, s. ; RODIÈRE, Les commissionnaires de transport successifs, D 1958, chron. p. 217.

[22] Cass. Com. 1er juillet 1997, Bull. n° 217 ; D 1997, I.R. 172 ; Dalloz Affaires 1997, p. 939 : « Vu les articles 98 et 99 (devenus L. 132-5 et L. 132-6) du Code de commerce ; attendu qu’en vertu de ces textes et sous réserve des clauses conventionnelles d’exonération de responsabilité, le commissionnaire de transport, fût-il un commissionnaire intermédiaire, est garant, sauf force majeure, vice propre de la marchandise ou faute de l’expéditeur, des avaries ou pertes de marchandises qu’il a confiées au transporteur choisi par lui ». VIALARD, ibid. ; VEAUX-FOURNERIE, n° 94.

[23] Cass. Com. 21 juin 1960 (à propos de l’ancien art. 99 du Code de commerce), BT 1960, p. 270.

[24] V. infra, n° 1100.

[25] M. TILCHE, op. cit. p. 658.

[26] Riom, 11 mars 1998, BTL 1998, p. 362.

[27] RIPERT et ROBLOT, n° 2673 et les références.

[28] Cass. com. 27 octobre 1998 (pourvoi incident), DMF 1998, p. 1129, rapp. RÉMERY, obs. BONASSIES.

[29] A. VIALARD, n° 267 ; Cass. Com. 29 novembre 1994 et Cass. Com. 22 avril 1986, arrêts cités par RODIÈRE et du PONTAVICE, n° 281-1, spéc. notes 3 et 4, p. 262 ; add. Cass. Com. 27 octobre 1998, D 1999, note AMMAR (faute inexcusable du transporteur).

[30] Expliquant très bien la solution, v. notamment : Toulouse, 5 décembre 1979, BT 1980, p. 13 : « le commissionnaire qui garantit le commettant contre les fautes du voiturier n’est pas davantage tenu que le voiturier ne l’est lui-même et ainsi, les conditions de responsabilité et de réparation du voiturier ayant leur répercussion sur les conditions et le montant de la dette du commissionnaire, ce dernier ne peut pas être obligé à une indemnité plus large que celle prévue par la Convention de Genève (CMR) ».

[31] Par exemple : Versailles, 20 juin 2000, JCP E 2000, n° 42, p. 1639 (si le commissionnaire « peut invoquer une clause contractuelle limitative de responsabilité, encore faut-il que son substitué n’ait pas commis une faute lourde exclusive de toute limitation de responsabilité ») ; Cass. Com. 16 novembre 1993, BTL 1993, p. 915 ; Paris, 18 mai 1989, BT 1989, p. 577.

[32] Sur les recours du commissionnaire contre ses substitués, v. infra, n° 526, s.

[33] VIALARD, ibid.

[34] Cass. Com. 15 février 1994, Bull. n° 66 ; Riom, 19 novembre 1982, BT 1983, p. 55 ; Aix-en-Provence, 21 mai 1970, BT 1971, p. 127.

[35] V. par exemple : Cass. Com. 28 mars 2000, BTL 2000, p. 295 ; 27 octobre 1998, précité ; 3 octobre 1989, BT 1990, p. 66.

[36] M. TILCHE, Ibid.

[37] Cass. Com. 23 novembre 1970, Bull. n° 312.

[38] A. VIALARD, n° 266, in fine ; add. Versailles 25 février 1988, BTL 1988, p. 519.

[39] En juin 1999, l’ancienne fédération française des organisateurs-commissionnaires de transport ou F.F.O.C.T. a fusionné avec l’ancienne Chambre des loueurs et transporteurs industriels ou C.L.T.I., pour devenir Transports logistiques de France ou T.L.F. (site internet : www.e-tlf.com ). Suite à cette fusion, les deux anciennes entités ont entrepris de fondre dans un règlement commun leurs conditions générales : un nouveau texte a ainsi vu le jour en octobre 2001. Dans un intérêt historique, nous mentionnons ici la formulation de l’ancien art. 8 des conditions générales de la F.F.O.C.T. instituant au profit des commissionnaires de transport français, des règles de limitation de responsabilité : « dans tous les cas où la responsabilité du commissionnaire serait engagée pour quelque cause et à quelque titre que ce soit, elle est strictement limitée à la réparation du dommage matériel résultant de la perte ou de l’avarie à l’exclusion de tous autres dommages-intérêts sans pouvoir en aucun cas excéder ni la somme prévue par les conventions internationales, lois, tarifs ou règlements éventuellement applicables à l’envoi considéré, ni à défaut et en tout état de cause, 150 francs par kilo avec un maximum de 4.000 francs par colis perdu, avarié ou spolié quels qu’en soient la nature, le poids, le volume ou les dimensions ».

[40] Cass. Com. 11 juin 1996 (1er moyen, 8ème branche), Bull. n° 172 ; RJDA 1996, n° 1332 ; DMF 1997, p. 122 (arrêt publié en intégralité, contrairement au Bulletin), obs. Jean-François TANTIN.

[41] V. par exemple : Cass. Com. 29 novembre 1994, Bull. n° 360 (commissionnaire bénéficiant de la limitation de responsabilité d’un acconier) ; 16 juin 1981, BT 1981, p. 419. Sur les différents systèmes de limitations de responsabilité des transporteurs maritimes, aériens, routiers et ferroviaires de marchandises, v. infra, n° 1068, s.

[42] Cass. Com. 22 octobre 1996, Bull. n° 258 ; 26 avril 1984, Bull. n° 141.

[43] Sur les fautes personnelles du commissionnaire, v. supra, n° 230-2.

[44] Pour une clause de limitation de responsabilité connue seulement du commissionnaire et du transporteur, il a été jugé que cette clause était applicable dans les rapports commissionnaire / transporteur, mais est inopposable au commettant, ni par le commissionnaire, ni par le transporteur : Orléans, 27 avril 1989, arrêt cité in Lamy, Transport, tome 2, éd. 2002, n° 67, 2ème colonne, p. 53.

[45] V. infra, n° 522, s.

[46] Par rapport à celle de l’action contre le mandataire ; v. supra, n° 205, à propos du transitaire.

[47] M. TILCHE, tableau préc.

24 mars 2010

Réflexions sur l’extinction de la notion de « groupes de contrats » et le renforcement corollaire du principe de l’effet relatif des conventions

         

 Par souci de rapidité mais aussi de précisions, est ici reproduit un extrait de l’introduction de notre Thèse : « L’exploitation commerciale des navires et les groupes de contrats OU L’effet relatif dans les contrats commerciaux internationaux« .

     

(EXTRAIT de l’introduction générale)

         

4. La place du principe de l’effet relatif des conventions dans le droit des contrats — « Relativité », ce sera le terme omniprésent de la présente étude. Aux termes de l’art. 1165 du Code civil, « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne lui profitent que » dans le cas de la stipulation pour autrui.

 

5. Articulation du contractuel et du délictuel — La règle initiale ne fait guère difficulté. Le droit commun est la matière délictuelle, tout fait quelconque de l’homme causant à autrui un dommage obligeant celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer (art. 1382 du Code civil). Par exception, lorsque des personnes ont conclu un contrat, le contrat étant la loi des parties (art. 1134, alinéa 1er du Code civil), c’est le régime spécial, contractuel, choisi par elles, et pouvant, sous réserve du respect de l’ordre public et des bonnes mœurs (articles 3, 6 et 1133 du même Code), déroger aux règles de droit commun, qui aura vocation à s’appliquer. Les contrats, sauf régime spécial de publicité (comme la publicité foncière pour les cessions de droits réels immobiliers), ont un objet strictement privé et n’intéressent que ceux qui y ont consenti : les parties contractantes ; et encore, même lorsque la loi exige une formalité de publicité, les contrats, par principe, demeurent strictement privés : ils n’ont toujours effet qu’entre les parties, et les tiers ne peuvent en principe se prévaloir de ce contrat (sauf l’action paulienne de l’art. 1167 du Code civil, qui permet essentiellement aux créanciers de demander au juge l’annulation des actes à titres gratuit et/ou onéreux par lesquels le débiteur entendait se rendre insolvable, au préjudice desdits créanciers).

 

S’agissant des rapports entre ces deux ordres juridiques, on dit traditionnellement qu’ils sont régis par le principe du non-cumul des responsabilités.

Ce principe part du postulat qu’à l’origine, il est deux ordres de responsabilités, chacun découlant de l’un de ces deux ordres juridiques : dans l’ordre contractuel, la responsabilité est envisagée sur un fondement contractuel, tandis que dans l’ordre délictuel, la responsabilité est « délictuelle ». Et, traditionnellement, les deux conséquences du principe du non-cumul résident dans l’absence de possibilité pour les sujets de droit, de choisir la nature de leur responsabilité, lorsque celle-ci est engagée, ou qu’ils souhaitent rechercher la responsabilité d’un autre sujet de droit ; de plus, le principe du non-cumul implique que, pour un même dommage, un juge ne pourrait pas condamner un même sujet de droit, à la fois sur un fondement contractuel et sur un fondement délictuel ; dans le même sens, un sujet de droit, victime, ne pourrait prétendre rechercher à la fois, pour un même préjudice, les responsabilités contractuelle et délictuelle d’un autre sujet de droit.

 

Récemment, les débats sur l’existence même du concept de responsabilité contractuelle, dont l’intérêt nous paraît tout à fait légitime, et les solutions proposées, a priori séduisantes[1], permettent d’apprécier la matière du droit des contrats sous un jour renouvelé, presque « originel ». Mais, à la réflexion, la distinction qui est faite par le Professeur RÉMY entre l’exécution forcée d’une part et les dommages-intérêts d’autre part, nous paraît de pure sémantique. En effet, lorsque l’exécution forcée du contrat est impossible, par exemple parce que le transporteur aérien d’un colis de diamants, dérobé, se trouve dans l’impossibilité de le livrer au destinataire désigné dans le contrat, n’y a-t-il pas une fiction juridique certaine à suivre le raisonnement de cet auteur, et à prétendre que l’indemnité versée par l’assureur des marchandises à leur destinataire, victime du vol, ne constitue que « l’exécution forcée » du contrat, c’est-à-dire, que le versement sur un compte bancaire d’une somme d’argent remplacerait, purement et simplement, la livraison de joyaux uniques ? In fine, ne peut-on pas plutôt affirmer que le destinataire a subi un préjudice manifeste, et que, l’exécution forcée étant devenue impossible, il convient « d’indemniser » véritablement la victime de cette inexécution contractuelle (le transporteur étant responsable des marchandises qu’il avait sous sa garde) ?

 

Cependant, et c’est déjà une première atténuation du principe, le contrat, s’il n’est pas pour les tiers un acte juridique, est au moins un fait juridique. Partant, ce contrat, privé par nature, va être opposable aux tiers en tant que simple fait juridique.

Mais si les principes semblent ainsi bien ordonnés, et spécialement celui de l’effet relatif, il pourrait s’avérer « singulièrement dangereux et inexact de le(s) prendre au mot »[2].

 

6. La difficulté : l’inexécution contractuelle causant un préjudice à un tiers — Ces beaux principes, ainsi définis, n’avaient pas envisagé une hypothèse qui allait faire vaciller l’édifice tout entier. Ces principes originels du droit des contrats estiment que le monde contractuel et le monde délictuel sont séparés par une cloison étanche… Erreur ! Cette cloison est aussi étanche, hélas, que la coque du Titanic en 1912. En effet, de même qu’un dommage de type délictuel peut survenir à l’occasion de l’exécution d’un contrat[3], l’inexécution d’une obligation contractuelle peut très bien causer un dommage à un tiers. Et c’est bien là le nerf de la difficulté : comment, et sur quel fondement, à partir des principes classiques que nous avons succinctement rappelés, un juge peut-il et doit-il accorder une réparation ou ordonner une exécution forcée, lorsque cette dernière est encore possible ? C’est cette question qui est à l’origine des trente dernières années d’une jurisprudence et d’une doctrine françaises en haleine, cherchant des justifications pour expliquer telle position, puis une autre (contraire à la précédente), essayant de créer de nouveaux concepts pour résoudre ou au moins réduire la difficulté (naquirent ainsi les notions de « groupes de contrats » et d’« ensembles contractuels »). A présent, le droit positif français, que l’on aurait pu croire parvenu à une sorte d’équilibre, néanmoins fragile car pas exactement en harmonie avec la jurisprudence européenne sur cette question, vacille à nouveau en semblant amorcer une nouvelle évolution.

En d’autres termes, tout l’enjeu du débat va résider dans deux questions principales : la détermination (ou non) de certains droits d’action directe au profit de certains sujets de droits, à l’encontre de certains autres ; et la caractérisation du régime de ces actions : le demandeur pourra-t-il se voir opposer les clauses du contrat auquel est partie le défendeur, mais auquel lui-même est étranger ?

 

7. Les tentatives doctrinales et jurisprudentielles de résolution de la difficulté — Pour tenter de résoudre la difficulté, bien des arguments ont été utilisés.

 

8. La technique de l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles — D’abord, doctrine et jurisprudence ont pensé à aménager la théorie dite de la séparation des fautes. Selon cette théorie, il est des fautes contractuelles et des fautes délictuelles. Par suite, une faute délictuelle commise à l’occasion de l’exécution d’un contrat devrait appeler réparation sur un fondement délictuel ; et, dans tous les cas, une faute strictement contractuelle ne devrait pouvoir appeler réparation que sur un fondement contractuel. Encore une fois, la théorie paraît simple. Sa mise en œuvre l’est moins.

En premier lieu, les obligations contractuelles par accessoire ou complémentaires comme une obligation générale de sécurité[4] ou de renseignement[5], qui ont été mises à la charge des professionnels par la jurisprudence, sont sanctionnées par la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle dudit professionnel. Le principe du non-cumul vient justifier cette solution : entre parties à un même contrat, les dommages survenus en cours d’exécution de ce contrat sont réparés sur le terrain contractuel.

En second lieu, par une application combinée des principes de l’effet relatif et de la séparation des fautes, les juges seraient conduits à refuser toute indemnisation aux tiers victimes de l’inexécution d’une obligation contractuelle : en effet, ce tiers ne peut pas rechercher la responsabilité contractuelle du contractant défaillant ou solliciter l’exécution forcée de la part de ce dernier, puisque, précisément, il est tiers au contrat ; dans le même temps, il ne peut pas non plus prétendre rechercher la responsabilité délictuelle du contractant défaillant, car la faute à l’origine du dommage est une faute contractuelle et non pas une faute délictuelle. En d’autres termes, une application entière du principe de la séparation des fautes, alliée à une application rigoureuse du principe de l’effet relatif, conduirait à une injustice manifeste : un sujet de droit, victime, ne serait fondé à demander réparation à l’auteur du dommage, sur aucune base légale ; donc ce sujet de droit, victime, a le malheur de se trouver dans une zone de non-droit : le tonneau des Danaïdes du droit de la responsabilité civile.

Cette situation de « pur » droit[6], heurte l’éthique de la responsabilité[7], plus largement, le Juste[8], et plus simplement, la Raison. Ainsi, pour parvenir à une solution « juste » ou « raisonnable », la jurisprudence, dans un souci d’indemnisation des tiers victimes d’inexécutions contractuelles, a recouru à une technique que la doctrine a qualifié d’« assimilation des fautes »[9]. Le raisonnement est simple : il suffit de considérer que toute inexécution d’une obligation contractuelle qui cause un dommage à un tiers constitue ipso facto une faute délictuelle (et non pas une faute contractuelle). Mais il faut encore distinguer : il est deux sortes d’obligations contractuelles : celles qui sont strictement contractuelles, et celles qui ont été ajoutées au contrat par les juges, par application des dispositions de l’art. 1135 du Code civil[10], et qui relèvent de la bonne conduite générale en société (comme l’obligation de sécurité ou celle de renseignement, précitées).

La doctrine s’accorde à considérer que l’assimilation des obligations contractuelles par accessoire à des obligations délictuelles (ou de droit commun) ne présente  aucune difficulté dès lors que leur inexécution a causé un dommage à un tiers : ce tiers, victime, est alors tout à fait fondé à solliciter réparation de son préjudice, sur un fondement délictuel. En revanche, le principe de l’assimilation de la violation des obligations strictement contractuelles à des fautes délictuelles, suscite des résistances en doctrine. Ainsi, on a soutenu qu’en pareil cas, « le principe de l’effet relatif est atteint », au motif que « l’assimilation permet au tiers, sous couvert de responsabilité délictuelle, une action en exécution d’une obligation prise au profit exclusif du créancier »[11]. Nous ne partageons pas cet avis car, dans la presque totalité des cas, il ne s’agira que d’une exécution forcée fictive, c’est-à-dire non pas d’une exécution forcée au sens strict, mais d’une véritable indemnisation au sens de la responsabilité civile de droit commun. Donc, nous approuvons cette assimilation faite par les juges, car, pensons-nous, il vaut mieux détourner le principe de la séparation des fautes et réparer le préjudice bien réel d’une victime, plutôt que de s’en tenir à la lettre d’un principe théorique, et laisser subsister une injustice, en pratique, par absence d’indemnisation de la victime[12].

 

9. La construction de théories sur l’existence de « groupes de contrats » — Un courant doctrinal, en partie suivi par la jurisprudence, a mené des études tendant à démontrer qu’au-delà de la vision isolationniste du « contrat », on pouvait très bien dégager des « groupes » de contrats, étant entendu qu’à l’intérieur de ces « groupes », la responsabilité des opérateurs, membres de ces groupes (« parties » à ce « groupe »), serait forcément de nature contractuelle[13]. Le principal théoricien des « groupes de contrats », Monsieur le Professeur TEYSSIÉ, a opéré une distinction entre deux catégories de groupes de contrats : les chaînes de contrats et les ensembles contractuels.

 

10. Les chaînes de contrats — Pour cet auteur, les chaînes de contrats sont caractérisées par une « identité d’objet », « l’absence de tout personnage-clé », une « linéarité » dans la chronologie des contrats ; par ailleurs, l’auteur distingue deux types de chaînes de contrats : les « chaînes par addition » (l’exemple le plus typique est celui des ventes successives d’un même bien), et les « chaînes par diffraction » (incarnées par les sous-contrats qui, eux-mêmes, peuvent donner lieu à des « sous-sous-contrats »)[14].

Avec habileté, Monsieur TEYSSIÉ a démontré les effets potentiellement dévastateurs de l’adage nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet[15] sur l’ensemble des chaînes de contrats : il suffit que l’un des contrats de la chaîne soit frappé de nullité ou simplement résolu, pour que son auteur n’ait valablement transmis aucun droit au contractant suivant de la chaîne : il s’ensuit, potentiellement, des nullités en cascade lorsque la chaîne se poursuit[16]. Par suite, dans l’exemple d’une chaîne par addition, l’ultime propriétaire légitime du bien transmis pourra exercer une action en revendication entre les mains de l’ultime sous-acquéreur (art. 1599 du Code civil) ; et la seule chance pour ce dernier de voir valider son acquisition nonobstant la fausse qualité de vendeur (ou qualité de vendeur apparent) de son auteur, est de rapporter la preuve qu’il a acquis ce bien de bonne foi, sous l’empire d’une erreur commune, alors que la cause de la nullité du titre du propriétaire apparent est demeurée et devait nécessairement être ignorée de tous[17].

 

11. Les ensembles contractuels — Toujours pour cet auteur, les « ensembles de contrats » se caractérisent par la réalisation d’un objectif commun, sous le patronage d’un « instigateur » principal, et une conjonction « circulaire » plus ou moins complexe de « moyens contractuels »[18] ; par ailleurs, l’auteur distingue entre deux catégories d’ensembles contractuels : les ensembles de contrats interdépendants —certains étant indivisibles (comme les opérations de transports de marchandises[19]), d’autres étant divisibles (comme la coassurance[20]) — et les ensembles de contrats à dépendance unilatérale (par exemple, le cautionnement, ès-qualité de sûreté personnelle, est l’accessoire de la dette principale : ainsi, l’anéantissement d’un contrat de prêt justifiera, à sa suite, l’anéantissement du contrat de caution qui était censé en garantir le remboursement[21]).

On retrouve le même type de risque d’annulations en cascade dans les ensembles contractuels : « l’anéantissement » (annulation, résolution, résiliation) de l’un des contrats du groupe « prive les autres de leur raison d’être »[22] (l’auteur distingue souvent entre la causa proxima et la causa remota[23] : par exemple, la cause d’un prêt résidant dans l’achat d’un bien déterminé, est à la fois la causa proxima du prêt et la causa remota du cautionnement consenti en garantie de ce prêt[24]) ; dans le cadre d’un ensemble indivisible de contrats, « si l’un d’entre eux est entaché d’un vice quelconque ou n’est pas respecté, l’existence du groupe est mise en péril »[25] ; lorsqu’« un contrat participe à un ensemble (à dépendance unilatérale) en qualité d’accessoire, sa disparition résultera, en principe, de celle du principal »[26].

 

12. Le cas particulier des « ensembles » contractuels résultant d’un contrat-cadre — Les « ensembles contractuels » résultant d’un contrat-cadre sont formés par un ensemble formé par un contrat-cadre, et tous les contrats pris en application dudit contrat-cadre. Il s’agira le plus souvent de contrats de vente à exécution successive, sur des périodes plus ou moins longues, comme des contrats de distribution : contrat d’achat exclusif, contrat d’assistance et de fourniture, contrat de distribution sélective, contrat de concession exclusive, contrat de franchise[27]. En d’autres termes, l’accord cadre fixe les grandes lignes d’une collaboration commerciale entre deux entreprises, pour une certaine durée.

 

La validité des contrats-cadre ne fait plus guère de difficultés : la seule que l’on aurait pu y voir aurait été la nullité pour indétermination du prix, au moment de la formation de cet accord cadre. Mais, comme il n’est pas possible de prévoir les fluctuations de prix du marché, notamment en fonction de l’offre et de la demande, la jurisprudence française a dû abandonner sa position initiale[28], et affirmer que la détermination du prix ne constitue plus une condition de validité du contrat, que tout abus du vendeur dans la fixation unilatérale du prix sera sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par des dommages-intérêts équivalant à la réduction judiciaire du prix. Aussi, en pratique, cette question de la fixation du prix dans les contrats de longue durée ou, à tout le moins, à exécution successive, est réglée dès la formation du contrat-cadre, par un dispositif contractuel approprié[29].

 

Le régime des ensembles contractuels résultant d’un contrat-cadre, lui non plus, ne fait guère de difficultés. Le droit commercial, et plus particulièrement le droit commercial international, est très sensible aux usages, qu’il s’agisse des usages inter partes, ou des usages de branche professionnelle (seuls ces derniers participant de la lex mercatoria). Ainsi :

– si une clause d’arbitrage est contenue dans un contrat-cadre,

– que, par souci de rapidité, les contrats de vente pris en en application du précédent, sont des contrats short form (ou contrats abrégés dans leur forme),

– et qu’en cas de survenance d’un litige à l’occasion de l’exécution de l’un de ces contrats short form, l’acheteur prétend ignorer la clause figurant dans le contrat-cadre, et plaide pour la reconnaissance de la compétence d’un tribunal de commerce prétendument saisi,

ledit tribunal devra se déclarer incompétent au profit de la juridiction arbitrale car, non seulement l’acheteur a manifesté son consentement au contrat-cadre en cause, pour toute la durée de la mise en œuvre de ce contrat, mais encore, il est dans les usages du commerce d’utiliser des contrats short form qui renvoient à des conditions générales séparées (simplement, ici, ces « conditions générales » sont matérialisées par un contrat au sens instrumental : le contrat-cadre).

 

13. La réception relative de la théorie des groupes de contrats par la jurisprudence judiciaire — En 1979, la Première Chambre civile de la Cour de cassation, probablement inspirée par les travaux de Monsieur TEYSSIÉ, a estimé que « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie des vices cachés affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle »[30]. La contagion du « nécessairement » — adverbe ajouté à la formule pour essayer probablement de conférer plus de poids à une affirmation que ses auteurs pressentaient mal fondée — atteint ensuite les contrats d’entreprise : ainsi, est-il jugé, par la même formation, en 1984, que « le maître de l’ouvrage dispose contre le fabricant de matériaux posés par un entrepreneur, d’une action directe pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle »[31].

La Troisième Chambre de la Cour Suprême s’oppose à une telle qualification et considère qu’une telle action du maître de l’ouvrage contre le fabricant est, non pas de nature contractuelle, mais bien de nature délictuelle, les deux opérateurs n’étant directement liés par aucun contrat[32].

Mais cette velléité est réprimée par un arrêt d’Assemblée Plénière du 7 février 1986 qui retient que « le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions qui appartenaient à son auteur ; il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée »[33]. Le droit d’action « suit », en quelque sorte, la chose, comme un accessoire de celle-ci.

 

Forte de cet encouragement, la Première Chambre civile poursuit son œuvre… Deux ans plus tard, elle octroie au maître de l’ouvrage « une action de nature nécessairement contractuelle » à l’encontre d’un sous-traitant de l’entrepreneur[34]. Toujours en 1988, le vent en poupe, la même Chambre emploie la « notion » qui fait frémir les puristes : « Attendu que dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien (quel lien ? de quelle nature ?) avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance (…), la victime ne peut disposer contre lui que d’une action contractuelle, même en l’absence de contrats entre eux »[35]. Désormais, il semble que l’existence de ce « groupe » de contrats justifie la nature contractuelle de l’action, ainsi que le droit d’action directe.

L’histoire bégaye : comme précédemment, la Troisième Chambre civile s’oppose à ces affirmations, en observant que « l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance »[36].

En 1991, à l’occasion de l’affaire Besse, l’Assemblée Plénière dresse enfin une digue tendant à restaurer et protéger (au moins en partie) le principe de l’effet relatif, des assauts répétés de la Première Chambre civile, en affirmant avec éclat, au visa de l’art. 1165 du Code civil, qu’aucun lien contractuel n’existant entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant, l’action du premier contre le second ne pouvait être accueillie sur un terrain contractuel. Mais cet arrêt ne limite que partiellement les dégâts occasionnés par la théorie des « groupes ». En effet, si l’arrêt s’oppose aux actions directes dans les chaînes non-translatives, il laisse au moins tacitement subsister les actions directes dans les chaînes translatives, c’est-à-dire reposant sur la transmission d’un bien.

 

En conséquence, postérieurement, la jurisprudence française retient deux catégories de solutions.

 

• D’abord, dans les chaînes non-translatives, le principe de l’effet relatif doit être respecté et les juges du fond ne peuvent pas voir une action en responsabilité contractuelle là où il n’y a aucun contrat liant les parties à l’instance ; en cette matière, les actions directes reculent[37].

 

• Ensuite, dans les chaînes translatives — qu’elles soient homogènes (vente-vente[38]) ou hétérogènes (vente-entreprise[39]) —, la jurisprudence française penche plutôt pour la recevabilité des actions directes. Partant, elle en a déduit que le demandeur à l’action directe pourrait se voir opposer les clauses du contrat auquel est lié le défendeur[40].

 

Mais cette position est fermement condamnée par la jurisprudence européenne prise en la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt Handte[41]) qui préconise une distinction ferme entre la matière contractuelle d’une part, et la matière délictuelle d’autre part. Le droit européen, qui, dans une directive de 1985, est à l’origine de la modernisation du droit français sur ce point, a exigé des Etats membres qu’ils adoptent en droit interne des dispositions de nature à rechercher la responsabilité des fabricants de produits défectueux (transposition faite aux articles 1386-1 et suivants du Code civil français). Mais la Cour européenne est allée au-delà du seul droit des ventes et, statuant sur des questions préjudicielles à elle posées par la Cour de cassation française[42] relativement à l’interprétation, notamment, de l’art. 5, § 1 et 3, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale[43], a étendu cette solution à l’action… du destinataire des marchandises à l’encontre du transporteur maritime[44].

 

Sur le fond, nous démontrerons que cette dernière extension est, par exception, critiquable, en raison du statut particulier du destinataire des marchandises transportées.

 

En droit des ventes internationales, la Convention de Vienne de 1980 est claire et n’envisage que l’action de l’acheteur contre son vendeur : point d’action directe d’un sous-acquéreur contre le premier vendeur ou un vendeur antérieur[45] ! Le vendeur, partie à une vente internationale soumise à la CVIM, n’est contractuellement responsable qu’envers son cocontractant : l’acheteur étranger.

Enfin, en droit français, si la Chambre commerciale de la Cour de cassation paraît avoir tiré les leçons de la justice européenne, la Première Chambre civile tente de l’éluder en considérant que les clauses du premier contrat (de vente) se transmettent avec l’action « sauf ignorance raisonnable » de ces clauses par le sous-acquéreur[46].

 

14. Un nouveau pavé dans la mare des « groupes » de contrats… — Quant à la Troisième Chambre civile, elle vient de jeter un nouveau pavé dans la mare des « groupes » de contrats, par un arrêt remarqué du 28 novembre 2001 : « ayant exactement relevé que le sous-traitant engage sa responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage sur le fondement délictuel, une Cour d’appel retient à bon droit que le fournisseur de ce sous-traitant doit, à l’égard du maître de l’ouvrage, répondre de ses actes sur le même fondement  »[47]. Nous saluons cet arrêt par lequel le droit positif français se rapproche peu à peu de la solution de principe posée par la Cour européenne, dans le respect du principe de l’effet relatif des conventions : le domaine des pseudo-groupes de contrats recule, et il semblerait qu’il ne concerne plus désormais, dans la conception de Monsieur TEYSSIÉ, que les chaînes translatives homogènes.

 

Mais, ainsi que l’observent justement MM. LE TOURNEAU et CADIET :  « reste à espérer que toutes les Chambres de la Cour de cassation adopteront la même position. Il découle de l’arrêt Haironville que le maître de l’ouvrage ne pourra plus invoquer ni la garantie des vices ni le défaut de conformité contre le fournisseur du sous-traitant ; qu’une clause limitative de garantie convenue entre le fournisseur et le sous-traitant n’est pas opposable au maître de l’ouvrage ; que la prescription est de dix ans »[48].

 

Donc, en résumé, à ce jour, contrairement à l’affirmation de certains auteurs qui estimaient que l’action est « contractuelle au sein des groupes translatifs et délictuelle dans les autres groupes »[49], nous constatons avec grande satisfaction que la position initiale des juridictions françaises sur cette question a déjà beaucoup régressé, sous l’influence bénéfique de la Haute Cour européenne, que cette avancée de la jurisprudence judiciaire, avec cet arrêt de novembre 2001, marque une nouvelle étape dans la mise à mort de la pseudo-théorie des « groupes » de contrats.

 

Enfin, on observera que, par ce mouvement de retour au respect du principe de l’effet relatif, le droit positif français interne ne s’en trouvera que plus en correspondance avec les solutions adoptées en cette matière, en droit international privé, que nous aurons l’occasion d’examiner dans nos développements.

 

15. Le principe de l’effet relatif dans les contrats commerciaux internationaux — Dans les contrats commerciaux internationaux, comment le principe de l’effet relatif, principe universel des contrats, est-il accueilli ? C’est, en définitive, et à l’issue d’une longue réflexion, que nous répondrons à cette question, qui est la question de principe sous-tendant l’intitulé originel du présent travail : l’exploitation commerciale des navires et les groupes de contrats.

Un tel titre suppose que l’exploitation commerciale des navires mettrait en œuvre un « groupe » de contrats au sens doctrinal que nous avons rappelé. En effet, l’exploitation commerciale d’un navire de transport de marchandises (nous excluons de notre champ d’étude toutes les questions inhérentes aux transports de passagers), que ce soit par le biais d’un contrat de transport, comme un connaissement, et/ou d’une charte-partie d’affrètement, est à la croisée de la mise en œuvre de plusieurs contrats : autour des contrats spécifiquement maritimes de transport et d’affrètement, gravitent des contrats d’assurances (maritimes), des ventes ou crédits-baux internationaux, des crédits documentaires, des conventions de commission ou de représentation, ainsi qu’un certain nombre d’opérateurs « dérivés » de l’exploitation commerciale des navires, tels que sociétés de remorquage et de manutention portuaire… En cas de perte ou avarie aux marchandises, à un moment de l’exécution de cette véritable « chaîne du transport », on mesure aisément l’intensité du litige qui peut en résulter, spécialement en ce qui concerne la mise en œuvre du principe de l’effet relatif des conventions : comment ce principe va-t-il s’adapter à cet enchevêtrement de contrats ? Là est toute la question, qui va en susciter beaucoup d’autres. Les clauses de tel contrat sont-elles opposables à tel opérateur qui y est tiers ? Si oui, à quelles conditions ? Inversement, un opérateur tiers à un contrat donné peut-il se prévaloir d’une clause de ce contrat, à son profit, ou à l’encontre de l’une des parties au contrat ? L’une des parties à un contrat donné dispose-t-elle d’une action directe (en paiement, par exemple) à l’encontre d’un tiers à ce contrat ? Inversement, un tiers à un contrat de cette chaîne du transport, dispose-t-il d’une action directe (en responsabilité, par exemple) à l’encontre de l’une des parties à ce contrat ?

Rappelons que la notion de « groupe » de contrats est, à l’évidence, une notion économique, mais certainement pas une notion juridique. En ce sens, mais avec plus de nuances, les Professeurs VINEY et JAMIN font respectivement observer que « la notion de groupe de contrats (est) trop vaste et imprécise pour servir de critère à l’application de la responsabilité contractuelle. »[50], et que « la théorie des groupes de contrats, esthétiquement séduisante, reposerait sur une prise en compte de la réalité économique dont la complexité croissante nécessiterait une traduction juridique (…). Pour se borner à l’application de la théorie dans le domaine de la responsabilité, il est aisé de relever, d’une part, que la réalité économique n’implique pas nécessairement la reconnaissance d’un lien juridique entre le créancier et le débiteur de son débiteur en dehors d’une série d’actions récursoires et, d’autre part, qu’il n’est pas inconcevable d’estimer que les juristes ont depuis fort longtemps pris en compte cette réalité en permettant au créancier, dès 1897 et plus certainement en 1931, d’agir en responsabilité délictuelle à l’encontre du sous-débiteur »[51].

Donc, ce serait faire fausse route que de prétendre rechercher un prétendu régime des « groupes » de contrats, venant s’intégrer dans la théorie générale des contrats. La véritable question ne nous paraît pas se poser pas ainsi.

Répondre à l’ensemble des questions que nous avons évoquées (et à d’autres, liées), suppose non pas de s’appuyer sur cette fausse notion de « groupe » de contrats, qui, pour nous, est un non-sens juridique, mais sur le principe de l’effet relatif des conventions, qu’il conviendra, au besoin, d’aménager.

En conséquence, le fil d’Ariane de notre démonstration, omniprésent, sera toujours le principe de l’effet relatif des conventions. Chaque pas de nos investigations sera éclairé par le principe de l’effet relatif des conventions. Aussi, pour répondre largement au passionnant débat ainsi soulevé, il nous paraît utile d’élargir le champ de notre étude au-delà de la stricte exploitation commerciale des navires, et de répondre à la question plus générale, et de principe, de savoir comment le principe de l’effet relatif est accueilli dans les contrats commerciaux internationaux en général, les contrats relatifs à l’exploitation commerciale des navires ne reflétant que l’un des aspects du commerce international, mais un aspect incontournable, pour les raisons que nous avons vues précédemment.

 

16. Tentative de rationalisation des actions directes à l’intérieur de la chaîne du transport — Sur la question particulière de l’exploitation commerciale des navires, nous mettrons en évidence l’existence, de fait, en droit positif (français), d’une véritable chaîne du transport, pas seulement au sens économique. Nous observerons que la jurisprudence a autorisé progressivement, par petites touches impressionnistes, un certain nombre d’actions directes à l’intérieur de ces chaînes du transport. Ce n’est pas par souci de nous adapter à la jurisprudence (régulièrement fluctuante), mais par souci de simplifier les procédures d’indemnisation ou de paiement des opérateurs, à l’intérieur de ces chaînes du transport, qu’il nous paraît utile et d’un grand intérêt pratique d’expliquer juridiquement pourquoi il convient, de manière rationnelle, d’octroyer des droits d’action directe à certains opérateurs et pas à d’autres. On ne peut reprocher à la jurisprudence d’avoir institué ces actions directes peu à peu, car, comme l’on sait, « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » (art. 5 du Code civil). En revanche, il appartient à la doctrine de proposer des éléments de solutions. C’est à ce difficile exercice que nous allons nous livrer.

 


[1] V. principalement : Philippe RÉMY, La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept, RTDCiv. 1997, p. 323 ; Éric SAVAUX, La fin de la responsabilité contractuelle ?, RTDCiv. 1999, p. 1. En quelques mots, la thèse des partisans de la suppression du concept de « responsabilité » contractuelle est la suivante : lorsqu’un contrat est inexécuté, les « dommages-intérêts » (qui, en conséquence, portent mal leur nom), sont en réalité une exécution forcée du contrat, par équivalent ; en revanche, en matière délictuelle, le dommage causé est effectivement « réparé » par des dommages-intérêts (des « vrais », cette fois). En d’autres termes, l’inexécution d’un contrat est toujours sanctionnée par une exécution forcée ; d’un autre côté, les dommages délictuels sont toujours réparés ou indemnisés. En conséquence, il n’y aurait plus lieu de distinguer entre deux ordres de responsabilité, et il y aurait encore moins lieu de s’interroger sur les « rapports » qu’entretiennent ces « deux ordres de responsabilités ». La thèse est en effet séduisante.

[2] SAVATIER, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, RTDCiv. 1934, p. 525.

[3] V. Laurence LETURMY, La responsabilité délictuelle du contractant, RTDCiv. 1998, p. 839.

[4] Le transporteur (contrat de voyage) ne peut s’exonérer de son obligation de sécurité de résultat qu’en démontrant que le dommage corporel est dû à un fait imprévisible et irrésistible constitutif de force majeure : Civ. 1ère, 21 octobre 1997, Bull. n° 288 ; Dalloz Affaires 1997, p. 1352 (en l’espèce, la SNCF ne rapportait pas la preuve que la chute d’un voyageur par la portière d’un train, accident qui aurait pu être évité par la mise en place d’un système approprié interdisant l’ouverture des portières pendant la marche du train, présentait les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité de la force majeure).

[5] L’obligation de renseignement d’un fabricant ou d’un revendeur spécialisé est une obligation de moyens : Civ. 1ère, 23 avril 1985, D 1985, p. 558, note DION ; RTDCiv. 1986, p. 367, obs. HUET. C’est au débiteur de cette obligation qu’il incombe de rapporter la preuve qu’il y a satisfait : Civ. 1ère, 25 février 1997, Bull. n° 75 ; D 1997, Somm. 319, obs. PENNEAU ; RTDCiv. 1997, p. 434, obs. JOURDAIN ; JCP 1997.I.4025, n° 7, obs. VINEY ; Resp. civ. et assurances 1997, chron. p. 8, par LAPOYADE-DESCHAMPS ; Defrénois 1997, p. 751, obs. AUBERT.

[6] Il faut se méfier de ce qui est prétendument « pur » : v. B.-H. LÉVY, La pureté dangereuse, Grasset 1994.

[7] Yvonne LAMBERT-FAIVRE, L’éthique de la responsabilité, RTDCiv. 1998, p. 1 ; Jean LÉONNET, Éthique des affaires et droit des contrats, Dalloz Affaires, n° 3, octobre 1995, p. 57.

[8] Jacques GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, Archives de philosophie du droit, tome 26, Sirey, 1981, p. 35 ; Nathalie DION, Le juge et le désir du juste, D 1999, chron. 195.

[9] V. par exemple, M. BACACHE-GIBEILI, op. cit. n° 80, s. p. 78, s.

[10] « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. »

[11] BACACHE-GIBEILI, op. cit. n° 95, spécialement p. 89.

[12] En ce sens, dans un arrêt du 19 janvier 1999, M. BIZOT, alors Président de la 1ère Chambre, Section A, de la Cour d’appel de Bordeaux (et à présent Conseiller à la Cour de cassation), a jugé que les sous-acquéreurs d’un fonds de commerce, qui s’étaient engagés à reprendre à leur compte le paiement des loyers d’une convention de crédit-bail portant sur divers matériels, avaient, en n’honorant pas cet engagement contractuel, causé un préjudice à l’épouse du premier acquéreur (crédit-preneur et revendeur) dudit fonds, laquelle s’était portée caution pour garantir le paiement de ces loyers, auprès de la société de crédit-bail, et avait, de ce chef, été appelée en paiement par ladite société de crédit-bail ; en conséquence, si, par application des dispositions de l’art. 2032 du Code civil, la caution ne dispose d’un recours contractuel que contre le débiteur principal (le crédit-preneur), et qu’elle ne peut pas, sur le fondement de ce texte, rechercher la responsabilité des sous-acquéreurs, en revanche, « l’inexécution des obligations contractuelles des acheteurs (sous-acquéreurs) du fonds de commerce a constitué, à l’égard de la caution du vendeur, une faute délictuelle dont l’intéressée est à la fois recevable et fondée à demander réparation » (n° de rôle : 96001530).

[13] V. principalement : TEYSSIÉ, Les groupes de contrats, LGDJ 1975, préface MOUSSERON ; NÉRET, Le sous-contrat, LGDJ 1979, préface CATALA ; et un peu plus tard : BACACHE-GIBEILI, La relativité des conventions et les groupes de contrats, LGDJ 1996, préface LEQUETTE.

[14] TEYSSIÉ, op. cit. n° 69, s. p. 39, s.

[15] Nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui même : ROLAND et BOYER, op. cit. n° 245, p. 511, s.

[16] TEYSSIÉ, op. cit. n° 274, s. p. 146, s.

[17] Jurisprudence constante : v. notamment : Civ. 1ère, 9 janvier 1996, Bull. n° 15 ; JCP 1997.I.4010, n° 3, obs. PÉRINET-MARQUET.

[18] TEYSSIÉ, op. cit. n° 174, s. p. 95, s.

[19] TEYSSIÉ, op. cit. n° 191, s. et 195, s. p. 102, s.

[20] TEYSSIÉ, op. cit. n° 205, s. p. 107, s.

[21] V. art. 2011 du Code civil, l’adage accessorium sequitur principale (ROLAND et BOYER, n° 3, p. 1) et TEYSSIÉ, op. cit. n° 226, s. p. 120, s.

[22] TEYSSIÉ, op. cit. n° 302, s. p. 157, s.

[23] La « causa remota » serait la cause éloignée ou lointaine d’un acte juridique.

[24] Mais est-ce toujours le cas ? La caution connaît-elle toujours l’objectif réellement poursuivi par l’emprunteur ? Cette affirmation générale de Monsieur TEYSSIÉ, théorique, nous paraît ne pas toujours correspondre à la réalité.

[25] TEYSSIÉ, op. cit. n° 300, s. p. 157, s.

[26] TEYSSIÉ, op. cit. n° 325, s. p. 168, s.

[27] Sur tous ces contrats, v. Didier FERRIER, Droit de la distribution, Litec 2000, n° 449, s. p. 216, s.

[28] V. par exemple : Cass. Com. 12 février 1974, D 1974, p. 414, note GHESTIN ; JCP 1975.II.17915.

[29] V. par exemple : Régine BONHOMME, Les clauses de variation de prix : clauses confiant à un tiers la fixation du prix, clauses définissant un mécanisme de calcul du prix et clauses complémentaires de garantie, JCP E 2001, pp. 68, 112 et 165.

[30] Civ. 1ère, 9 octobre 1979, D 1980, I.R. 222, obs. LARROUMET ; RTDCiv. 1980, p. 354, obs. DURRY ; Gaz. Pal. 1980, jur. 249, note PLANCQUEEL.

[31] Civ. 1ère, 29 mai 1984, D 1985, p. 213, note BÉNABENT ; JCP 1985.II.20387, note MALINVAUD.

[32] Civ. 3ème, 19 juin 1984, D 1985, loc. cit. ; JCP 1985, loc. cit.

[33] Ass. Plén. 7 février 1986, D 1986, p. 293, note BÉNABENT ; D 1987, somm. 185, obs. GROUTEL ; RTDCiv. 1986, p. 364, obs. HUET, p. 596, obs. MESTRE, et p. 606, obs. RÉMY ; JCP 1986.II.20616, note MALINVAUD ; Gaz. Pal. 1986, jur. p. 543, note BERLY ; Grands arrêts, n° 179.

[34] Civ. 1ère, 8 mars 1988, RTDCiv. 1988, p. 551, obs. RÉMY ; JCP 1988.II.21070, note JOURDAIN ; RJC 1988, p. 304, note DELEBECQUE ; Grands arrêts, n° 102.

[35] Civ. 1ère, 21 juin 1988, JCP 1988.II.21125, note JOURDAIN ; JCP E 1988.II.15294, note DELEBECQUE ; D 1989, p. 5, note LARROUMET ; RTDCiv. 1989, p. 74, obs. MESTRE, p. 107, obs. RÉMY, p. 760, obs. JOURDAIN.

[36] Civ. 3ème, 22 juin 1988, JCP 1988, loc. cit. Approuvant cette solution, plus conforme au principe de l’effet relatif, v. notamment : Philippe CONTE, note sous Agen, 7 décembre 1988, Gaz. Pal. 1989, jur. p. 899.

[37] La chaîne de contrats formée par un contrat de location et un sous-contrat de location est régie par la responsabilité délictuelle de droit commun : Civ. 3ème, 8 décembre 1993, Bull. n° 159.

[38] Civ. 1ère, 27 janvier 1993, Bull. n° 44 ; Cass. Com. 2 mars 1999, RJDA 1999, n° 519.

[39] Ainsi, le maître de l’ouvrage et l’acquéreur d’un immeuble disposent d’une action directe contre les constructeurs : Civ. 3ème, 3 juillet 1996, Bull. n° 167 ; 8 février 1995, Bull. n° 39 / D 1995, I.R.72. Maître de l’ouvrage et acquéreur d’immeuble disposent encore d’une action directe contre les fournisseurs de matériaux : Civ. 3ème, 13 mai 1992, JCP 1992.I.3608, obs. JAMIN ; Cass. Com. 10 décembre 1991, Contr. conc. cons. 1992, n° 47, obs. LEVENEUR

[40] Pour l’opposabilité d’une clause d’élection de for par un fabricant à un vendeur intermédiaire : Civ. 3ème, 30 octobre 1991, Bull. n° 251 [contra : Cass. Com. 26 mai 1992, Bull. n° 210]. Pour l’opposabilité d’une clause de limitation de responsabilité à un sous-acquéreur : Civ. 1ère, 7 juin 1995, Bull. n° 249 ; Civ. 3ème, 26 mai 1992, Bull. n° 168.

[41] CJCE, 17 juin 1992, Bulletin des arrêts de la CJCE, I : rapport, p. 3968 à 3976 ; conclusions de l’avocat général, p. 3977 à 3989 ; arrêt : p. 3990 à 3996. V. aussi : RCDIP 1992, p. 726, note GAUDEMET-TALLON ; RTDE 1992, p. 709, note de VAREILLES-SOMMIERES ; JCP 1992.II.21927, note LARROUMET ; JCP E 1992.II.363, note JOURDAIN ; D 1993, somm. 214, obs. KULLMANN ; JCP 1993.I.3664, n° 3, obs. VINEY ; JDI 1993, p. 469, obs. BISCHOFF.

[42] Cass. Com. 28 janvier 1997, RCDIP 1997, p. 101, rapp. RÉMERY.

[43] Par application des dispositions de l’art. 293 du Traité CEE, qui recommande la conclusion de Conventions entre Etats membres de l’Union européenne, en vue d’assurer, notamment, la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires et des sentences arbitrales, la Convention de 1968 dont l’interprétation faisait problème et avait justifié les questions préjudicielles posées par la Haute Cour française, a été remplacée par un Règlement européen, adopté par le Conseil européen des Ministres le 22 décembre 2000. Sur ce nouveau texte, v. le très complet commentaire de Jean-Paul BÉRAUDO, Le Règlement CE du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JDI 2001, p. 1033.

[44] CJCE, 27 octobre 1998 (Alblasgracht V002), DMF 1999, p. 9, concl. de l’Avocat général COSMAS, obs. DELEBECQUE, p. 33.

[45] Civ. 1ère, 5 janvier 1999, Bull. n° 6 ; D 1999, p. 383, note WITZ.

[46] « Dans une chaîne homogène de contrats translatifs de marchandises, la clause d’arbitrage international se transmet avec l’action contractuelle, sauf preuve de l’ignorance raisonnable de l’existence de cette clause » : Civ. 1ère, 6 février 2001, Bull. n° 22 ; JCP 2001.II.10567, note LEGROS ; JCP E 2001, p. 1228, note MAINGUY et SEUBE ; D 2001, somm. 1135, obs. DELEBECQUE ; RTDCom. 2001, p. 413, obs. LOQUIN ; Rev. arb. 2001, p. 765, note COHEN ; Contr. Conc. Cons. 2001, p. 1135, note LEVENEUR. Add. Ch. SERAGLINI, Gaz. Pal. 14-15 décembre 2001, p. 6 et E. LOQUIN, Différences et convergences dans le régime de la transmission et de l’extension de la clause compromissoire devant les juridictions françaises, Gaz. Pal. 5-6 juin 2002, p. 7.

[47] Civ. 3ème, 28 novembre 2001 (Haironville), Bull. n° 137 ; D 2001, I.R.3543 ; D 2002, jur. p. 1442, note Jean-Pierre KARILA.

[48] Philippe LE TOURNEAU et Loïc CADIET, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action 2002-2003, n° 955, p. 281.

[49] BACACHE-GIBEILI, op. cit. n° 10, pp. 7 et 8.

[50] G. VINEY, note sous Ass. Plén. 12 juillet 1991, JCP 1991.II.21743.

[51] Ch. JAMIN, Une restauration de l’effet relatif du contrat (à propos de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 12 juillet 1991), D 1991, chron. 261.

 

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(fin de la citation)

 

Pour essayer de conclure, en actualisant ainsi le sujet des « groupes de contrats », le lecteur est invité à lire l’Arrêt de l’Assemblée Plénière de la COUR DE CASSATION du 6 OCTOBRE 2006, qui, pour résoudre la question de la réparation du préjudice résultant de l’inexécution d’un contrat, mais subi par un tiers, a consacré :

– l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle (une faute contractuelle, devient délictuelle lorsqu’elle cause un dommage à un tiers),

– l’opposabilité du contrat aux tiers, en tant que fait juridique potentiellement dommageable,

– le renforcement du principe de l’effet relatif des conventions et corollairement,

– la consolidation de la vocation générale indemnitaire du droit commun de la responsabilité civile délictuelle.

Avec cet arrêt qui fait déjà date, la théorie des « groupes de contrats » nous paraît appartenir définitivement au passé, et à l’Histoire du Droit.

 

Pour aller plus loin, v. :

– Le texte de cet arrêt fondamental du 6 OCTOBRE 2006 ;

– L’Avis de Monsieur GARIAZZO, Premier Avocat Général près la Cour de cassation, préalable à l’Arrêt d’Assemblée plénière précité ;

– Le Rapport de Monsieur ASSIE, Conseiller Rapporteur ;

– Et nos brèves observations ;

Le tout, disponible sur le présent site : https://cedricbernat.wordpress.com/category/responsabilite-civile/

9 mars 2010

Les sûretés personnelles particulières au Droit commercial international : la « garantie à première demande », le « cautionnement à première demande » et la « lettre de crédit stand-by »

 

Avertissement : Les développements qui suivent sont extraits de la Thèse de Doctorat de Cédric BERNAT : « L’exploitation commerciale des navires et les groupes de contrats, OU Le principe de l’effet relatif dans les contrats commerciaux internationaux« , publiée aux éditions ANRT 2005. 

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1270. Division — Nous ne reviendrons pas sur les lettres d’intention que nous avons déjà présentées[1].

En revanche, en raison de son succès particulier et de ses possibles extensions, la garantie à première demande présente un intérêt certain pour les opérateurs du commerce international (A). Par ailleurs, le Professeur LEGEAIS s’est interrogé sur le point de savoir s’il y a « place en droit français pour une garantie dont le régime serait pour une part emprunté au cautionnement et pour l’autre à la garantie à première demande ? »[2] (B). Enfin, la lettre de crédit stand-by viendra compléter ce tableau (C).

A. La garantie à première demande

1271. Genèse des garanties autonomes — La pratique internationale est à l’origine de la diversification des garanties contractuelles et spécialement des garanties à première demande[3], dont la particularité est de « profiter à l’acheteur (importateur ou créancier d’une prestation caractéristique) »[4]. Largement utilisée à partir des années 1970, la garantie à première demande, « devenue la norme en matière internationale », connaît également un succès certain en droit interne, spécialement pour éviter, du côté des créanciers, « les contestations répétées dont fait l’objet le cautionnement »[5].

1271-1. Typologie des risques garantis — Monsieur MATTOUT souligne que la fonction de ces garanties était il y a quelques décennies, assurée, dans une moindre mesure, par les dépôts en espèce ou en titres, qui n’étaient pas sans inconvénients pour la trésorerie des entreprises exportatrices[6]. Les cautionnements ont pris le relais en se substituant à cette pratique des dépôts. Puis, face aux renforcements des droits de la caution dans les différents droits positifs nationaux, les opérateurs du commerce international ont préféré, autant que possible, s’en détourner, en créant de redoutables sûretés nouvelles : les garanties autonomes.

Ces sûretés nouvelles s’inscrivent naturellement dans une logique commerciale. Aussi, l’opérateur qui répond à une offre de contracter, pour attester de sa levée d’option, va émettre une garantie de soumission (bid bond ou tender bond) ; en cas de versement d’un acompte lors de la signature du contrat principal (de vente internationale par exemple), celle des deux parties qui reçoit un acompte émet au profit de l’autre, une garantie de restitution d’acompte (advance payment guarantee) ; pour garantir une obligation de faire, est émise une garantie de bonne fin (performance bond)[7] ; pour garantir une obligation de payer, est émise un « faux performance bonds » ; et pour la période postérieure à l’accomplissement final du contrat principal (après la livraison par exemple) est émise (par le vendeur) une garantie de dispense de retenue de garantie (retention money bond) (qui s’avérera utile en cas de demande de restitution du prix pour non conformité des marchandises)[8].

1271-2. Typologie des garanties autonomes — Pour donner vie à ces garanties, la pratique a créé quatre procédés : la garantie sur simple demande, la garantie à première demande justifiée[9], la garantie documentaire[10], ou la lettre de crédit stand-by[11]. Dans le même temps, presque aucun Etat ne s’est doté d’un dispositif législatif prétendant encadrer la matière[12]. 

Pour notre part, nous traiterons la lettre de crédit stand-by séparément[13], et nous consacrerons ici à la plus fréquente des trois autres formes de garanties précitées : la garantie sur simple demande ou garantie à première demande.

 

1272. Échec de la première codification CCI (1978) — Les quatre techniques de garantie ainsi créées satisfaisaient largement les intérêts des bénéficiaires de ces garanties… mais un peu trop, du point de vue des donneurs d’ordres. Aussi, de façon louable, la Chambre de commerce internationale (CCI) ayant souhaité remédier à ce manifeste déséquilibre dans la sauvegarde des intérêts respectifs des importateurs et exportateurs, a élaboré des Règles uniformes pour les garanties contractuelles[14], qui ont placé ces garanties « à mi-chemin entre le cautionnement classique et la garantie à première demande »[15]. Mais ces règles, « ne répondant pas au rapport de force existant sur le marché »[16], ne furent choisies comme lex contractus que par quelques rarissimes opérateurs[17] ; en d’autres termes, elles sont largement demeurées lettre morte, même si, pour les besoins de la cause, c’est-à-dire pour les rares opérateurs qui y avaient eu recours, la CCI ne les a pas purement et simplement apostasiées.  

 

1273. Nette amélioration de la seconde codification CCI (1991) Tirant les leçons de cet échec, la CCI publia le 3 décembre 1991 de nouvelles Règles uniformes relatives aux garanties sur demande[18] (RUGD), dont l’un des piliers est indubitablement l’art. 20 qui, d’après les termes mêmes de sa rédaction, se veut supplétif de la volonté des parties (à l’instar des RUU relatives aux crédits documentaires), et aux termes duquel, si le bénéficiaire souhaite appeler le garant en paiement, il doit néanmoins expressément indiquer à ce dernier en quoi le donneur d’ordre a failli dans l’exécution des obligations dont il était débiteur en application des stipulations du contrat de base.

Cette solution équilibrée ne peut qu’être approuvée[19]. Cependant, il semble que la séparation (l’«autonomie») entre, d’une part, le contrat dit « de base », et, d’autre part, le contrat de garantie, s’amincisse, dès lors que le bénéficiaire doit indiquer au garant en quoi le donneur d’ordre s’est avéré défaillant dans l’exécution du contrat « de base ». 

 

1274. Force supplétive des RUGD : usage professionnel et lex mercatoria — Si l’art. 20 des Règles uniformes les veut supplétives de la volonté des parties[20], elles constituent néanmoins, à n’en pas douter, un usage de branche professionnel, et, plus particulièrement, un usage bancaire[21]. En d’autres termes, les RUGD ajoutent à la lex mercatoria. 

 

1275. La Convention des Nations Unies sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by (1995) — La C.N.U.D.C.I. a aussi entrepris de réglementer les garanties autonomes[22], tentant « d’unifier les pratiques européennes et américaines » tout en rapprochant les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by[23]. On notera simplement ici, que l’idée d’autonomie de la garantie personnelle y est consacrée, à l’art. 3 de la Convention de New York[24] :

Article 3. Indépendance de l’engagement

« Aux fins de la présente Convention, un engagement est indépendant lorsque l’obligation du garant/émetteur envers le bénéficiaire :

a) Ne dépend pas de l’existence ou de la validité d’une opération sous-jacente, ni de tout autre engagement (y compris une lettre de crédit stand-by ou garantie indépendante à laquelle se rapporte une confirmation ou une contre-garantie) ; ou

b) N’est soumise à aucun terme ou condition ne figurant pas dans l’engagement, ni à tout acte ou fait futur et incertain, à l’exception de la présentation de documents ou d’un autre acte ou fait de même nature susceptible d’être constaté par un garant/émetteur dans l’exercice de son activité ». 

 

1276. La garantie à première demande : un acte sans cause ? (non) — Les garanties en cause sont autonomes par rapport au contrat de base dont elles garantissent l’exécution[25]. Mais, ainsi que nous venons de le voir, si cette autonomie, cette cloison étanche entre le contrat de base garanti, et le contrat de garantie lui-même, est hissée bien haut et proclamée avec exaltation[26], il n’en demeure pas moins vrai que cette « autonomie » est manifestement ténue : la CCI ayant voulu, et l’intention en est louable, que le garant ne soit pas appelé à tort et à travers, mais uniquement en cas de défaillance réelle du débiteur au contrat de base.

Le caractère autonome de la garantie par rapport au contrat de base, permet de dire que le garant est débiteur principal du bénéficiaire (à l’inverse de la caution qui n’en est que le débiteur accessoire). Mais, dès lors, la garantie à première demande se détachant de l’obligation principale pour devenir à son tour une obligation principale, pourrait-elle être une obligation sans cause, ou un acte abstrait[27] ? Nous ne le pensons pas. Les actes abstraits sont prohibés par le droit positif[28], l’art. 1131 du Code civil exigeant que tout contrat ait une cause réelle et licite ; et, par extension des propos de MM. MAZEAUD et CHABAS, il convient d’observer qu’aucune garantie autonome « n’est entièrement détachée de sa cause à l’égard de toutes les parties ; c’est ainsi que les rapports entre le créancier et le débiteur (de ladite garantie) (…), restent subordonnés à l’existence et à la validité de la cause de cette obligation »[29]. Dans le même sens, pour M. MATTOUT, « la formation de l’obligation du garant à première demande ne répond pas à une cause substantiellement différente de celle de la caution »[30]. Enfin, pour l’essentiel de la doctrine, la cause de la garantie autonome réside, paradoxalement, dans le contrat de base[31].

1277. Définitions — Monsieur MATTOUT définit ainsi la garantie à première demande[32] : « La garantie à première demande est un engagement par lequel le garant (en général une banque), à la requête irrévocable d’un donneur d’ordre, accepte de payer en qualité de débiteur principal, sur simple demande, une somme d’argent à un bénéficiaire désigné, dans les termes et conditions stipulés dans la garantie, en renonçant par avance à exercer tout contrôle externe sur les conditions de mise en jeu de son engagement ». Pour la Cour de cassation, « c’est le contrat par lequel une banque s’engage à effectuer, sur demande d’un donneur d’ordre, le paiement d’une somme à concurrence d’un montant convenu, sans que l’établissement financier puisse différer le paiement ou soulever une contestation quelconque pour quelque cause que ce soit »[33].

1278. Droit national applicable aux garanties à première demande — Dans les garanties internationales, se pose la question du droit national auquel elles doivent être rattachées[34], et l’intérêt de cette question demeure, quand bien même « la grande majorité des garanties (prévoirait) expressément le droit applicable », et quand bien même « la quasi-totalité des questions soulevées (trouverait) une réponse dans le texte même de la garantie »[35].

• Dans le cadre d’une garantie tripartite (donneur d’ordre / banque garante / bénéficiaire[36]), la loi applicable est celle du débiteur de la prestation caractéristique, et il ne fait aucun doute qu’il s’agit de la loi du siège de la banque garante[37].

Notons que dans cette opération tripartite, peut également intervenir, mais avec un rôle mineur, la banque du bénéficiaire de la garantie. Cet établissement prendra alors la simple qualité de banque authentificatrice ou notificatrice[38] « en transmettant au bénéficiaire, sans engagement de sa part, la garantie »[39].

• Dans le cadre d’une garantie quadripartite (donneur d’ordre / banque garante / banque contre-garante[40] / bénéficiaire), la question est plus délicate, mais finalement résolue avec une relative simplicité : « la garantie est soumise au droit du garant et la contre-garantie au droit du contre-garant »[41] (art. 27 des RUGD). C’est la loi applicable ainsi désignée qui permettra de qualifier la garantie en cause, de cautionnement ou de garantie à première demande[42], voire, en cas d’applicabilité du droit allemand, de cautionnement à première demande[43].

Plus rarement, et outre les possibilités pour elle d’intervenir ès-qualité de banque authentificatrice ou de banque contre-garante, la banque du bénéficiaire peut encore intervenir, ce qui est plus rare, ès-qualité de banque confirmatrice, comme en matière de crédit documentaire. Dans ce cas, le bénéficiaire pourrait appeler en paiement, à son choix, l’une des deux banques[44].

1279. Division — Il convient à présent de préciser le contenu (1) et les effets (2) de la convention de garantie à première demande.

1.      Le contenu de la convention

1280. Division — Outre l’identification des parties, l’objet de la garantie (restitution d’acompte, retenue de garantie, garantie de bonne fin… dans le cadre de tel contrat de base[45]), le montant de la garantie[46], la clause de droit applicable et la clause de compétence juridictionnelle[47], ce sont surtout la clause relative à la durée de validité de la garantie (a) et les clauses précisant les modalités de sa mise en œuvre (b), qui posent de réelles difficultés.

                        a.      La clause de durée de validité de la garantie

 

1281. Le terme de la garantie : une date et/ou un événement — L’intérêt de fixer une limite dans le temps, à la période au cours de laquelle la banque garante pourra être appelée en paiement, à première demande, est capital, puisqu’il détermine le terme temporel de l’engagement de ladite banque[48] (art. 16 et 22 des RUGD).

Ce terme pourra être contractuellement précisé au moyen soit d’une date, soit de la survenance d’un événement particulier, ces deux modes de définition du terme de l’engagement pouvant être combinés[49]. En toute hypothèse, en cas de pareille combinaison, il suffira, pour éteindre l’engagement de la banque garante, que survienne l’une des deux termes possibles (art. 22 RUGD).

1282. Les termes décalés des banques garante et contre-garante et l’abus ou la fraude de la banque garante — Classiquement, en cas de contre-garantie, la banque contre-garante est tenue, en moyenne, quelques jours de plus que la banque garante, le temps d’acheminement des courriers[50]. Son engagement propre ayant expiré, la banque garante qui recevrait une demande de paiement à ce moment là, ne pourrait profiter du terme décalé de l’obligation principale de la banque contre-garante pour appeler cette dernière en paiement : une telle démarche constituerait un abus[51] ou une fraude[52].

1283. Prorogation du terme — Par convention, les parties peuvent proroger le terme contractuel de la garantie. Mais il est aussi des conventions aux termes desquelles le terme sera prorogé « à la discrétion du bénéficiaire », comme cela semble résulter d’une pratique commerciale iranienne[53] !

1284. Caducité de la garantie — En toute hypothèse, les garanties et contre-garanties souscrites pour une durée déterminée qui n’ont pas été mises en œuvre avant le terme conventionnel et qui n’ont pas été prorogées sont caduques[54]. En pareille hypothèse, le gage qui est l’accessoire de cette garantie devient privé de cause.

                         b.      Les clauses de mise en œuvre de la garantie

 

1285. Les conditions posées par la Cour de cassation — La Haute Cour considère que la seule formule « garantie à première demande », à elle seule, est insuffisante pour caractériser la nature autonome de la garantie par rapport au contrat de base[55].

Un arrêt de la Cour de Paris, du 22 septembre 1995, sans doute trop zélé, a rétroactivement déclaré caduque une garantie au motif que le contrat de base avait été exécuté, les juges du fond ayant justifié cette solution par les références du contrat de garantie, au contrat de base. Dans un arrêt du 8 mai 1999, la Cour de cassation a censuré cette décision, considérant qu’en l’espèce, « les garanties étaient stipulées irrévocables et inconditionnelles nonobstant toute contestation du [donneur d’ordre] ou d’un tiers, et que leur étendue, fixée au moment de leurs conclusions, était indépendante, dans son exécution, d’éventuelles défaillances du débiteur, alors que de telles garanties ne sont pas privées d’autonomie par de simples références au contrat de base, n’impliquant pas appréciation des modalités d’exécution de celui-ci pour l’évaluation des montants garantis, ou pour la détermination des durées de validité»[56].

Un arrêt du 15 juin 1999 a précisé le dispositif souhaité par la Cour de cassation pour caractériser valablement une garantie autonome : outre l’intitulé de « garantie à première demande », doivent être stipulés dans l’acte les « éléments caractérisant expressément l’autonomie des engagements par rapport au contrat de base, tels que :

–          leur irrévocabilité et leur inconditionnalité,

–          l’obligation de « payer sans délai »,

–          sans pouvoir recourir à une quelconque formalité et sans pouvoir opposer de motif du chef du souscripteur ou du chef du donneur d’ordres, la renonciation expresse du garant à se prévaloir d’une quelconque exception »[57].

 

2.      Les effets de la convention

 

1286. Formalisme de l’appel de la garantie : un écrit contenant certaines indications — Pour d’évidentes raisons de preuve, le bénéficiaire aura soin de manifester son appel à la banque garante par écrit. Bien que les RUGD exigent cet écrit (art. 20), on peut penser qu’il ne s’agit que d’une exigence ad probationem ; dans ce sens, on observera que la Convention des Nations Unies n’exige rien sur ce point. Les conditions de validité de la garantie à première demande semblent donc être ailleurs que dans sa forme.

1286-1. L’exigence de fond particulière des RUGD — Les RUGD, ainsi que nous l’avons laissé entendre, exigent du bénéficiaire, sans pour autant porter atteinte à l’autonomie de la garantie, que sa demande devra comporter « en plus de tous autres documents que peut spécifier la garantie, une déclaration écrite stipulant :

i)                    que le donneur d’ordre a manqué à son ou ses obligations selon le(s) contrat(s) de base, ou, en cas de garantie de soumission, aux termes des conditions de l’appel d’offre ;

ii)                  en quoi le donneur d’ordre a manqué à ses obligations (…) » (art. 20). 

Ainsi, pour qu’un bénéficiaire puisse valablement appeler la banque garante, en application des RUGD, il suffit qu’il « (atteste) la défaillance du donneur d’ordre et (précise) le manquement reproché à ce dernier »[58].

1286-2. Le sens ambigu de la demande « extend or pay » — Parfois, le bénéficiaire de la garantie appelle cette dernière en paiement dans les termes « extend or pay » (prorogez le terme de votre garantie ou payez). La jurisprudence française et les Règles de la CCI ne sont pas ici tout à fait du même avis : pour les juges, une telle demande ne vaut pas appel en garantie[59] ; pour les RUGD, « si aucune prorogation n’est octroyée avant l’expiration dudit délai », la banque garante doit payer (art. 26).

1287. L’obligation de payer du garant et l’inopposabilité des exceptions — En droit du cautionnement, la caution personnelle peut opposer au créancier poursuivant :

–          le bénéfice de discussion (art. 2021 du Code civil), consistant à invoquer la saisie et la mise en vente des biens du débiteur principal (sauf clause contraire dans l’acte) ;

–          et le bénéfice de division (art. 2026 du même Code) en cas de pluralité de cautions garantissant la même dette (sauf clause contraire).

Ce qui fait la force de la garantie à première demande, dès que l’appel en paiement est régulier, c’est que, par principe, le garant ne peut opposer aucune exception au bénéficiaire appelant (« il ne peut donc se prévaloir de la nullité du contrat de base, d’une faute du bénéficiaire de la garantie, d’une compensation intervenue entre les parties au contrat de base »[60]) et doit payer immédiatement le bénéficiaire. En effet, « les garanties (sur demande) sont, par leur nature, un engagement distinct du ou des contrats ou conditions d’adjudication pouvant en former la base, et les garants ne sont en aucune façon concernés ni engagés par ces contrats ou conditions d’adjudication, même si la garantie y fait référence. Le devoir d’un garant aux termes d’une garantie est de payer la ou les sommes qui y sont stipulées, sur présentation d’une demande de paiement écrite et autres documents spécifiés dans la garantie qui semblent à première vue conformes aux termes de la garantie » [art. 2, b)].

1288. L’exception : l’abus manifeste ou la fraude du bénéficiaire — Heureusement, les tentacules protecteurs de l’adage fraus omnia corrumpit[61], sauvent l’opérateur victime de l’abus manifeste ou de la fraude d’un autre (par exemple, collusion entre la banque garante et le bénéficiaire[62]) ; la règle se vérifie encore ici. Le Professeur LEGEAIS rappelle que « ce tempérament à l’obligation de payer du garant (…) a été admis pour la première fois lorsque, suite au renversement de l’empereur d’Iran par les islamistes, des entreprises iraniennes ont appelé des garanties après avoir expulsé les personnes chargées de réaliser les travaux commandés[63] » !!

Plus récemment, la solution a été confirmée : « ne donne pas de base légale à sa décision la Cour d’appel qui, pour faire défense à une banque de payer une garantie à première demande, retient que le contrat de base a été exécuté, sans caractériser l’existence d’une fraude ou d’un abus manifeste de l’appel de la garantie autonome »[64] ; également, « le juge des référés ne peut ordonner la restitution d’une somme au donneur d’ordre qui en a été privé à la suite du paiement d’une garantie à première demande, hors le cas de fraude ou d’abus manifeste »[65].

Mais, pour que les garanties à première demande ne perdent rien de leur spécificité, cette exception de fraude n’est admise par la haute juridiction qu’à titre exceptionnel[66]. En conséquence, il n’est que dans les très rares hypothèses de fraude, que le donneur d’ordres pourra s’immiscer dans la relation garant / bénéficiaire pour prétendre s’opposer au paiement[67]. Dans tous les autres cas, c’est-à-dire la plupart du temps, il ne pourra que constater que le garant a effectivement payé le bénéficiaire.

1289. Les recours du donneur d’ordre — • En principe, le donneur d’ordre peut agir contre le bénéficiaire en soutenant que par son appel du garant, il a reçu un paiement indu[68].

Ainsi, en 1994, la Cour de cassation a jugé que « le donneur d’ordre d’une garantie à première demande est recevable à demander la restitution de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d’établir que le bénéficiaire en a reçu indûment le paiement, par la preuve de l’exécution de ses propres obligations contractuelles, ou par celle de l’imputabilité de l’inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie ou par la nullité du contrat de base, et ce sans avoir à justifier d’une fraude ou d’un abus manifeste, comme en cas d’opposition préventive à l’exécution de la garantie par le garant »[69].

En revanche, il nous semble qu’une telle action, exercée sous la forme de in rem verso (enrichissement sans cause), ne pourrait en aucun cas prospérer, pour la raison simple que le paiement ici intervenu a bien une cause : le contrat de garantie à première demande.

• Enfin, le donneur d’ordre peut agir contre la banque garante ainsi que contre la banque contre-garante qui aurait « payé au vu d’un appel irrégulier ou manifestement abusif »[70].

1290. Le caractère indifférent de la faillite du donneur d’ordre — La garantie à première demande n’est pas éteinte  lorsqu’en cas de redressement ou de liquidation judiciaire du donneur d’ordre, le créancier bénéficiaire de la garantie ne déclare pas sa créance au passif. Au contraire, il peut assigner directement la banque garante[71].

1292. Les recours inter-bancaires — S’il apparaît, au fond, que la banque garante a indûment payé le bénéficiaire, alors qu’elle avait elle-même appelé en paiement la banque contre-garante, cet appel de la contre-garante ne constitue pas, en soi, une faute (sauf si la garante répercute sur la contre garante un appel qu’elle sait frauduleux ou manifestement abusif)[72], mais la conservation du montant de la contre-garantie, indue au regard de la solution retenue au fond, à propos de la garantie de premier rang, serait constitutive d’un abus de la part de la banque de premier rang[73].

B. Le cautionnement à première demande

 

1293. Les arguments contraires à la reconnaissance des cautionnements à première demande et le rejet du droit français interne Pour MM. MALAURIE et AYNÈS, le « cautionnement à première demande » est un « monstre juridique »[74]. Ces auteurs parviennent à cette conclusion en observant trois choses.

• Par essence, l’existence du cautionnement est accessoire de la dette principale dont il garantit le paiement[75].

Illustration de ce caractère accessoire, en droit international privé, on remarque que, si, en principe, le contrat de cautionnement est soumis à sa propre loi, en revanche, en cas de silence des parties sur la lex contractus, le cautionnement est présumé régi par la loi de la dette principale[76].

En conséquence, « la clause de renonciation à invoquer les exceptions tenant à l’obligation principale (que l’on trouvera dans un « cautionnement à première demande ») doit être réputée non écrite : on ne peut s’engager à payer une obligation principale, même au cas où celle-ci serait nulle ou éteinte »[77].

• Par application des dispositions de l’art. 1315 du Code civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». C’est donc au créancier qu’il appartient en principe de prouver que sa créance est certaine, liquide et exigible. Cependant, les parties pourraient convenir de renverser cette charge naturelle de la preuve, la caution devant désormais prouver, si elle souhaite échapper au paiement, que la dette principale est éteinte, pour une raison quelconque. Mais une clause opérant simple renversement de la charge de la preuve ne remet pas en cause la nature du cautionnement.

• Enfin, les parties ont pu désolidariser la garantie personnelle, de l’obligation principale. Quoiqu’il arrive, et quelles que soient les conditions d’exécution (ou plutôt, d’inexécution) de l’obligation principale, le garant devra payer le créancier de l’obligation principale, à première demande de celui-ci.

En résumé, pour MM. MALAURIE et AYNÈS, il ne peut y avoir que cautionnement ou garantie à première demande, et aucune notion « entre » les deux.

1294. La reconnaissance de garanties proches, au bénéfice de l’Etat français Cependant, ainsi que l’observe le Professeur Dominique LEGEAIS[78], sont apparus en France, des « cautionnements » spéciaux contenant des clauses de paiement à première demande.

• Ainsi, dans les cautionnements de marchés publics, la caution s’engage à « effectuer sur ordre de l’administration sans pouvoir différer le paiement ou soulever de contestations pour quelque motif que ce soit jusqu’à concurrence de la somme garantie (…), le versement dont le titulaire serait débiteur »[79].

• Pour les créances des administrations douanières et fiscales, le débiteur principal « est en droit d’obtenir des délais de paiement à la condition de fournir un cautionnement contenant une clause de paiement à première demande ».

Pour autant, aucune de ces garanties n’est constitutive d’une garantie à première demande : la somme à payer par le garant n’est pas « prédéterminée », et ces garanties sont « en partie soumises au régime du cautionnement ».

Donc, nonobstant la controverse doctrinale qui peut exister sur la nature de ces garanties[80], force est de constater que l’on est ici très proche du « monstre juridique » redouté par MM. MALAURIE et AYNÈS. Mais faut-il vraiment, avec ces auteurs, rejeter l’institution, au seul motif qu’elle ne correspond pas aux canons de notre droit positif ? Un examen de droit comparé fournit la réponse.

 

1295. Reconnaissance des cautionnements à première demande en droit allemand Le droit positif allemand, dans lequel « coexistaient déjà le cautionnement et la garantie autonome », a jugé utile d’offrir aux opérateurs une sûreté personnelle plus rigoureuse que le cautionnement, mais moins automatique que la garantie à première demande[81].

Jusqu’au paiement, le régime est celui de la garantie à première demande : le garant ne peut opposer aucune exception au créancier, tirée de l’obligation principale. Le seul argument éventuellement admissible serait celui de l’abus de droit de la part du créancier.

Après le paiement, le garant retrouve le statut protecteur de la caution : il peut, à ce moment, tenter de démontrer au tribunal (arbitral ou judiciaire) que son paiement était en réalité indu, parce que l’obligation principale était éteinte[82].

 

1296. Conclusion : plaidoyer pour la reconnaissance des cautionnements à première demande en droit français A partir des mêmes outils juridiques que leurs voisins français, les Allemands ont façonné une nouvelle sûreté personnelle, enrichissant le tableau déjà existant : le cautionnement à première demande[83]. Une seule question nous paraît à résoudre, préalablement : faudrait-il limiter la faculté de se porter « caution à première demande » ?

On pourrait d’abord penser que non. En effet, le droit de recours de la caution est simplement différé dans le temps : elle fait l’avance des fonds, puis se réserve la faculté de contester, a posteriori, les caractères liquide, certain et exigible de la dette principale.

Cependant, comme cette avance de fonds aura tendance à s’inscrire dans le temps (le temps que durera la procédure contre celui qui se prétendait créancier, et d’obtenir contre lui une décision définitive, après épuisement des voies de recours…), il faut que la caution dispose d’une « surface » financière qui lui permette de résister. Or, si cette caution à première demande intervient pour garantir le paiement d’une opération commerciale internationale, on peut penser que les sommes en jeu seront importantes, voire très importantes. Corollairement, le risque financier pour la caution à première demande peut être immense, la menaçant, en cas de difficulté sérieuse, voire irrémédiable, de liquidation judiciaire (si la caution est, par exemple, une personne morale). On n’ose imaginer le résultat que pourrait avoir une telle avance de fonds, sur le patrimoine d’une personne physique (sauf l’hypothèse tout à fait exceptionnelle de la personne physique titulaire d’un patrimoine presque illimité, à l’instar des Rothschild ou autres Bill Gates) !

Aussi, croyons-nous nécessaire, avec Monsieur LEGEAIS, dans l’hypothèse où la doctrine française souhaiterait inciter le législateur à reconnaître cette nouvelle forme de sûreté personnelle, de limiter le cautionnement à première demande aux seuls établissements de crédit, ès-qualité de garants[84].

C.   La lettre de crédit stand-by ou « stand-by letter of credit« 

 

1297. Contextes du recours aux lettres de crédit stand-by — Si la garantie à première demande fonctionne au profit de l’opérateur qui a, par exemple commandé des travaux, et est émise à la demande du débiteur de la prestation caractéristique, la lettre de crédit stand-by s’inscrit dans une toute autre logique. Elle intervient le plus souvent sur ordre de l’acheteur, dans le cadre d’un contrat de vente internationale, au bénéfice du vendeur ès-qualité de débiteur de la prestation caractéristique[85], et force est de constater que, ès-qualité de garantie, elle séduit les opérateurs, spécialement les créanciers (exportateurs) futurs bénéficiaires, comme la société RENAULT dans ses exportations de véhicules automobiles[86].

Mais, au-delà de son usage à titre de garantie, il peut y être recouru dans une optique de paiement international[87] : facilitant cet usage, « la lettre de crédit stand-by emprunte au crédit documentaire sa technique de paiement contre document »[88].

 

1298. La lettre de crédit stand-by : une forme de crédit documentaire La lettre de crédit stand-by est « un crédit documentaire ou un arrangement similaire par lequel la banque émettrice s’engage vis-à-vis du bénéficiaire à :

– rembourser toute somme empruntée par le donneur d’ordre ou toute avance consentie à ce dernier ou pour son compte, 

– effectuer tout paiement lié à une dette encourue par le donneur d’ordre, 

– effectuer tout paiement lié à une défaillance du donneur d’ordre dans l’exécution de ses obligations »[89].

En ce sens, l’art. 2 des RUU 500 (CCI) relatives aux crédits documentaires prévoit expressément que les présentes règles sont applicables aux engagements désignés sous les expressions « crédits documentaires » et « lettres de crédit stand-by »[90].

 

1298-1. La lettre de crédit stand-by retrouve une certaine autonomie par rapport au crédit documentaire ? Toutefois, en raison de spécificités de fonctionnement des deux modes de crédit (crédoc et stand-by), la CCI a créé un corps de règles autonome, propre aux lettres de crédit stand-by, entré en vigueur le 1er janvier 1999 : les Règles et Pratiques Internationales relatives aux Stand-by (RPIS)[91] ; mais, ainsi que l’observent MM. MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE, il n’y a pas véritablement de conflit de compétence ni avec les RUU 500, ni avec la Convention de la CNUDCI, et la conjonction ou l’articulation des différents textes demeure possible[92]. Il y a donc spécificité du régime des stand-by, mais ces spécificités sont relatives. En d’autres termes, nous pensons que, les notions de crédoc, stand-by, garanties autonomes, étant proches les unes des autres, et qu’il suffit d’une stipulation rédigée de telle manière plutôt que de telle autre, pour emporter une qualification, les juges et les arbitres devront prêter (comme toujours), une vive attention à la lecture des termes des contrats de garantie.

 

1299. La lettre de crédit stand-by : une forme de garantie autonome  La Convention des Nations Unies du 11 décembre 1995 sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by se donne pour objectif de dégager des « principes et caractéristiques de base communs » aux deux types de garanties, « afin d’aplanir les divergences en matière de terminologie » entre ces deux garanties[93]. La note explicative indique encore que la Convention, « outre qu’elle est, pour l’essentiel, conforme aux solutions énoncées dans (les RUU 500 et les RUGD), en complète l’application en traitant de deux questions qui n’entrent pas dans leur champ, en particulier la question des demandes de paiement frauduleuses ou abusives et les recours judiciaires dans de tels cas » ; de plus, « le fait que la Convention reconnaisse les conditions particulières énoncées dans les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by, y compris tous les usages et règles qui y sont incorporés, permet d’appliquer conjointement la Convention et des règles et usages tels que les RUU et les RUGD »[94].

 

1300. Le crédit documentaire : une forme de garantie autonome Cela pose une autre question de qualification : si la lettre de crédit stand-by est à la fois un crédit documentaire et une forme de garantie autonome… faut-il rapprocher aussi les crédits documentaires des garanties autonomes, ou le contraire ? En d’autres termes, quels rapports doivent entretenir les notions de crédit documentaire et de garantie autonome ?

Nous ne pouvons ici approfondir une telle question mais pensons qu’il s’agit là d’un beau sujet d’article.

Simplement, en peu de mots, nous considérons que l’engagement de la banque émettrice du crédit documentaire étant autonome par rapport à l’engagement du débiteur principal, et au contrat de base, le crédit documentaire, ou plus exactement, les crédits documentaires représentent quelques formes de garanties autonomes. Pour nous, dans l’ordre :

1°) la lettre de crédit stand-by est, certes, avec ses spécificités (RIPS), une forme de crédit documentaire (ainsi que le prévoient les RUU 500 de la CCI) ;

2°) les crédits documentaires sont une forme de garantie autonome.

Les garanties autonomes sont donc une catégorie générale, la catégorie générale, à l’intérieur de laquelle cohabitent plusieurs variétés : crédits documentaires et diverses formes de garanties sur demande. Enfin, à mi chemin entre le cautionnement et ces garanties autonomes, se trouve le cautionnement à première demande reconnu par le droit allemand.

 

1301. Régime largement emprunté aux crédits documentaires irrévocables Sur le fond, la lettre de crédit stand-by est « irrévocable, indépendante et documentaire »[95] (art. 1.06-a des RIPS) ; la banque émettrice de la lettre ne peut opposer aucune exception au bénéficiaire qui lui présente les documents requis, présentant une apparente conformité. La banque a bien évidemment l’obligation de vérifier cette apparente conformité avant de procéder au paiement ; si elle entend s’opposer au paiement, elle doit en informer le bénéficiaire dans un délai raisonnable (de 3 à 7 jours suivant les circonstances). La banque ayant payé peut recourir en remboursement contre le donneur d’ordre (art. 8.01 des RIPS). Enfin, la lettre de crédit stand-by, comme un crédit documentaire, et avec les mêmes effets, peut être confirmée[96].

 

1302. Spécificité du stand-by : la libre cessibilité Nous avons vu[97] qu’aux termes de l’art. 48, b) des RUU 500, pour qu’un crédit documentaire puisse être « transférable », il faut qu’une mention expresse en ce sens figure dans l’acte. A contrario, en principe, le crédoc n’est pas « transférable ».

En matière de stand-by, c’est la règle inverse qui prévaut : par principe, la lettre de crédit stand-by est « transférable » (art. 6.02 des RIPS). MM. CHEVALIER[98], MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE[99] se félicitent de cette « grande souplesse d’utilisation ».


[1] V. supra, n° 96, s.

[2] Dominique LEGEAIS, Sûretés et garanties du crédit, op. cit. n° 325, p. 175.

[3] LEGEAIS, n° 297, s. p. 160, s. ; ROUYER et CHOINEL, La banque et l’entreprise, La revue Banque éditeur, coll. Institut Technique de Banque, 3ème édition, 1998, précité, p. 403 ; PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994 ; STOUFFLET, La garantie bancaire à première demande, JDI 1987, p. 265 ; ROSSI, La garantie bancaire à première demande, pratique des affaires, droit comparé, droit international privé, éd. Méta, coll. Perspectives internationales, Lausanne, 1990.

[4] LEGEAIS, n° 302, p. 163.

[5] Jean-Pierre MATTOUT, Droit bancaire international, op. cit. n° 197, pp. 146 et 147 ; MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE, Droit du commerce international, 2ème édition 2000, précité, n° 978, p. 401. Add. sur le développement des garanties à première demande en droit interne : LEGEAIS, n° 317, s. p. 170, s. (l’auteur n’est pas favorable à la souscription de tels engagements par des personnes physiques) ; DELEBECQUE, Les garanties autonomes en droit interne, Bull. Joly 1992, pp. 374 et 606 ; MOULY, L’avenir de la garantie indépendante en droit interne français, in Mélanges BRETON et DERRIDA, Dalloz 1991, p. 267 / du même auteur : Pour la liberté  des garanties personnelles, Banque 1986, p. 1166 ; SIMLER, A propos des garanties autonomes de droit interne souscrites par des personnes physiques, JCP N 1991.I.343 / du même auteur : Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990.I.3427 ; BOULLEZ, Une sûreté nouvelle : la garantie à première demande, son application aux rapports entre bailleur et preneur et en matière de construction, La vie judiciaire 1987, n° 2133.

[6] MATTOUT, n° 197, p. 146.

[7] DICKSON et ARABYAN, Le performance bond, Banque 1987, p. 936.

[8] MATTOUT, n° 197 et 198, p. 146 à 149.

[9] Il s’agit pour le bénéficiaire demandeur du paiement auprès du garant, de faire simplement connaître à ce dernier le motif de la mise en œuvre de la garantie : MATTOUT, n° 200, p. 150.

[10] Ici, « la demande de paiement doit s’accompagner de documents dont la liste a été fixée conventionnellement et d’avance : simple attestation écrite du bénéficiaire du motif de la mise en jeu, certificat d’expert, voire même sentence arbitrale » : MATTOUT, loc. cit. La production de ces documents a pour but d’attester de la légitimité de l’appel et ne porte pas atteinte à l’autonomie de la garantie par rapport au contrat de base : LEGEAIS, n° 302, in fine, p. 163. V. pour illustration : Paris, 24 novembre 1981, D 1982, p. 296, note  VASSEUR ; JCP 1982.II.19876, note STOUFFLET ; RTDCom. 1983, p. 104, n° 11, obs. CABRILLAC et TEYSSIÉ.

[11] MATTOUT, loc. cit. Sur les circonstances particulières de l’apparition des lettres de crédit stand by, en réaction à l’interdiction d’émettre des cautionnements, dont avaient été frappées les banques américaines (principe de no-guaranty), v. notamment B. et D. WUNNICKE, Stand-by letters of credit, éd. Wiley 1993, et J. RIGGS, La lettre de crédit « stand-by » en tant que garantie bancaire aux Etats-Unis, RDAI 1990, p. 393, s.

[12] MATTOUT, n° 197, spécialement p. 147.

[13] V. infra, n° 1297, s.

[14] CCI, Publication n° 325 ; DPCI 1980 p. 713. V. sur ces premières Règles : Y. POUILLET, Les garanties contractuelles dans le commerce international, DPCI 1979, p. 387.

[15] MATTOUT, op. cit. p. 151. Il ne s’agit pas pour autant, de « cautionnement à première demande » : sur cette notion, v. infra, n° 1293, s.

[16] MATTOUT, n° 200, p. 151. Plus précisément, « ces règles prévoyaient que le bénéficiaire, pour obtenir le paiement de la garantie, devait produire une décision de justice ou une sentence arbitrale » (MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, n° 979, p. 401) ; ce qui fait effectivement dire à Monsieur LEGEAIS (n° 304, p. 164) que « l’engagement du garant n’était pas véritablement indépendant ; la garantie ne protégeait donc pas assez le bénéficiaire ».

[17] V. Paris, 13 décembre 1984, Banque 1985, p. 93, obs. RIVES-LANGES ; puis sur pourvoi : Cass. com. 10 mars 1987, D 1987.IR.172, obs. VASSEUR ; v. aussi : sentence CCI n° 5639, JDI 1987, p. 1054.

[18] CCI, Publication n° 458, mai 1992. Sur ces Règles, v. AFFAKI, L’unification internationale du droit des garanties indépendantes, thèse, Paris II, 1995 ; LENDAIS, Les règles de la CCI sur les garanties à première demande, Gaz. Pal. 10 juillet 1994, p. 2 ; MATTOUT et PRÜM, Les règles uniformes de la CCI pour les garanties sur demande, Banque et Dr. Juillet-août 1993, p. 3 ; PIEDELIÈVRE, Remarques sur les règles uniformes de la CCI relatives aux garanties sur demande, RTDCom. 1993, p. 615 ; SIMLER, Règles uniformes de la CCI relatives aux garanties sur demande, Petites Affiches, 13 mai 1992, p. 25 ; VASSEUR, Les nouvelles règles de la CCI pour les garanties sur demande, RDAI 1992, p. 239.

[19] MATTOUT, n° 200 bis, p. 152. L’auteur ajoute que les RUGD « apportent également des solutions satisfaisantes à de nombreux problèmes tels que les demandes de prorogation ou de paiement (art. 26), le droit applicable (art. 27), la durée de l’engagement (art. 18 et 22). (…) On pourra cependant regretter que le régime de la contre-garantie n’ait été traité que par ellipse ».

[20] LEGEAIS, n° 304, spécialement p. 165.

[21] Georges AFFAKI, ICC Uniform Rules on Demand Guarantees, a user’s Handbook to the URDG. L’ouvrage, publication CCI, en langue anglaise exclusivement, peut être commandé sur le site : www.iccbooks.com

[22] STOUFFLET, La Convention des Nations Unies sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit, Rev. Droit Bancaire et Bourse 1995, p. 132.

[23] LEGEAIS, n° 304, in fine, p. 165.

[24] La Convention sur les garanties indépendantes est entrée en vigueur dans 6 Etats : El Salvador, Equateur, Koweït, Panama, Tunisie (1er janvier 2000), Bélarus (1er février 2003). Notons qu’elle a également été signée par les USA le 11 décembre 1997

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[25] Philippe SIMLER, Cautionnement et garantie autonomes, Litec 1991, spécialement n° 859 ; M. CONTAMINE-RAYNAUD, Les rapports entre la garantie à première demande et le contrat de base en droit français, in Mélanges ROBLOT, LGDJ, 1984, p. 413 ; RIVES-LANGES et CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, Dalloz, 6ème édition 1995, n° 791. 

[26] RUGD, art. 2, b).

[27] J.-L. RIVES-LANGES, Existe-t-il en droit français des engagements abstraits pris par le banquier ? Banque 1985, p. 902.

[28] VIVANT, Le fondement juridique des obligations abstraites, D 1978, chron. 39.

[29] MAZEAUD et CHABAS, par F. CHABAS et M. de JUGLART, Leçons de droit civil, tome II, 1er volume, op. cit. n° 275, spécialement p. 264.

[30] MATTOUT, n° 202, p. 155.

[31] GAVALDA et STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTDCom. 1980, p. 10, spécialement n° 12 ; RIVES-LANGES et CONTAMINE-RAYNAUD, op. cit. n° 790 ; MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE, op. cit. n° 983.

[32] MATTOUT, n° 203, p. 155.

[33] Cass. Com. 20 décembre 1982, D 1983, p. 365, note VASSEUR ; RTDCom. 1983, p. 446, obs. CABRILLAC et TEYSSIÉ. V. aussi les définitions de : BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien 1996, n° 651 ; MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE, op. cit. n° 977.

[34] SYNVET, Lettres de crédit et lettres de garantie en droit international privé, TCFDIP 1991-1992, p. 55.

[35] MATTOUT, n° 209, spécialement p. 166.

[36] Si en principe, le contrat est conclu intuitu personæ à l’égard du bénéficiaire, les parties peuvent prévoir, par convention, que le bénéfice de la garantie pourra être cédé, par exemple, par voie d’endos : MATTOUT, n° 204, spécialement p. 157 et la note 2. Cession de la garantie et cession de la créance représentée par la garantie ne doivent pas être confondues : si la « créance » est cédée, elle est cédée seule, indépendamment de la garantie (art. 4 des RUGD).

[37] Philippe FOUCHARD, La loi française et les opérations bancaires liées à l’activité internationale, Colloque de Deauville, 4-5 juin 1983, Association Droit et commerce, RJC 1984, numéro spécial, février 1984, p. 68, s. et spécialement n° 18, p. 74.

[38] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, n° 993.

[39] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, n° 981.

[40] Le recours à une banque contre-garante, garantissant la banque garante (inversement, le bénéficiaire ne peut appeler que la banque garante ou banque de premier rang) dans le pays du bénéficiaire, est imposé dans certains États pratiquant une politique protectionniste visant à assurer « un courant d’affaires obligatoire aux banques locales (mais) dont la justification économique n’est pas évidente, surtout lorsque le crédit de la banque contre-garante est infiniment supérieur à celui de la banque garante » : MATTOUT, n° 221, p. 173. En pratique, la contre-garantie se manifeste dans un acte séparé, et le bénéficiaire peut très bien ignorer l’identité même de la banque contre-garante : MATTOUT, n° 204, p. 156. Quant à l’engagement de la banque contre-garante, il est indépendant de l’engagement de la banque garante : LEGEAIS, n° 311, spécialement p. 168 (ce qui n’est pas sans rappeler l’autonomie des engagements respectifs des banques émettrice et confirmatrice, en matière de crédit documentaire : sur ce point, v. supra, n° 309-2-1).

[41] MATTOUT, n° 209, spécialement p. 166.

[42] Civ. 1ère, 13 octobre 1993, Droit et Patrimoine, juin 1994, p. 93, obs. de BOTTINI.

[43] Sur le cautionnement à première demande en droit allemand, v. infra, n° 1295.

[44] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, n° 995.

[45] Le but de la mention du contrat de base est d’éviter que le garant ne soit appelé en garantie d’un autre contrat que celui pour lequel la garantie autonome a été souscrite : Georges AFFAKI, Le syndrome de l’autre bénéficiaire dans l’appel de la garantie indépendante, Banque et Droit, septembre-octobre 1995, p. 12. La garantie à première demande est donc toujours ad hoc et ne peut en aucune manière recevoir application, dans un contexte autre que celui pour lequel elle a été précisément créée.

[46] Le montant de la garantie peut être régressif dans le temps, au gré de l’évolution de l’exécution de la mission contractuelle du donneur d’ordre (dans le cadre du contrat de base). On parle alors de garantie… « glissante » (LEGEAIS, n° 311, p. 167).

[47] La détermination de la juridiction compétente se fait selon le choix des parties, les règles d’opposabilité classiques et, le cas échéant, selon les règles traditionnelles de conflit issues du droit international privé ; v. aussi l’art. 28 des RUGD.

[48] MATTOUT, n° 207, spécialement p. 159.

[49] Par exemple, il pourra être convenu que

[50] MATTOUT, loc. cit.

[51] MATTOUT, loc. cit. Pour une illustration, v. Paris, 22 janvier 1991, JCP E 1991, Pan. 736, p. 257.

[52] LEGEAIS, n° 314, p. 169.

[53] MATTOUT, n° 207, p. 160.

[54] Civ. 1ère, 24 février 1998, JDI 1998, p. 963, note JACQUEMONT.

[55] Cass. Com. 13 décembre 1994, Bull. n° 375 ; 11 mars 1997, Bull. n° 67. Add. Cass. Com. 7 octobre 1997, Bull. n° 242 ; RTDCom. 1998, p. 189, obs. CABRILLAC ; JCP E 1998, p. 226, note LEGEAIS, et JCP E 1999, p. 758, n° 28, obs. GAVALDA et STOUFFLET ; Rev. Dr. bancaire et bourse 1998, p. 17, obs. CONTAMINE-RAYNAUD : la référence au contrat de base n’exclut pas l’autonomie de la garantie. V. aussi refusant la qualification de « garantie autonome » à une garantie intitulée « à première demande », au motif que l’engagement du garant, tel qu’il est stipulé, n’est pas autonome du contrat de base : Civ. 1ère, 23 février 1999, Juris-Data n° 000784 ; contr. conc. cons. mai 1999, n° 69, p. 9, obs. LEVENEUR ; RTDCom. 1999, n° 8, p. 480 ; JCP E 1999, p. 1584, n° 6, obs. SIMLER et DELEBECQUE ; JCP G 1999.II.10189, note GINESTET.

[56] Cass. Com. 18 mai 1999, Bull. n° 102 ; D 2000, p. 112, note PICOD ; JCP 1999.II.10199, note STOUFFLET ; Banque, novembre 1999 (n° 608), p. 74, note GUILLOT ; Rapport annuel de la Cour de cassation 1999, n° 3, p. 366, s. ; L’HOMME, Garantie à première demande : un critère clair à l’attention des praticiens, D 2000 (n° 1), Point de vue, p. III, et D 2000, jur. p. 113, note PICOD. La Cour de Paris a, entre temps, rectifié le tir, en estimant que la référence au contrat de base « n’affecte pas le caractère autonome de l’engagement litigieux ; la référence au contrat de base ne sert en l’espèce qu’à identifier la sûreté et doit empêcher qu’elle ne soit mise en cause à propos d’une opération qui lui resterait totalement étrangère ; en tant que telle, elle demeure toutefois sans incidence sur l’autonomie de la garantie » : Paris, 12 mars 1999, JCP E 1999, chron. droit des sûretés par SIMLER et DELEBECQUE, spécialement n° 6, p. 1584. Toujours en ce sens, v. Cass. Com. 30 janvier 2001, JCP E 2001, p. 568, note LEGEAIS.

[57] Cass. Com. 15 juin 1999, Rapport annuel de la Cour de cassation 1999, loc. cit. ; D 2000, jur. p. 113, note PICOD.

[58] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, n° 986, p. 405.

[59] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, loc. cit. V. pour illustration : Cass. Com. 24 janvier 1989, D 1989, somm. 159, obs. VASSEUR (en l’espèce, faute pour la banque garante d’avoir obtenu prorogation de la contre-garantie, sa demande de prorogation ou de paiement faite à la banque contre-garante ne valait pas appel en contre-garantie).

[60] LEGEAIS, n° 313, pp. 168 et 169.

[61] Sur ce bel adage, issu du Digeste, v. ROLAND et BOYER, op. cit. n° 141, p. 288, s.

[62] En toute hypothèse, pareille collusion doit être caractérisée et ne peut résulter de simples contestations relatives au contrat de base : TC Paris, 11ème Ch. 2 novembre 1998, Gaz. Pal. 15-16 octobre 1999, somm. pp. 11 et 12.

[63] Loc. cit. Sur cette affaire, v. la très juste réaction de la Cour de cassation : Cass. Com. 11 décembre 1985, D 1986, p. 213, note VASSEUR et Cass. Com. 10 juin 1986, D 1987, p. 17, note VASSEUR.

[64] Cass. Com. 7 juin 1994 (société Redco-France), Bull. n° 203.

[65] Cass. Com. 7 juin 1994 (société Rhône-Mérieux), JCP 1994.II.22312, note STOUFFLET.

[66] V. par exemple, écartant le grief de fraude : Cass. Com. 28 novembre 1995, JCP E 1996 I.99 : cassation de l’arrêt qui considère que l’appel du garant à première demande est manifestement abusif aux motifs que le compte a été rendu débiteur par les falsifications opérées par les préposés du donneur d’ordres, fraude que la banque bénéficiaire n’a pas décelé ; en statuant par ces motifs, impropres à exclure que la responsabilité du commettant fût également engagée pour tout ou partie et qu’il ait perdu tout droit à réclamer remboursement des sommes payées par lui, la Cour d’appel (Aix-en-Provence, 13 janvier 1994) n’a pas donné de base légale à sa décision.

[67] LEGEAIS, n° 315, p. 170.

[68] LEGEAIS, n° 316. L’auteur relève que « ce recours est en réalité très difficile à mettre en œuvre » et qu’il est « difficile d’obtenir un jugement de condamnation ou une sentence arbitrale condamnant le bénéficiaire et de la faire exécuter ».

[69] Cass. Com. 7 juin 1994 (société Matra transport), Bull. n° 202.

[70] LEGEAIS, loc. cit. et les arrêts précités du 7 juin 1994 (Redco-France et Rhône-Mérieux).

[71] Cass. Com. 30 janvier 2001, JCP E 2001, p. 568, note LEGEAIS.

[72] Cass. Com. 20 novembre 1985, D 1986, p. 213, obs. VASSEUR.

[73] Cass. Com. 15 juin 1999, précité.

[74] Les sûretés, la publicité foncière, op. cit. n° 123, p. 30.

[75] En ce sens, les articles 2012, 2013 et 2036 du Code civil, prévoient respectivement que : « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable » ; « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur (principal), ni être contracté sous des conditions plus onéreuses » ; « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ».

[76] Civ. 1ère, 3 décembre 1996, Bull. n° 428 ; JCP 1997.II.22827, note MUIR WATT.

[77] MALAURIE et AYNÈS, op. cit. loc. cit.

[78] Op. cit. n° 326, p. 176.

[79] LEGEAIS, loc. cit. ; add. POURRET, Les cautions de marché public réglementées en droit français : cautions ou garanties à première demande ?, Petites Affiches, 19 juin 1992, p. 10 ; du même auteur : L’apparition des garanties à première demande dans le décret du 15 décembre 1992 (n° 92-1310) portant simplification du Code des Marchés Publics, Petites Affiches, 9 juin 1993, p. 11.

[80] CABRILLAC et MOULY, Droit des sûretés, Litec, 3ème éd. 1995, n° 215.

[81] Dominique LEGEAIS, op. cit. n° 327, pp. 176 et 177. Add. A. ROHMERT, Le cautionnement à première demande en droit allemand, Rev. Droit bancaire et Bourse 1994, p. 122.

[82] Le Professeur LEGEAIS, raisonnant sur une éventuelle adaptation en droit français interne, hésite, quant à lui, sur la charge de la preuve, considérant qu’il « reviendra aux juridictions de déterminer s’il revient au garant ou au créancier de démontrer que les sommes payées par le garant ont été perçues indûment. Le garant est bien le demandeur à l’action mais dans le droit du cautionnement, il revient au créancier de prouver que les sommes dont il réclame le paiement sont bien dues par le débiteur principal » (op. cit. n° 330). Pour nous, procéduralement, la solution qui nous paraît la plus réaliste, consiste en ce que le garant qui souhaite obtenir remboursement d’un paiement qu’il estime indu, rapporte la preuve de ce caractère indu. Dans le même sens, nous observons que le Professeur LEGEAIS précise que l’action en remboursement exercée par le garant contre le bénéficiaire du cautionnement à première demande est « fondée (en droit allemand) sur l’enrichissement sans cause » (n° 328, in fine). Or, il est de jurisprudence constante, en droit français, qu’en matière d’enrichissement sans cause, il incombe au demandeur à l’action de in rem verso (art. 1371 du Code civil), de prouver que l’appauvrissement par lui subi et l’enrichissement corrélatif du défendeur ont eu lieu sans cause : Civ. 1ère, 18 juin 1980, Bull. n° 191 [add. critiquant l’actuelle évolution de la jurisprudence qui a trop tendance à s’interroger sur l’existence d’une faute de l’appauvri, au lieu de se concentrer sur l’existence ou non d’une cause à l’enrichissement : Jamel DJOUDI, La faute de l’appauvri : un pas de plus vers une subjectivisation de l’enrichissement sans cause (à propos de Cass. Com. 18 mai 1999), D 2000 chron. 609 ; add. encore : Philippe CONTE, Faute de l’appauvri et cause de l’appauvrissement : réflexions hétérodoxes sur un aspect controversé de la théorie de l’enrichissement sans cause, RTDCiv. 1987, p. 224, spécialement n° 36 : « dès lors qu’une personne s’est placée dans une situation juridique qui aurait dû engendrer une contrepartie à sa propre prestation, l’absence de cette contrepartie est ipso facto injuste, car non conforme au jeu normal des règles juridiques, et ce, même si l’appauvri a commis une faute. Le caractère injuste de l’appauvrissement doit être en effet déterminé, semble-t-il, de façon purement objective, au regard de la situation abstraitement envisagée et de ses conséquences ordinaires, et non pas en fonction du jugement moral que l’on voudrait porter sur le comportement concret d’un appauvri qu’il s’agirait de sanctionner »].

[83] Monsieur LEGEAIS semble regretter cette qualification qui ne lui paraît pas forcément adéquate (op. cit. n° 330). Mais, au moins, avec cette qualification, ce type de convention sort du domaine de l’innommé. A ce sujet, v. Dominique GRILLET-PONTON, Nouveau regard sur la vivacité de l’innommé en matière contractuelle, D 2000, chron. 331.

[84] Op. cit. n° 330. Add. du même auteur : Le cautionnement à première demande, Mélanges VASSEUR, Banque éditeur 2000, p. 87, spécialement p. 96 : « l’essentiel est (…) qu’au-delà des controverses doctrinales, se dessinent plus clairement les caractères d’une garantie personnelle qui ne soit ni un cautionnement, trop protecteur de la caution, ni une garantie autonome, trop favorable au créancier dans les relations internes. Après avoir favorisé les excès, notre droit des garanties personnelles doit à nouveau être celui de la juste mesure. Sûreté de compromis, le cautionnement à première demande pourrait ainsi constituer une réponse à cette dernière exigence ».

[85] ANGLADE, Le régime juridique de la lettre de crédit stand-by, thèse Montpellier, 1998.

[86] CHEVALIER, L’essor des lettres de crédit stand-by, Le MOCI 1999, n° 1372.

[87] KOZOLCHYK, Les lettres de crédit financières stand-by, RDAI 1995, p. 405.

[88] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, op. cit. n° 997-2, p. 409.

[89] ROUYER et CHOINEL, op. cit. p. 339.

[90] V. CHEVALIER, Crédocs et stand-by : deux sécurités de paiement pour le commerce international, Le MOCI 1999, n° 1385.

[91] Publication CCI 1999, n° 590. V. Marie-Colette GUINOT, Règles et pratiques internationales relatives aux STANDBY-RPIS 98, RDAI 2000, p. 271 ; J.-P. MATTOUT, Des nouvelles Règles de la CCI pour les lettres de crédit stand by, Mélanges VASSEUR, Banque éditeur 2000, p. 99.

[92] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, op. cit. n° 997-2, spécialement p. 410.

[93] Note explicative du Secrétariat de la CNUDCI, spécialement n° 2, p. 12. Texte disponible sur le site : www.uncitral.org/french/texts/payments/conv-garant.htm

[94] Note précitée, n° 5, p. 13.

[95] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD, PIERRE, op. cit. n° 997-3, p. 410.

[96] MONOD, Moyens et techniques de paiements internationaux, précité, n° 6, p. 147.

[97] V. supra, n° 329.

[98] CHEVALIER, Règles internationales de la CCI pour les lettres de crédit stand-by, Le MOCI 1999, n° 1373.

[99] MOUSSERON, FABRE, RAYNARD et PIERRE, n° 997-6, p. 411.

4 mars 2010

La LEX MERCATORIA : l’âme du Droit commercial international

 

Avertissements :

– Les différents thèmes ici regroupés, pour réaliser cette étude générale sur la LEX MERCATORIA, sont issus de différentes parties de la Thèse de Doctorat de Cédric BERNAT : « L’exploitation commerciale des navires et les groupes de contrats, OU Le principe de l’effet relatif dans les contrats commerciaux internationaux » – Editions ANRT 2005.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

 

 

1. Introduction  — Hommage à Berthold GOLDMAN et à Philippe FOUCHARD — Le Professeur GOLDMAN a, le premier, évoqué la « lex mercatoria »[1]  comme pouvant constituer un troisième ordre juridique aux côtés des ordres nationaux et international[2]. L’auteur, encouragé par d’autres voix, a ensuite vaillamment défendu sa théorie[3], contre vents et marées[4].

Le Professeur Philippe FOUCHARD, disciple de B. GOLDMAN, et le plus éminent spécialiste français de l’Arbitrage commercial international, a permis, par sa très riche oeuvre doctrinale, de consolider le contenu de la lex mercatoria, et de tracer de nombreuses pistes de réflexion sur ce sujet inépuisable. En Janvier 2004, les spécialistes du droit commercial international et de l’Arbitrage commercial international étaient en deuil, suite à la disparition tragique de Philippe FOUCHARD et de dix membres de sa famille, dans le crash aérien de Charm-El-Cheikh (v. le très bel hommage publié à la Revue Internationale de Droit Economique : http://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2004-1-page-5.htm).

Qu’un bien humble hommage leur soit ici rendu.

2. Lex mercatoria n’est pas forcément synonyme d’équité — Jean-Denis BREDIN soutient que « d’évidence (…) l’arbitrage incline vers l’équité », que « toutes les expressions utilisées pour caractériser la lex mercatoria pourraient servir à définir cette loi morale du juge étatique communément, commodément dénommée équité »[5]. Au contraire, B. GOLDMAN fait justement valoir que « les règles de la lex mercatoria sont appliquées telles quelles, indépendamment du caractère équitable ou non des résultats concrets et spécifiques de cette application : en cela, elles diffèrent de l’équité, et sont des règles de droit »[6].

3. Lex mercatoria et societas mercatorum — Toute règle de droit n’est pas naturelle. A contrario, toute règle de droit est une institution, une création de l’homme. Partant quelle est l’origine institutionnelle de la lex mercatoria ? Paul LAGARDE estime que la lex mercatoria n’est qu’une « collection de règles », d’« îlots d’organisation », émanant au mieux, d’une « pluralité de sociétés de marchands »[7]. A cela, GOLDMAN oppose une évidence : le reproche qui est ici formulé à l’endroit de la lex mercatoria, pourrait également prospérer contre l’ordre du droit international. Ainsi, alors que l’ordre du droit international « ne dispose ni d’une organisation aussi complète, ni de moyens de coercition aussi efficaces que ceux des Etats » [8], ni son existence, ni son caractère juridique ne sont contestés. En conséquence, la lex mercatoria ne disposant pas non plus, à l’instar de l’ordre international, « ni d’une organisation aussi complète, ni de moyens de coercition aussi efficaces que ceux des Etats », il n’y a pas lieu de remettre en cause l’existence même ni la juridicité de ce dernier ordre[9].

4. Imperfection de la lex mercatoria — De la même manière que pour l’ordre international, le reproche peut être fait à la lex mercatoria, de ce qu’elle est incomplète et imparfaite. Ainsi, BATTIFOL et LAGARDE soulignent la dépendance de la lex mercatoria aux droits nationaux qui seuls réglementent les questions liées à la capacité ou au consentement des parties contractantes[10]. Il est vrai que la lex mercatoria ne s’intéresse qu’à certaines questions du commerce international, et non pas aux questions générales de capacité et de consentement, qui relèvent généralement des lois d’ordre public nationales et auxquelles les contractants internationaux ne peuvent valablement se soustraire ; d’où un découpage minimum des règles applicables aux contrats internationaux. En revanche, nous verrons que, bien que la lex mercatoria ne soit pas indépendante de ce chef, elle répond néanmoins à une réelle attente des praticiens en uniformisant de façon heureuse un certain nombre de matières techniques, telles que le crédit documentaire. Et puis, ainsi que l’a pertinemment relevé GOLDMAN, « est-il réellement indispensable que la lex mercatoria constitue un ordre juridique, et surtout un ordre juridique parfait et complet pour que ses règles soient des règles de droit, et pour qu’elle puisse intégrer, comme les autres ordres juridiques, mais en les adaptant au besoin, les principes généraux du droit, voire élaborer progressivement de tels principes, à partir d’usages généralement et constamment suivis ? »[11].

Au vu de ce qui précède, nous abandonnons la réponse au lecteur[12].

Ces précisions apportées, quel est le contenu de la lex mercatoria ?

5. Division — La lex mercatoria réunit sous un concept unique, des sources distinctes, que, pour des facilités de présentation, nous scinderons en quatre, même si cette division peut être critiquée, dans la mesure où, par exemple, certains des principes dont nous ferons état, ont été mis en lumière par des sentences arbitrales, et où, par exemple, ces principes peuvent être considérés, lato sensu, comme étant des usages du commerce international. Mais ces questions de classifications ne sont qu’affaire de concepts, avec toute la relativité que cela comporte. Voici les nôtres, qui nous semblent utiles à une présentation claire de la matière : les usages du commerce international (§ 1), les principes transnationaux (§ 2), les codifications (§ 3), et la jurisprudence arbitrale internationale (§ 4).

§ 1. LES USAGES DU COMMERCE INTERNATIONAL

6. Exclusion des usages des parties — Entre les parties en relations d’affaires, ou en courant d’affaires, c’est-à-dire entre partenaires commerciaux habituels, s’instaurent naturellement d’itératifs usages. Par suite, l’article 9, § 1er, de la CVIM dispose que : « Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se sont établies entre elles ». Les usages inter partes sont donc revêtus de la force obligatoire, à charge pour celui qui en réclame le bénéfice, de rapporter la preuve de leur existence[13].  Mais ces usages contractuels ponctuels ne sont pas ceux dont nous entendons ici faire l’évocation.

7. Reconnaissance des usages du commerce international : de la CVIM au Code civil, et droit comparé — En effet, ne prennent part à la lex mercatoria, que les usages du commerce international (et non pas ceux des parties contractantes). C’est ainsi que la CVIM indique, en son article 9, § 2, que : « Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s’être tacitement référées dans le contrat et pour la formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance et qui, dans le commerce international, est largement connu et régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée ». Toujours en matière internationale, la loi-type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international dispose, en son article 28, alinéa 4, que : « Dans tous les cas, le tribunal arbitral (…) tient compte des usages du commerce applicables à la transaction ». Egalement, aux termes de l’article 7 de la Convention européenne sur l’arbitrage commercial international, signée à Genève le 21 avril 1961 : « Les arbitres tiendront compte des stipulations du contrat et des usages du commerce ». De même, notre Nouveau Code de procédure civile, dispose en son article 1496, alinéa 2, que l’arbitre « tient compte dans tous les cas des usages du commerce »[14], et surtout, notre Code civil, en son article 1135, enseigne aux parties contractantes, au titre des effets des obligations en général, que : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature »[15], puis au titre de l’interprétation des conventions, que « ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé »[16] et que l’on « doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées »[17].

De même, en droit comparé, l’on constate une large reconnaissance des usages. Ainsi, notamment, l’on relève la section 1-205, § 2 du Uniform Commercial Code américain qui donne une définition des usages du commerce[18], le § 157 du BGB allemand aux termes duquel les contrats doivent s’interpréter de bonne foi, compte tenu des usages, le § 346 du Code de commerce allemand, l’article 1492, alinéa 1er du Code civil italien…

8. Force obligatoire des usages — A l’instar des règles de droit qui peuvent être impératives ou supplétives, les usages commerciaux en général, et internationaux en particulier, peuvent également relever de l’une ou l’autre de ces catégories[19]. Aussi, la violation des usages impératifs est-elle sanctionnée. Ainsi, mal en a pris au Gouvernement français d’élaborer un décret méconnaissant manifestement certains usages commerciaux : le Conseil d’Etat a sanctionné cette gageure en prononçant la nullité de la disposition litigieuse[20]. Mais en matière de contrats commerciaux internationaux, le libre choix du droit applicable étant la règle, peut-on encore parler d’usages « impératifs » ? A l’examen, il y a lieu de répondre par l’affirmative, dans la mesure où, comme nous le verrons au chapitre 4, par exemple, les dispositifs relatifs aux crédits documentaires comportent un noyau dur impératif. Partant, il convient donc de maintenir la dichotomie précédemment mise en exergue par Philippe FOUCHARD.

9. Usages et jurisprudence arbitrale internationale — A l’occasion d’une affaire arbitrée en 1994, la Chambre de commerce internationale a rappelé le principe suivant (traduit de l’anglais) :

« Le tribunal (arbitral) a (…) le pouvoir de baser sa décision :

—    sur sa compréhension de l’accord litigieux,

—    les principes généraux du droit,

—    les concepts de la bonne foi et de la confiance réciproque dans les relations commerciales,

—    ainsi que sur les usages commerciaux »[21].

10. Usages, Internet et commerce électronique — Par ailleurs, Internet, que nous avons déjà évoqué et sur lequel nous reviendrons ultérieurement, relativement, notamment, aux signatures électroniques, semble être le théâtre de la naissance de nouveaux usages, propres au commerce électronique.

Deux sociétés, entièrement distinctes l’une de l’autre, ayant toutes deux déposé, pour des produits différents, la même marque « Alice », et ayant successivement rempli les formalités visant à créer leurs sites respectifs sur le web, sont entrées en conflit sur le point de savoir laquelle des deux sociétés pourrait appeler son site « Alice », étant entendu que deux sites ne peuvent pas, matériellement porter le même nom dans la même zone, en l’occurrence « .fr »[22]. Par jugement du 23 mars 1999, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que celle des deux sociétés qui pourrait appeler son site « Alice » serait celle qui avait formulé sa demande en premier[23]. Dans un commentaire de cette décision, Anne COUSIN résume ainsi le débat : « le juge a donc donné force obligatoire à la règle du « premier arrivé premier servi », ou peut-être seulement reconnu cette force obligatoire » ; avant de s’interroger plus directement sur le point de savoir si ladite règle ne serait pas un « cas fort intéressant d’élaboration d’une règle coutumière internationale ». L’auteur penche manifestement pour cette hypothèse et, bien que la coutume doive s’installer dans le temps avant d’être considérée comme telle, nous l’accompagnons toutefois en ce sens. En effet, s’agissant de la pratique d’ouverture de sites sur Internet, il est bien évident qu’à chaque site ne peut correspondre qu’une adresse et une seule. Partant, comme il ne serait pas équitable de départager les parties en concours, en contemplation d’autres considérations que le critère objectif et neutre dont il vient d’être fait état, nous nous rallions à la thèse développée par Anne COUSIN, convaincus qu’elle sera confirmée et consacrée dans les prochaines années.

11. Usages de branche et usages du commerce international — Au sein des usages de la lex mercatoria, l’on peut opérer une sous-distinction entre d’une part, les usages spécifiques à une branche considérée, et d’autre part, ceux qui constituent des usages généraux, valables pour la totalité des opérateurs du commerce international, quel que soit leur secteur d’activités. Aussi, afin de ne pas commettre de confusion, nous proposons une distinction entre trois types d’usages, en matière internationale :

—    les usages propres aux parties à un contrat commercial international (et qui n’entrent pas dans la définition de la lex mercatoria) ;

—    les usages de la branche considérée (qui entrent dans la définition de la lex mercatoria) ;

—    et les usages généraux qui peuvent également être appelés « principes transnationaux » (qui entrent également dans la définition de la lex mercatoria).

A présent, nous sommes en mesure de dire très exactement ce que nous entendons par « usages du commerce international » : uniquement les usages de branche ; quant aux usages généraux, afin de ne pas les confondre avec les précédents, nous adopterons une terminologie totalement distincte : celle de « principes » du commerce international ou principes transnationaux.

Enfin, nous estimons qu’il y a lieu de distinguer deux types d’usages de branches :

—    les usages de branche professionnelle ou usages corporatistes ;

—    et les usages documentaires c’est-à-dire relatifs à l’instrumentum contractuel, ou support contractuel[24].

§ 2. LE DEVELOPPEMENT DES PRINCIPES COMMERCIAUX TRANSNATIONAUX

12. Distinction d’avec les principes généraux du droit : les principes transnationaux comme la crème des droits nationaux — La notion de « principe » est duale. Un principe est une règle élémentaire ; en cela, le principe relève de la norme acquise. Mais un principe est également une loi générale ; en cela, le principe, s’il est pour le moins limpide à sa source philosophique et/ou juridique, est en revanche moins net dans ses applications souvent casuistiques, et pas toujours dotées d’incontestabilité. C’est ainsi que le concept même de « principe » est à la fois précis et vague ; et il en va ainsi des « principes généraux du droit ». Comme il est plusieurs branches du droit, il est plusieurs branches de principes généraux : les principes généraux du droit privé interne, du droit public… du droit international privé français. Ces principes généraux sont devenus « principes » tant en raison de leur caractère fondamental en droit, qu’en raison de leur respect jurisprudentiel et réglementaire et de leur consécration doctrinale. Mais, ce qui distingue les principes généraux du droit, des principes commerciaux transnationaux, c’est avant tout leur source. Contrairement aux principes généraux du droit, les principes commerciaux transnationaux ne s’évincent pas d’un texte constitutionnel ou législatif, mais d’une pratique commerciale internationale qui comporte, outre les opérateurs proprement dits, des institutions comme la CCI, la Chambre arbitrale maritime de Paris, ou la Chambre arbitrale de Londres, dont l’influence est indubitable et manifestement évidente. Il est vrai que la reconnaissance des premiers est avantagée par rapport à celle des seconds, en raison de l’ancienneté des droits nationaux et de la nature de leurs sources ; alors que les seconds sont nés très récemment, avec le développement de l’arbitrage international. En effet, ces principes transnationaux sont mis en exergue par les arbitres « à partir d’une observation de la convergence des droits nationaux », étant entendu que cette recherche comparative « doit être conduite à un niveau suffisant de généralité sans avoir besoin d’être exhaustive »[25]. A cela, Philippe DELEBECQUE ajoute que ces principes dégagés, ou ces convergences constatées, « doivent être relus dans la « communauté marchande internationale » » c’est-à-dire à la lumière de la pratique de la societas mercatorum[26].

13. Intérêt des principes commerciaux transnationaux — Les règles ainsi dégagées sont formidablement efficaces puisque, avant même leur érection en « principe transnational », elles sont déjà reconnues et appliquées largement. Leur consécration arbitrale ne fait qu’officialiser leur acte de naissance. Partant, ces principes ne peuvent être qu’opportuns et permettre une bonne résolution des litiges commerciaux internationaux qui le plus souvent mêlent un grand nombre de difficultés, de forme d’abord, de fond ensuite, symptômes d’une complexité naturelle. Aussi, puisque l’essentiel est avant tout de régler un différend, le recours à un principe général transnational, qui autorise une certaine marge d’appréciation à l’arbitre, sera le plus souvent pleinement satisfaisant[27].

14. Reconnaissance des principes commerciaux transnationaux — L’article 7, § 1, de la Convention de Genève du 21 avril 1961 sur l’arbitrage international, à laquelle la France est partie, offre une reconnaissance tacite des principes transnationaux en disposant que : « Les parties sont libres de déterminer le droit que les arbitres devront appliquer au fond du litige. A défaut d’indication par les parties du droit applicable, les arbitres appliqueront la loi désignée par la règle de conflit que les arbitres jugeront appropriée en l’espèce. Dans les deux cas, les arbitres tiendront compte des stipulations du contrat et des usages du commerce ». Le terme « droit » pourrait ici être remplacé par celui, plus général, de « règles », ce dernier comprenant tout à la fois les règles de droit au sens strict, mais aussi la lex mercatoria, à l’intérieur de laquelle, notamment, les principes transnationaux[28]. De la même manière, l’article 42 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 portant création du CIRDI[29], fait référence, lato sensu, aux « règles de droit adoptées par les parties ». De manière plus franche, l’Institut de droit international a affirmé que : « les parties peuvent notamment choisir comme loi du contrat, soit un ou plusieurs droits internes ou les principes communs à ceux-ci, soit les principes généraux du droit, soit les principes appliqués dans les rapports économiques internationaux, soit le droit international, soit une combinaison de ces sources de droit »[30], et n’hésite pas à faire état des « règles de droit autres que les lois étatiques »[31].

A ce dernier égard, la Cour de cassation française, se prononçant sur une affaire — Valenciana — qui fit l’objet de deux sentences arbitrales, la première tendant à trancher le litige liminaire relatif à la détermination du droit applicable[32], la seconde tranchant le débat sur le fond[33], chacune de ces sentences ayant fait l’objet d’un recours en annulation, a considéré qu’un arbitre qui s’est référé « à « l’ensemble des règles du commerce international dégagées par la pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales », (…) a statué en droit (…) ». Cet arrêt était très attendu, notamment par Paul LAGARDE qui avait souhaité que la Haute Cour profitât de l’opportunité de sa saisine pour se prononcer sur la juridicité de la lex mercatoria. L’effet se produisit ; et Paul LAGARDE, de conclure : « nous devons aujourd’hui admettre, avec M. GOLDMAN, que pour l’arbitre c’est donc bien, selon la Cour de cassation, statuer en droit que de statuer selon la lex mercatoria »[34].

Cette position de la Cour de cassation a été corroborée par la résolution de l’International Law Association, sur l’application des règles transnationales par les arbitres du commerce international, présentée au Caire le 26 avril 1992[35].

15. Exemples de principes commerciaux transnationaux — Emmanuel GAILLARD indique que le Comité d’arbitrage qu’il préside s’est déjà intéressé à certains principes :

—    le principe d’imprévision ;

—    pacta sunt servanda[36] ;

—    le principe de bonne foi[37] ;

—    interdiction de se contredire au détriment d’autrui[38] ;

—    devoir de coopération dans les contrats à long terme ;

—    exception d’inexécution ;

—    force majeure ;

—    principes concernant l’évaluation et la prévisibilité du préjudice réparable ;

—    principes concernant les intérêts[39].

Mais il est d’autres principes commerciaux transnationaux, tout aussi fondamentaux, tels le principe du raisonnable[40].

Cette liste n’a pour but que de fournir un premier éclairage du contenu des principes transnationaux. Elle n’est pas exhaustive, et en toute hypothèse, elle ne sera jamais véritablement figée, toujours sujette à aménagements, évolutions, compléments. Mais n’en n’est-il pas ainsi pour le droit en général, et pour tout ce qui est ?

16. Force obligatoire des principes commerciaux transnationaux — Il semblerait que les principes transnationaux puissent être en premier lieu choisis comme lex contractus par les parties contractantes (sauf loi de police contraire). Ainsi, l’on sent vaciller le principe de rattachement de tout contrat international à un droit national, qui semble se heurter à un ensemble de règles supérieures : les règles transnationales relevant de la lex mercatoria.

En second lieu, en cas d’omission des parties de désigner un droit applicable à leurs relations contractuelles, les règles transnationales et avec elles, la lex mercatoria, auraient vocation à s’appliquer, à titre supplétif[41].

Dans la mesure où d’une part, les règles transnationales sont suffisamment précises de sorte que le consentement des parties d’y adhérer sans réserve ait été utilement éclairé, et où d’autre part, les droits nationaux des Etats dont ressortent les parties ne s’opposent pas à cette possibilité (ordres publics internes), nous sommes favorables à la position exprimée par le Président du Comité de l’arbitrage de l’ILA.

17. Incidence de l’arrêt Valenciana sur l’arrêt Messageries maritimes[42]Il nous semble que désormais, le principe qui prévalait, il y a quelques décennies, du rattachement de principe de tout contrat international à un droit national, sur le fond, doive, à moyen terme, tomber en désuétude ; sauf en ce qui concerne les matières réservées relevant de l’ordre public national, telles le consentement, la capacité, le statut personnel. Ainsi, pour les ressortissants français, l’article 3 du Code civil, d’ordre public, dispose que : « Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étrangers ».

Mais sur le fond, c’est-à-dire sur les relations contractuelles proprement dites, les parties contractantes peuvent désormais, avec l’aval de la Première Chambre civile de la Cour de cassation, désigner comme loi contractuelle, la lex mercatoria dans son ensemble ; et l’arbitre dont la mission sera de trancher le litige né de ce contrat, devra être considéré, lorsqu’il fera application des règles « mercatoriales », comme ayant statué en droit.

Il existe donc manifestement, aux côtés des droits nationaux et du droit international privé, un troisième ordre juridique : la lex mercatoria.

§ 3. L’ESSOR DES CODIFICATIONS

18. Les rôles fondamentaux de la CCI, d’UNIDROIT et de la CNUCED — Un hommage appuyé doit être rendu à cette vénérable institution qu’est la Chambre de commerce internationale, qui par son œuvre remarquable contribue à assainir et à sécuriser les relations commerciales internationales en diverses matières[43]. Ainsi, la CCI a enrichi la lex mercatoria des précieux International Commercial Terms (Incoterms), mais aussi des Règles et Usances Uniformes (RUU), ainsi que d’autres règles particulières en certaines matières, notamment en matière de transport multimodal, avec le concours de la CNUCED. De plus, des projets sont actuellement à l’étude, tels que la création d’E-Terms ou ETERMS[44]. Mais, aux côtés de la CCI et de la CNUCED, réalise également un important travail de fond qui ne saurait être occulté, UNIDROIT, qui a créé ses désormais célèbres « Principes » sur les contrats du commerce international.

19. Nature des codifications — Au fond, les codifications sont mixtes. En effet, elles lient deux techniques complémentaires. En premier lieu, et de façon incontestable, elles structurent et fixent dans le marbre des usages professionnels qui leur ont préexisté, et qui ne sont pas nés directement de leur ouvrage ; ainsi en est-il par exemple des ventes CIF et FOB[45]. En second lieu, et de manière tout aussi indéniable, certaines codifications ne se sont pas contentées de compiler des usages, mais ont élargi leur réflexion en façonnant ce qui pouvait être amélioré, allant jusqu’à proposer de nouveaux schémas, ces derniers ne pouvant manifestement pas être qualifiés d’« usages » puisque élaborés dans le creuset de nobles institutions telle la CCI ; ainsi en est-il par exemple des ventes DDU[46] ou des RUU pour les garanties contractuelles[47]. En conséquence, il ne nous apparaissait pas opportun de faire état de ces codifications fondamentales dans le paragraphe 1 de cette sous-section 3 consacré strictement aux « usages » du commerce international, mais bien au contraire, de leur réserver une place privilégiée, dans un paragraphe autonome.

20. Division — Ainsi, nous évoquerons ici les grandes codifications survenues ces dernières années, et qui constituent un élément incontournable de la lex mercatoria : les Incoterms (A), les RUU (B), les Règles CNUCED/CCI applicables aux documents de transport multimodal (C), et les Principes UNIDROIT (D).

            A. Les Incoterms

21. Introduction — C’est en 1936 que vit le jour la première mouture des Incoterms. Elle connut ensuite plusieurs modifications ou mises à jour, en 1953, 1976, 1980, 1990 et pour la dernière en date, 2000. Aussi, en raison de leur importance pratique, un grand nombre d’études leur sont consacrées[48].

22. Incoterms et Liner terms — Les Incoterms s’intéressent exclusivement aux rapports des parties aux contrats de vente internationaux. Ils proposent des hypothèses de répartition des coûts et des risques entre vendeur exportateur d’une part, et acquéreur importateur d’autre part. De manière très globale, ils peuvent être classés en quatre familles, par lettre : la famille E, étant celle où le vendeur se décharge du transport de la marchandise sur la tête de l’acquéreur ; la famille F, dans laquelle le vendeur n’assume pas les risques du transport principal ; la famille C dans laquelle le vendeur assume les frais du transport principal, mais pas les risques ; et la famille D qui réunit les terms d’obligations maximales du vendeur dans le transport de la marchandise.

Ils ne doivent pas être confondus avec les Liner terms qui eux, ne s’intéressent qu’à la détermination du montant du fret sur les lignes régulières, dans les rapports entre le chargeur, le transporteur maritime et les intéressés au transport maritime[49], au regard de l’étendue des obligations de chacun des opérateurs en cause, au chargement et/ou au déchargement du navire. Ainsi, au titre des Liner terms, l’on peut citer notamment les clauses FI, FO, FIO[50].

23. Intérêts de Incoterms — Toute vente avec transport peut être découpée en au moins une dizaine de phases distinctes[51], dont les coûts respectifs sont susceptibles d’incomber soit au vendeur, soit à l’acquéreur ; d’où l’intérêt de bien définir le contenu obligatoire du contrat, relativement à la répartition de ces coûts. Les Incoterms proposent des exemples de répartitions de ces charges. En d’autres termes, ils émettent des hypothèses du moment où les charges financières liées à l’objet du contrat, basculeront sur la tête de l’acquéreur, parfois très vite (EXW), parfois in fine (DDP), avec de multiples solutions médianes. Corollairement, plus le vendeur accomplira de formalités pour le compte de l’acquéreur, plus le prix de vente total sera élevé, et inversement.

Le second intérêt majeur des Incoterms est de proposer des hypothèses de transfert des risques, ce dernier étant lié à la livraison de la marchandise vendue. Ainsi, de manière très générale et théorique, le transfert des risques intervient lors de la remise des marchandises au transporteur agissant pour le compte de l’acquéreur, dans les ventes EXW (usine départ), FCA, CPT, CIP (lieu convenu), FAS (le long du navire), et DAF (frontière) ; lors du passage du bastingage du navire (départ), dans les ventes FOB, CFR et CIF ; lors de la livraison au lieu convenu dans les ventes DES (sur le navire, port de destination), DEQ (à quai, port de destination), DDU, DDP (lieu de destination convenu).

24. Limite des Incoterms : quid du transfert de la propriété ? — En revanche, s’il est une question sur laquelle les Incoterms ne pouvaient prétendre émettre de possibles choix contractuels, c’est bien celle du moment où, juridiquement, la propriété des marchandises sera transférée de la tête du vendeur sur celle de l’acquéreur. En effet, les législations nationales dans le monde sont trop divisées sur ce point, et chacune demeure attachée à sa tradition.

En France, pour que la vente soit valide et la propriété transférée, et sauf clause de réserve de propriété[52] ou formalité réglementaire particulière[53], la propriété de la chose est transférée dès que les parties sont parvenues à un accord sur la chose et sur le prix. C’est l’une des applications du principe du consensualisme, et le transfert de la propriété est lié au transfert des risques. Cela dit, ce principe, qui était formalisé dans l’ancien droit français par la clause « vendu de droit et à l’instant » et qui, tant il a paru évident au législateur napoléonien qui ne l’a pas repris dans le Code civil[54], demeure, en droit positif français, supplétif. Les aménagements contractuels sont donc permis ; à tel point que la pratique de la construction navale a imaginé un transfert progressif de la propriété, au fur et à mesure des acomptes versés par le client armateur[55]. Mais sans aller jusque là dans la finesse contractuelle, en matière de vente internationale de marchandises, les clauses de réserves de propriété sont relativement courantes, subordonnant le transfert de la propriété au paiement du prix. En cas de crédit documentaire et de clause de réserve de propriété, la propriété ne sera ainsi transférée que lorsque la banque notificatrice aura reçu le paiement de la banque émettrice, nonobstant les stipulations particulières relatives à la désignation d’un Incoterm particulier.

Fréquemment, transfert de la propriété et transfert des risques, seront donc dissociés, ou, pour reprendre le terme d’Antoine VIALARD, « découplés ».

25. Incoterms de la CCI et autres Incoterms — Outre les Incoterms codifiés par la CCI, qui constituent des modèles phares, quoique toujours contractuellement malléables, se sont institutionnalisés d’autres Incoterms qui constituent en réalité de simples variantes des premiers. Trois facteurs sont à l’origine de cette profusion : le jeu naturel de la liberté contractuelle, mais aussi, l’attachement des opérateurs à leurs traditions juridiques propres[56], et enfin, les conséquences de l’économie de concurrence et des rivalités portuaires. En effet, afin d’encourager le développement du trafic portuaire, apparaissent ça et là des « Incoterms, usage du port », tels le nouveau « FOB Dunkerque » qui, depuis sa mise en place le 31 mai 1996, a permis au port de ladite ville de concurrencer directement le port belge d’Anvers[57].

26. Division — On distingue traditionnellement les ventes au départ (Incoterms des groupes E, F et C) (1), des ventes à l’arrivée (groupe D) (2). Dans la mesure où nous reviendrons ultérieurement, au fond, sur le contenu des Incoterms en matière de responsabilité, nous nous contenterons ici, d’en brosser un rapide tableau.

                        1. Les Incoterms de ventes au départ

27. EXW named place[58]La vente EXW est parmi les plus simples juridiquement pour le vendeur qui ne s’occupe de rien, si ce n’est des obligations de droit commun incombant à tout fabricant-vendeur. Ses obligations s’arrêtent au conditionnement du produit. Aussi, se sont développées deux variantes qui sont de légères extensions des obligations du vendeur. La première est la vente « EXW loaded on » : ici, le chargement du véhicule de transport incombe au vendeur ; la seconde est la vente « EXW stuffed », qui emporte pour le vendeur, l’obligation de procéder à l’empotage du conteneur.

28. FCA named place[59]Dans sa version CCI 1990, la vente FCA emporte pour le vendeur l’obligation de prendre en charge les marchandises jusqu’à l’achèvement des formalités de douane export. Notons cependant les réserves formulées par Paul-Marie RIVOALEN à l’encontre de cette formule qu’il juge compliquée et floue quant à la répartition des coûts. Selon lui, il est « difficile » de vendre FCA CCI 1990. Aussi, estime-t-il « intéressant », le nouveau term FCA CCI 2000, essentiellement lorsqu’il implique que la livraison aura lieu dans le cadre d’un pré-acheminement. L’intérêt réside alors pour le vendeur en une avantageuse précision : « la responsabilité et le coût du déchargement, comme par exemple la mise à quai dans un port, sont transférés à l’acheteur »[60].

29. FAS named port of shipment[61]Les ventes spécifiquement maritimes sont les ventes FAS, FOB, CFR, CIF, DES et DEQ. Dans la vente FAS CCI 1990, qui correspond à la vente « FAS vessel » américaine[62], le vendeur doit livrer les marchandises le long du navire préalablement désigné par l’acquéreur, au port d’embarquement convenu. Mais, sous l’influence des Liner terms, les pratiques professionnelles ont élaboré des catégories particulières de ventes FAS, telles la vente « FAS rendu à quai » ou la vente « FAS rendu sous palan », cette dernière étant la plus complète des ventes FAS.

Pour M. RIVOALEN, la version FAS CCI 2000 améliore la précédente dans la mesure où les opérations de douane export incombant au vendeur, permettent à ce dernier de connaître le pays d’exportation des marchandises[63].

30. FOB named port of shipment[64]Dans ce type de vente, le vendeur s’engage à livrer la marchandise à bord du navire désigné par l’acquéreur, au port d’embarquement convenu. Les Liner terms ont également eu des incidences sur les ventes FOB ; ainsi rencontre-t-on des combinaisons vente FOB/clause FI, FOB/FIO, FOB/FOIS, FOB/FIOST. Quant aux usages portuaires, ils n’ont pas été sans retentir sur les ventes FOB ; ainsi par exemple, contracte-t-on « FOB Le Havre », « FOB Dunkerque » ou « FOB Anvers ». De l’autre côté de la Manche, est côté le « FOB UK »[65] ; de l’autre côté de l’Atlantique, aux USA, le « FOB term », tel qu’issu des RAFTD, est une enveloppe trompeuse qui peut renfermer aussi bien une vente au départ qu’une vente à l’arrivée… Il est donc essentiel de négocier puis rédiger les contrats de vente internationaux avec force détails, qui ne seront jamais superflus en cas de litige.

31. C & F, or CFR, named port of destination[66]Ici, le vendeur s’engage à livrer la marchandise, à bord du navire par lui choisi, au port de destination convenu. En revanche, l’assurance sur facultés incombe à l’acquéreur[67].

La pratique a assorti ce modèle, de quelques extensions : « CFR landed », « CFR customs duties paid » et « CFR cleared »[68].

32. CIF, named port of destination[69]Le vendeur doit livrer la marchandise à bord du navire par lui choisi, au port d’embarquement convenu. Cependant, il s’engage en outre à souscrire une assurance sur facultés. Le transfert des risques s’effectue lors du chargement du navire, au passage du bastingage[70].

Comme précédemment, le modèle CIF connaît quelques extensions : « CIF landed », « CIF customs duties paid » et « CIF cleared ».

33. CPT, named place of destination[71]Dans ce cas, le vendeur s’engage à livrer la marchandise au transporteur ou, en cas de transporteurs successifs, au premier d’entre eux ; il supporte les risques de perte ou dommages des marchandises en amont de cette livraison.

34. CIP (ou CIPT), named place of destination[72]La différence essentielle entre une vente CPT et une vente CIP réside dans la charge de l’assurance transport qui, dans la première, incombe à l’acquéreur et dans la seconde, pèse sur le vendeur.

                        2. Les Incoterms de ventes à l’arrivée

35. DAF, named place[73]Le vendeur conclut le contrat de transport, laissant à l’acquéreur la charge de l’assurance sur facultés. Le vendeur doit ensuite mettre la marchandise à disposition de l’acquéreur, au lieu de livraison convenu à la frontière (essentiellement, transport routier ou ferroviaire). Il supporte seul les risques de la marchandise en amont de cette livraison.

36. DES, named port of destination[74]Dans ce cas, le vendeur conclut le contrat de transport, abandonnant la charge de l’assurance sur facultés à l’acquéreur. Le vendeur doit ensuite mettre la marchandise à la disposition de l’acquéreur, à bord du navire, au port de destination convenu. Il supporte seul les risques en amont de cette livraison.

37. DEQ, named port of destination[75]La vente DEQ est une extension de la vente DES. Ici, le vendeur s’oblige à mettre la marchandise à disposition de l’acquéreur, sur le quai. IL prend donc à sa charge les frais de déchargement du navire, et les risques. De plus, il s’engage à supporter les éventuels frais de surestaries et certaines formalités douanières d’importation, outre les droits et taxes exigibles à cette occasion. En d’autres termes, la vente DEQ est en principe une vente DEQDP (duty paid). Par exception, les parties peuvent convenir que la vente sera « DEQ duty unpaid » : ainsi, c’est l’importateur qui prendra à sa charge les frais et formalités qui viennent d’être énumérés. Enfin, les parties peuvent convenir que ces droits et taxes seront pour partie supportés par l’un et pour partie par l’autre ; auquel cas, il faudra alors préciser le tout, en détails, dans l’instrumentum du contrat.

38. DDU, named place of destination[76]Dans cette vente, seuls les frais de douane import et de post-acheminement demeurent à la charge de l’acquéreur. Mais, pour plus de sûreté, mieux vaut exprimer dans le contrat, opération par opération, lequel des deux contractants en sera débiteur.

39. DDP, named place of destination[77]En résumé ici, le vendeur se charge de tout, de bout en bout de l’acheminement de la marchandise, et naturellement, il supporte seul les risques tant que la livraison n’a pas été régulièrement effectuée[78].

Aux côtés de Incoterms, la CCI a également doté la lex mercatoria des tout aussi importantes Règles et usances uniformes ou RUU.

            B. Les Règles et Usances Uniformes (RUU)

40. Division — Le second bloc de codifications que nous devons à la Chambre de commerce internationale est constitué des Règles et usances uniformes. A l’usage des opérateurs du commerce international, c’est-à-dire des opérateurs membres d’un « groupe de contrats » au sens de la présente étude, deux corps de RUU nous intéressent : les RUU relatives aux crédits documentaires (RUUCD) (1), et les RUU relatives aux garanties sur demande (RUUGD) (2).  De la même façon que pour les Incoterms, dans la mesure où nous aborderons directement les détails techniques et le fond de ces Règles ultérieurement, nous nous bornerons ici à les présenter brièvement.

                        1. Les RUUCD

41. L’œuvre novatrice de la CCI — A ceux qui s’en prennent à l’existence même de la lex mercatoria en critiquant le fait qu’elle soit lacunaire, voici une réponse qui retourne le compliment aux droits nationaux et international : à la seule exception des USA[79], aucun droit national, pas plus que le droit international, ne réglementent, même partiellement, la matière des crédits documentaires, documentary credit en anglais. C’est au contraire la pratique — notamment bancaire — internationale, transnationale, qui, au travers des travaux remarquables de la CCI qui débutèrent officiellement dès 1926, a permis la construction d’un corpus de règles en cette matière si simple en ses principes de base, mais si délicate dans ses applications. En d’autres termes, en matière de crédit documentaire, ce n’est pas la lex mercatoria qui est laconique, mais ce sont les droits nationaux et le droit international privé. Mieux vaut donc prêcher pour la complémentarité des trois ordres : l’ordre des droits nationaux, l’ordre du droit international, l’ordre mercatorial[80].

Les Règles et Usances relatives aux crédits documentaires (RUUCD) firent l’objet d’une première publication en 1933 ; elles ont connu plusieurs révisions, en 1951, 1962, 1974, 1983[81], et pour la dernière en date, 1993, entrée en application le 1er janvier suivant[82].

42. Définition des crédits documentaires — Dans la mesure où l’on distingue essentiellement deux catégories de crédits documentaires, quoique l’on puisse ensuite affiner encore le classement en structurant des sous-catégories, voici comment l’on pourrait définir le crédit documentaire irrévocable et le crédit documentaire révocable[83].

Le crédit documentaire irrévocable porte engagement ferme[84] de la banque émettrice, qui, dans ses rapports avec le donneur d’ordre, consent un crédit à ce dernier, et dans ses rapports avec un tiers bénéficiaire (cocontractant commercial du donneur d’ordre), et par l’intermédiaire d’une autre banque (banque du bénéficiaire, dite notificatrice ou confirmatrice), se reconnaît débiteur principal d’une somme certaine et liquide, qui deviendra exigible sous diverses conditions suspensives, essentiellement, la remise de certains documents précisément visés au contrat et présentant une authenticité apparente[85].

Le crédit documentaire irrévocable est de loin le plus répandu, comme procurant au bénéficiaire la meilleure sûreté d’être payé[86]. Ainsi, l’art. 9, d), i., des RUU dispose que « sauf autrement prévu à l’art. 48 (relatif au crédit transférable), un crédit irrévocable ne peut être ni amendé ni annulé sans l’accord de la banque émettrice, de la banque confirmante s’il y en a une, et du bénéficiaire ».

Dans notre définition, nous avons distingué la banque émettrice, de la banque notificatrice et de la banque confirmatrice.

La banque émettrice, parfois dite apéritrice, est celle qui émet le crédit documentaire au profit du bénéficiaire, par l’intermédiaire de la banque de ce dernier. Les termes d’émettrice et d’apéritrice se veulent, appliqués à une banque, parfaitement synonymes[87].

En revanche, les termes de notificatrice et de confirmatrice ne sont pas synonymes. Précisément, il y a lieu de distinguer les deux notions, la seconde emportant des effets juridiques qui ne sont pas l’apanage de la première. En effet, il se peut que la banque du bénéficiaire se contente de notifier à ce dernier le crédit documentaire, après vérification de l’authenticité apparente des signatures et des pouvoirs des personnes qui ont procédé à l’émission ; auquel cas la banque du bénéficiaire est simplement dite notificatrice. Toutefois, lorsque le bénéficiaire émet des doutes sur la notoriété, la solvabilité de la banque émettrice, ou la fragilité du régime politique local, il lui appartient de solliciter de sa propre banque (originellement notificatrice), de garantir à son tour le paiement de la transaction : en termes bancaires, ladite banque procède, après appréciation souveraine, à la confirmation (ou non) dudit crédit ; la banque est alors dite confirmatrice.

Enfin, pour mémoire à ce stade de notre étude, relevons que les RUU prévoient plusieurs modalités de réalisation du crédit documentaire : par paiement à vue, paiement différé, acceptation ou négociation (notamment art. 10, a).

En second lieu, le crédit documentaire peut être révocable (art. 8, a).

Le crédit documentaire révocable autorise la banque émettrice, à amender ou annuler le crédit à tout moment, sans en avertir au préalable le bénéficiaire.

Nul n’est besoin de grandes explications pour traduire la désaffection des exportateurs pour ce type d’opération ! Simplement, Jean-Pierre MATTOUT observe qu’ils sont « utilisés entre commerçants se connaissant bien car les commissions bancaires sont moins élevées »[88].

43. Intérêts du crédit documentaire — Le crédit documentaire, en raison du principe de la séparation des marchandises et des documents[89], protège, d’une manière générale (seulement), l’exportateur contre tout litige relatif aux marchandises livrées. Corollairement, l’importateur établissant lui même la liste des documents et justificatifs par lui jugés utiles à la réalisation des diverses opérations de douane import, lui permet éventuellement de formuler les réserves nécessaires, auquel cas la banque émettrice ne paiera à la banque notificatrice que le prix des marchandises nettes de réserves.

Au plan international, pour les relations interbancaires, les banques se sont dotées d’un ingénieux système télématique, demeuré jusqu’ici inviolé[90], SWIFT[91], qui sauvegarde par un procédé de codage des données, la confidentialité des informations transitant sur ce réseau.

44. Reconnaissance et efficacité des RUUCD — Outre leur très large application par les opérateurs du commerce international, qui est là leur plus grande reconnaissance, la CNUDCI, par décision du 17 avril 1975, a, à l’unanimité de ses membres, chaleureusement recommandé l’adhésion aux RUUCD. Cette adhésion, naturellement facultative, peut être le fait, soit du système bancaire d’un Etat, soit d’un établissement bancaire particulier. En réalité, la totalité des systèmes bancaires d’Etats dans le Monde, ont opté pour la première voie, à la seule exception de la République Populaire de Chine… mais cette exception, en pratique, n’est plus, les grandes banques chinoises ayant adhéré aux RUUCD à titre personnel[92].

Enfin, pour faciliter son usage, directement auprès des praticiens, la CCI a mis en circulation des formulaires de crédits documentaires, largement utilisés. Tout cela est très satisfaisant pour l’unité et l’esprit de la matière.

45. Contexte général du recours au crédit documentaire — Comme toute opération commerciale internationale (le plus souvent une vente, mais pas forcément) nécessite un financement, le recours au crédit documentaire sera parfois envisagé.

Mais le crédit documentaire a un coût : les commissions bancaires que importateur et exportateur devront respectivement payer à leur banque (émettrice et notificatrice). Aussi, en raison du coût de ces commissions, le recours au crédit documentaire n’est pas conseillé pour les petites transactions ; en revanche, il est vivement recommandé à partir d’un certain seuil[93].

46. Domaines privilégiés du crédit documentaire — Le crédit documentaire est l’instrument privilégié du commerce international à court terme[94]. Cependant, il peut également être utilisé à d’autres fins, à moyen et long termes. Quant à son domaine de prédilection qui est la vente internationale, il n’est pas non plus exclusif de toute autre opération nécessitant le transfert d’importants capitaux.

47. Caractère supplétif des RUUCD — A priori, il est permis de penser que les RUUCD ne sont qu’un matériau contractuel proposé aux parties, un contrat-type, et rien de plus[95]. Egalement, à supposer que les RUUCD ne soient que des usages bancaires, surgit la difficulté de leur opposabilité aux opérateurs non bancaires, mais aussi à une banque qui ne serait pas adhérente[96]. Mais ces observations ne reflètent pas la réalité commerciale internationale et la manifeste influence des RUUCD.

Au contraire, à l’occasion d’une affaire S.A. Discount Bank c/ Téboul, par un arrêt du 14 octobre 1981, la Cour de cassation a sanctionné avec éclat, la violation des art. 1134 du Code civil et 3 des RUUCD, en cassant et annulant l’arrêt déféré, qui avait été rendu le 11 janvier 1980 par la 15ème Chambre de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[97]. Dans l’hypothèse où le contrat commercial sous-jacent à la convention de crédit documentaire souffre d’une inexécution quelconque, la question soulevée dans la présente affaire, était de savoir, si le donneur d’ordre pouvait obtenir le blocage du crédit, jusqu’à ce que soit juridictionnellement arrêté le sort du contrat de base. La Cour d’appel, avait estimé que le donneur d’ordre pouvait parfaitement faire pratiquer une saisie-arrêt, en cas de non conformité des marchandises livrées, au regard du bon de commande. Cependant, la Juridiction suprême relève que le banquier s’était engagé « directement et irrévocablement » envers le bénéficiaire du crédit. En conséquence, l’engagement de la banque étant « ferme » et autonome par rapport au contrat de base, par application des dispositions de l’art. 1134 du Code civil (les conventions légalement formées tenant lieu de loi…), et sur le fondement de l’art. 3 des RUUCD, la Cour de cassation devait casser la décision d’appel. Les commentateurs de l’arrêt de cassation approuvent unanimement la solution[98], inscrite dans une piste qui avait déjà été tracée par MM. ESCARRA, EISENMANN, BONTOUX et DERAINS, ainsi que par quelques décisions rendues au fond[99].

Pour être tout à fait complet, ajoutons que sur la scène européenne et internationale, notamment, les droits positifs britannique, belge, allemand, autrichien, suisse, et italien, partagent cette solution[100] ; les Pays-Bas demeurent un peu plus nuancés[101].

48. Palliatifs des limites des RUUCD — Comme tout ce qui est écrit est figé, contrairement à la pratique, sans cesse nouvelle et revisitée, les RUUCD fixent un ensemble de règles, mais ne peuvent pas prévoir toutes les situations juridiques susceptibles de se présenter et de poser une difficulté juridique. Alors, l’on pourra procéder à diverses interprétations, à la lumière des principes généraux de la matière, ou solliciter un avis de la Commission des Techniques et Pratiques Bancaires de la CCI[102], ou consulter la jurisprudence de la International Court of Arbitration (ICA), mais aussi les jurisprudences (souvent proches ou identiques) d’importantes juridictions arbitrales, implantées notamment à Londres[103] et Paris.

Aux côtés des RUUCD, la CCI a récemment donné naissance à un nouveau bloc de règles : les Règles et usances uniformes relatives aux garanties sur demande (RUUGD).

                        2. Les RUUGD

49. Genèse des RUUGD — Une fois encore, la pratique internationale est à l’origine de la diversification des garanties contractuelles et spécialement des garanties à première demande. Jean-Pierre MATTOUT souligne que la fonction actuelle de ces garanties était il y a quelques décennies, assurée, dans une moindre mesure, par les dépôts en espèce ou en titres, qui n’étaient pas sans poser certaines difficultés[104]. Les cautionnements ont pris le relais en se substituant à cette pratique des dépôts. Puis, face aux renforcements qu’a connu le cautionnement dans les différents droits positifs nationaux, les opérateurs du commerce international ont préféré, autant que possible, s’en détourner, en créant de redoutables sûretés nouvelles : nous y sommes.

Ces sûretés nouvelles s’inscrivent naturellement dans une logique commerciale. Aussi, l’opérateur qui répond à une offre de contracter, pour attester de sa levée d’option, va émettre une garantie de soumission (bid bond ou tender bond) ; en cas de versement d’un acompte lors de la signature du contrat principal (vente internationale par ex.), celle des deux parties qui reçoit un acompte émettra au profit de l’autre, une garantie de restitution d’acompte (advance payment guarantee) ; pour garantir une obligation de faire, sera émise une garantie de bonne fin (performance bond) ; pour garantir une obligation de payer, sera émise un faux performance bond ; et pour la période postérieure à l’accomplissement final du contrat principal (après la livraison par ex.) est émise (par le vendeur) une garantie de dispense de retenue de garantie (retention money bond) (qui s’avérera utile en cas de demande de restitution du prix pour non conformité des marchandises)[105].

Pour donner vie à ces garanties, la pratique a créé quatre procédés : la garantie sur simple demande, la garantie à première demande justifiée, la garantie documentaire, ou la lettre de crédit stand by[106].

50. Echec de la première codification — Les quatre techniques de garantie ainsi créées par la pratique satisfaisaient largement les intérêts des bénéficiaires de ces garanties… mais un peu trop du point de vue des donneurs d’ordres. Aussi, en bon samaritain, la CCI ayant souhaité remédier à ce manifeste déséquilibre dans la sauvegarde des intérêts respectifs des importateurs et exportateurs, a élaboré les RUU pour les garanties contractuelles[108], qui placent ces garanties « à mi-chemin entre le cautionnement classique et la garantie à première demande »[109]. Mais ces règles, trop bien pensées en théorie, n’étant pas en phase avec la dure réalité du commerce, ne se sont vues choisies comme lex contractus que par quelques rarissimes opérateurs[110] ; en d’autres termes, globalement, elles demeurèrent lettre morte, même si, pour les besoins de la cause c’est-à-dire pour les rares opérateurs qui y avaient eu recours, la CCI ne les a pas purement et simplement apostasiées.

51. Nette amélioration de la seconde codification — C’est ainsi que la CCI en est venue à plancher sur un nouveau projet, qui a abouti en 1992 à la publication des RUU relatives aux garanties sur demande[111], dont l’un des piliers est indubitablement l’art. 20 qui, d’après les termes mêmes de sa rédaction, se veut supplétif de la volonté des parties (à l’instar des RUU relatives aux crédits documentaires), et aux termes duquel, si le bénéficiaire souhaite appeler la garantie en paiement, il doit néanmoins expressément indiquer au garant en quoi le donneur d’ordre a failli dans l’exécution des obligations dont il était débiteur en application des stipulations du contrat de base.

Jean-Pierre MATTOUT approuve cette solution qu’il juge équilibrée[112]. Nous aussi. Cependant, nous devons remarquer que la séparation théorique entre d’une part le contrat dit « de base », et d’autre part, le contrat de garantie, s’amincit encore, jusqu’à devenir presque invisible, dès lors que le bénéficiaire doit indiquer au garant en quoi le donneur d’ordre s’est avéré défaillant dans l’exécution du contrat « de base »…

52. La reine des garanties autonomes : la garantie à première demande — Les garanties en cause sont autonomes par rapport au contrat de base dont elles garantissent l’exécution. Mais, ainsi que nous venons de le voir, si cette autonomie, cette cloison étanche entre le contrat de base garanti, et le contrat de garantie lui-même, est hissée bien haut et proclamée avec exaltation[113], il n’en demeure pas moins vrai que cette « autonomie » est manifestement ténue : la CCI ayant voulu, et l’intention en est louable, que le garant ne soit pas appelé à tort et à travers, mais uniquement en cas de défaillance réelle du débiteur au contrat de base.

N’omettons pas que le garant, du chef du caractère autonome de ladite garantie, est débiteur principal du bénéficiaire (à l’inverse de la caution qui n’en est que le débiteur accessoire). C’est le caractère autonome de la garantie par rapport au contrat de base, qui permet de dire que le garant est débiteur principal.

A notre sens, se heurtent ici deux conceptions : la conception juridique objective qui devrait conduire à admettre que le concept de garantie autonome repose sur une pure fiction juridique et qui d’un point de vue juridique strict, n’est pas satisfaisante ; et la conception commerciale du marché pour laquelle la garantie autonome est la reine des sûretés, indispensable pour sécuriser une transaction entre des parties qui souvent ne se connaissent pas, ont leur siège social aux antipodes de la planète, et qui ont un besoin naturel d’être rassurées sur la bonne exécution du contrat. Alors, faut-il faire droit au raisonnement juridique puriste, ou répondre aux réalités du marché ? Sans hésitation, quoique juriste passionné, nous optons pour la seconde voie.

Pour en terminer sur ce point, nous rendrons hommage à Jean-Pierre MATTOUT en rapportant sa définition de la garantie à première demande[114] :

« La garantie à première demande est un engagement par lequel le garant, à la requête irrévocable d’un donneur d’ordre, accepte de payer en qualité de débiteur principal, sur simple demande, une somme d’argent à un bénéficiaire désigné, dans les termes et conditions stipulés dans la garantie, en renonçant par avance à exercer tout contrôle externe sur les conditions de mise en jeu de son engagement. »

53. Force obligatoire des RUUGD — Nous avons dit plus haut, que l’art. 20 des RUUGD, dans ses termes, se veut supplétif de la volonté des parties. Cela est exact. Cependant, tout dépendra de l’usage (au sens large) de ces Règles, qui en sera fait, d’une part par les opérateurs du commerce international, d’autre part, les arbitres, et de troisième part, les juges. Tout cela laisse, pour l’heure, un flottement certain à toute tentative de réponse qui pourrait être formulée dès à présent. Simplement, le recul d’une dizaine d’années permettra bientôt de faire état du taux d’application des RUUGD par les opérateurs, du degré obligatoire qui leur aura été conféré par les arbitres et les juges, avec peut-être une nuance entre les deux, mais pas forcément[115].

Par ailleurs, la CCI s’est associée à la CNUCED pour mettre à jour un corps de Règles qui aurait vocation à clarifier les modalités d’un type de transport qui a connu une véritable explosion économique, et qui continue de croître : le transport multimodal.

            C. Les Règles applicables aux documents de transport multimodal

54. Notion de transport combiné ou multimodal — Dans les années 1960, avec le développement de la conteneurisation, sont apparus de nouveaux termes contractuels, en dehors du découpage classique d’un transport de bout en bout, où chaque fraction du voyage (ferroviaire, maritime, fluviale, routière, aérienne) relevait d’un régime juridique propre. Depuis, une profession particulière, celle des entrepreneurs de transport multimodal (ETM), a pris en charge la réalisation de transports internationaux de bout en bout, sans rupture de charge, sous un titre de transport unique, et un régime juridique qu’il restait à unifier[116].

Mais encore fallait-il conceptualiser ce type de transports. Des termes ont été proposés : transport intermodal, mixte, combiné, multimodal. Martine REMOND-GOUILLOUD a justement fait observer que le terme « intermodal » présentait « une connotation plus économique »[117]. Quant au terme mixte, il est selon nous trop général, trop générique, dans la mesure où il n’évoque pas forcément directement le transport mettant en œuvre plusieurs modes de transport successifs sous un régime unique. Nous pensons au contraire que l’expression transport mixte renvoie à l’activité d’un navire transportant à la fois des passagers et des marchandises. Quant aux deux dernières propositions, le terme multimodal a manifestement recueilli les suffrages de la quasi totalité des juristes, et celui de combiné, ceux des opérateurs, peut-être simplement parce que ce dernier compte une syllabe de moins, et qu’il faut en matière commerciale, aller toujours très vite. Nous userons en conséquence indifféremment de l’un ou de l’autre de ces termes.

55. Premières réglementations de la matière — En 1975, la CCI a publié le fruit de ses travaux portant Règles uniformes pour un document de transport combiné[118]. Ces règles ont connu un franc succès auprès des ETM qui ont élaboré, à partir du modèle original, des polices-types de contrats de transports multimodaux[119].

Le 24 mai 1980, la CNUCED a adopté une Convention sur le transport multimodal international[120], qui prévoit essentiellement la responsabilité de plein droit de l’ETM depuis la prise en charge des marchandises jusqu’à leur livraison. Indirectement, ses préposés, mandataires et sous-traitants sont également responsables. Il s’agit d’une responsabilité pour faute ou négligence présumées, limitée dans son quantum avec des dispositions particulières suivant que lui soient imputés des pertes ou avaries d’une part, ou retards d’autre part[121]. Le texte n’est cependant pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications ou d’adhésions[122].

Pour faire face à ce retard à l’allumage, et à la fois moderniser les précédentes Règles de 1975, la CNUCED et la CCI se sont associées pour élaborer un nouveau corps de règles immédiatement applicables, reprenant pour l’essentiel, le contenu de la Convention CNUCED de 1980. Elles y parvinrent et adoptèrent le 11 juin 1991, les Règles applicables aux documents de transport multimodal (RDTM), qui furent publiées l’année suivante[123].

56. Objectifs des RDTM — La CNUCED et la CCI s’étaient assigné deux objectifs.

Le premier était de parvenir à concilier des intérêts contradictoires, à deux égards. D’une part, d’un point de vue institutionnel, ces règles ont été élaborées conjointement par la CNUCED et la CCI, la première étant plus proche des intérêts des Etats, la seconde, plus sensible aux prétentions des opérateurs commerciaux privés. Cette mixité originelle  est le gage d’un premier équilibre. Et d’autre part, les chirurgiens du texte avaient à concilier les intérêts des ETM avec ceux des chargeurs, en tenant compte des besoins de la pratique, bien que, à la suite d’Eric CAPRIOLI, l’on puisse regretter que si « ces règles devraient (…) avoir la faveur des pays chargeurs, les pays armateurs et les compagnies maritimes paraissent plus partagés »[124].

Le second objectif était de procéder à l’uniformisation des règles, à deux degrés : d’une part, en tentant d’unifier véritablement le régime juridique applicable aux documents de transports multimodaux, et d’autre part, en raison de la manifeste interaction des différents aspects d’une opération économique internationale (vente, transport, assurance, financement), en s’attachant à contribuer à l’uniformisation du droit commercial international dans son entier, transversalement, en veillant à la compatibilité des différents corps de règles, dès lors qu’ils sont appelés à cohabiter, par la force des choses, c’est-à-dire la réalité du marché[125].

57. Force obligatoire des RDTM — Les RDTM sont un matériau contractuel offert aux opérateurs pratiquant non seulement le transport multimodal proprement dit, mais encore à ceux ne pratiquant que le transport maritime, et même à ceux ne pratiquant que du transport unimodal (par opposition au multimodal)[126]. L’art. 2 définit ainsi le contrat de transport multimodal (pas forcément international, mais le plus souvent) : « le contrat de transport multimodal désigne un contrat unique pour le transport de marchandises par au moins deux modes de transport différents ». Elles n’acquièrent force obligatoire, inter partes, que si les parties ont choisi d’en faire leur loi contractuelle ; auquel cas, toute clause contraire aux dispositions des RDTM est nulle, à l’exception de celle qui aggraverait la responsabilité de l’ETM[127].

Dans ses rapports avec les droits nationaux et le droit international, en cas de conflit de règles, les RTDM s’inclinent devant les dispositions d’ordre public (art. 13).

Comme pour les RUUCD, il sera très bientôt possible de mesurer le degré d’application de ces règles par les opérateurs, et d’analyser les premiers fruits jurisprudentiels arbitraux et peut-être étatiques.

Au titre des codifications de la lex mercatoria, il nous faut encore évoquer les Principes relatifs aux contrats du commerce international, élaborés par l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT ou Institut de Rome[128]), plus communément appelés Principes d’UNIDROIT ou Principes UNIDROIT.

D. Les Principes UNIDROIT

58. Introduction — Les Principes UNIDROIT ou Principles of International Commercial Contracts (ci-après, les Principes) sont une merveille, un véritable Code de droit des obligations, mais un Code international[129]. Amorcés en 1971, les travaux d’élaboration de ce corpus de règles se sont vus couronner par l’approbation du Conseil de direction d’UNIDROIT, en mai 1994.

D’un point de vue méthodologique, les commentateurs des Principes, que sont BERAUDO, GIARDINA, KESSEDJIAN et LARROUMET, établissent chacun à leur manière un parallèle entre la mise en forme des Principes, et celle des Restatements[130]. Il est vrai que Principes et Restatements procèdent d’une œuvre de codification privée c’est-à-dire non étatique, non législative[131]. Sur la forme, il est vrai que Principes et Restatements exposent des règles, suivies de commentaires ampliatifs. Cependant, Catherine KESSEDJIAN regrette que les Principes n’aient pas été enrichis des Reporter’s notes, notes jurisprudentielles et doctrinales qui indiquent au juriste l’origine de la règle sus-énoncée[132]. Mais le souci de neutralité et de préservation du caractère « purement » international du texte, a peut-être enclin ses auteurs à ne pas faire référence à tel système de droit, de tel Etat, ou à telle jurisprudence arbitrale. Inversement, Catherine KESSEDJIAN en conclut, et elle n’a pas tort, que cette dissimulation des sources des règles exposées dans les Principes, ce manque de clarté, ternit au moins un peu leur image, ou, à tout le moins, rend leur éclat moins vif. Mais faut-il sacrifier l’homogénéisation des règles internationales sur l’autel de la publicité des solutions nationales, forcément particulières ? Nous ne le pensons pas. Les opérateurs, les arbitres, les juges, et peut-être les législateurs nationaux et internationaux en viendront-ils à plus ou moins long terme à faire leur, ce corps de règles, les consacrant ainsi de la plus belle des manières[133] ?

59. Objectif et intérêts des Principes — Le but des Principes est de proposer des solutions neutres, objectives équilibrées, tendant à régir, lato sensu, les contrats internationaux. Ces Principes, littéralement, transcendent la matière contractuelle. J.-P. BERAUDO l’exprime à sa manière en faisant valoir que les Principes constituent un « patrimoine commun au juriste d’entreprise, à l’avocat, à l’arbitre et au juge »[134]. Au travers de ces mots, transparaît une universalité certaine des Principes, une œuvre réellement transnationale.

A contrario, il s’agit ainsi de canaliser les différents législateurs, et de prévenir la diversification des systèmes et des règles contraires. Les Principes tentent d’attirer l’attention des législateurs vers la nécessité de construire des règles universelles, les échanges humains, à quelque niveau que ce soit, par la force des choses, se mondialisant un peu plus chaque jour. Or, force est de constater que les Principes ont atteint leur but. En effet, J.-P. BERAUDO note qu’ils édictent des « évidences ». « Mais, ajoute-t-il aussitôt, si le lecteur les perçoit ainsi, c’est qu’ils sont bons »[135] ! C.Q.F.D.

Quant à Andrea GIARDINA, elle ajoute à ce concert de louanges en observant que les Principes « ne manqueront pas d’apporter une contribution importante à la formation des règles généralement reconnues en matière de contrats internationaux »[136].

60. Champ d’application — Le Préambule des Principes est ainsi rédigé :

       « Les Principes qui suivent énoncent des règles générales propres à régir les contrats du commerce international.

       Ils s’appliquent lorsque les parties acceptent d’y soumettre leur contrat.

       Ils peuvent s’appliquer lorsque les parties acceptent que leur contrat soit régi par les « Principes généraux du droit », la « lex mercatoria » ou autre formule similaire.

       Ils peuvent apporter une solution lorsqu’il est impossible d’établir la règle pertinente de la loi applicable.

       Ils peuvent être utilisés afin d’interpréter ou de compléter d’autres instruments du droit international uniforme.

       Ils peuvent servir de modèle aux législateurs nationaux et internationaux. »

Leur champ d’application, ainsi défini, est on ne peut plus large, et c’est bien ainsi. C’est le corollaire de leur nature universelle.

61. Dispositions de fond — Nous ne saurions ici rendre toute la richesse du contenu des Principes. Aussi, renvoyons-nous le lecteur au texte des Principes.

Simplement, à titre de présentation générale au fond, nous ferons état en premier lieu, de quelques règles phares, que l’on n’ose appeler « principes » (sans majuscule !) :

—    le principe de la liberté contractuelle (art. 1.1) ;

—    le principe du respect des ordres publics (nationaux, supranationaux, internationaux) (art. 1.4) ;

—    le principe de bonne foi (art. 1.7 et 2.15) ;

—    le principe du respect par les parties des usages commerciaux (art. 1.8) ;

—    le principe de confidentialité (art. 2.16) ;

—    le principe de favor contractus[137] (art. 3.3) ;

—    le principe de la remise en état en cas d’annulation du contrat (art. 3.18) ;

—    …

62. Limites des Principes — Nous observerons en second lieu que la notion française de cause du contrat (art. 1131, s. du Code civil) a, en tant que telle, disparu[138]. Cependant, l’art. 3.1, c) des Principes précise que « les Principes ne traitent pas de l’immoralité ou de l’illicéité du contrat ». En d’autres termes, les parties sont renvoyées au droit national applicable soit choisi par elles, soit découlant de l’application des règles de conflit (que nous allons bientôt examiner), s’agissant de la nullité d’un contrat pour cause immorale ou illicite. Conformément aux dispositions de cet art. 3.1, les droits nationaux n’ont pas perdu tout leur empire : ils conservent à leur seule charge, les questions de capacité et de pouvoir [a) et b)] ; quant aux législateurs nationaux et internationaux, ils conservent le soin de statuer en matière de prescription[139].

63. Force obligatoire des Principes — D’une part, au regard des contrats internationaux, les opérateurs peuvent manifestement y recourir, en tout ou en partie, dès lors que, par définition, ils ne sont, pour l’heure, qu’un matériau contractuel[140] ; si bien qu’en l’état, en théorie, les parties pourraient valablement décider d’exclure tout article des Principes, en ce compris, ceux qui ne jouissent que d’un « caractère impératif auto-proclamé »[141]. De plus, se pose une question que nous avons déjà rencontrée : le renvoi à ce corps de règles par les parties contractantes, comme lex contractus, est-il exclusif de tout droit national ? Non, à deux égards[142]. En effet, les Principes eux-mêmes prévoient leurs propres limites, ainsi que nous venons de le voir. Donc, au mieux, les parties ne peuvent y avoir recours que pour partie de leurs relations contractuelles. Aussi, faudrait-il parler, de manière plus juste, de lois du contrat, au pluriel (« lois » au sens de règles). De plus, l’art. 1.4 des Principes prévoit que, en cas de conflit avec une règle quelconque d’ordre public, impérative (droits nationaux, supranationaux, international), les Principes devront s’incliner.

D’autre part, les arbitres peuvent recourir aux Principes[143], ainsi qu’il est dit aux alinéas 4 et 5 du Préambule ; sur ce point, il nous faut préciser que les arbitres de la CCI ne se sont pas privés d’appliquer les Principes UNIDROIT, et qu’ils leur ont brillamment accordé le crédit qu’ils méritent[144]. Se pose ici une question particulière : lorsque les arbitres feront application de ces règles, statueront-ils en équité ou en droit ? S’agissant de l’interprétation française, et au regard de l’arrêt précité, Valenciana, rendu par la Cour de cassation le 22 octobre 1991, il y a lieu de considérer que l’arbitre qui aura statué conformément aux dispositions des Principes UNIDROIT, aura statué en droit[145].

De troisième part, il est fort probable que les juges feront application des Principes, de leur propre chef, pour renforcer, surabondamment, la motivation de leur décision. Aussi, J.-P. BERAUDO, dont il faut rappeler que, notamment, il préside la Chambre commerciale de la Cour d’appel de Grenoble, interroge-t-il : « Pourquoi ne pas les appliquer puisqu’ils expriment la sagesse judiciaire ? »[146].

64. Comparaison avec les Principes de droit européen du contrat — Le professeur LANDO a présidé une Commission pour le droit européen des contrats, créée à l’instigation de la Commission européenne, et qui a débouché sur la publication de Principes de droit européen du contrat en 1997[147]. Qualifiés de « sorte d’esperanto du droit des contrats » par M. RAYNARD[148], la faiblesse majeure de cette construction réside dans la dualité de ses objectifs qui tendent, pour l’un, à proposer un matériau contractuel aux contrats internationaux, et pour l’autre, envisagé sur un même plan, à proposer ce même matériau aux réglementations nationales des contrats internes : en quelque sorte, l’objectif ambitieux était de proposer une réglementation universelle des contrats en général et européens en particulier. La doctrine les a reçus de façon très réservée, à l’exception de M. BASEDOW.

Pour notre part, ce travail présente le mérite de proposer une nouvelle trame contractuelle aux opérateurs du commerce international. Nouvelle ? Les Principes UNIDROIT les ayant précédés s’étant déjà magistralement livrés à cet exercice en matière de contrats internationaux, il n’est pas sûr du tout que les Principes européens améliorent la matière. Par ailleurs, il est bien délicat de prétendre régler de la même manière des litiges nés de l’inexécution de contrats internes et ceux nés de l’inexécution de contrats internationaux. De plus, les contrats internes relèvent en principe de leur droit national. Or, au stade de l’évolution du droit européen, il est quelque peu prématuré de prétendre uniformiser tous les droits nationaux européens des contrats. Mais l’objectif est fort louable et doit, au moins à ce titre, être salué. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’à moyen terme, la Commission européenne prenne l’initiative de créer, en s’inspirant des Principes européens, un Code européen de droit des contrats, en distinguant nettement les contrats internes (entre parties ressortissantes d’Etats membres de l’Union européenne) d’une part, et les contrats internationaux (entre parties ressortissantes d’Etats membres de l’Union et issues d’Etats tiers) d’autre part ; au point que nous ne partageons pas l’avis de Jacques RAYNARD qui estime que ces Principes européens ne seraient qu’« une lex mercatoria à la mode européenne »[149], et considérons au contraire que ces principes européens ne sont qu’un galop d’essai vers l’uniformisation européenne du droit des contrats, ce qui faciliterait les relations commerciales intra européennes, même s’il n’est pas exclu qu’en pratique, certains opérateurs soient tentés de s’en inspirer pour rédiger leurs contrats, ou encore, certains législateurs nationaux soient tentés de réviser certaines dispositions de leur droit national à la lumière de ce texte.

Arrivant au terme de notre classification des éléments de la lex mercatoria, après avoir envisagé les usages, les principes transnationaux, et les codifications, il reste à dire quelques mots sur le ciment de la lex mercatoria : la jurisprudence arbitrale.

§ 4. LE RÔLE UNIFICATEUR DE LA JURISPRUDENCE ARBITRALE INTERNATIONALE

65. Renvoi — Semblable à cette tour de marbre blanc, haute de 135 mètres, qui sur ordre de PTOLÉMÉE II PHILADELPHE, fut élevée sur l’île de Pharos et guida les navires de 285 av. J.-C. jusqu’en 1302 (hommage est ainsi rendu au phare d’Alexandrie), la Chambre commerciale internationale guide largement l’évolution du droit positif en matière commerciale internationale, notamment via ses sentences, dont un grand nombre fait l’objet de publications. En effet, l’activité arbitrale de la CCI ne résume pas toute l’activité de cette dernière. Elle œuvre également en matière de conciliation, de référé pré-arbitral, d’expertise, et de modernisation ou de création de textes. Mais c’est uniquement sous l’angle de sa Cour d’arbitrage, International Court of Arbitration, que nous entendions ici l’évoquer[150].

Mais l’arbitrage commercial international n’est pas la chasse gardée de la Court ; ainsi que nous le verrons infra, d’autres instances telle la Chambre arbitrale maritime de Paris, remplissent avec dextérité leur mission.

Sur la juridiction arbitrale proprement dite, nous effectuons un renvoi au chapitre suivant où d’amples développements lui seront consacrés.

Quant aux sentences arbitrales, elles illustreront notre propos, en tant que de besoin.

Pour terminer en point d’orgue ce bref paragraphe, nous citerons quelques mots révélateurs de Jean-Pierre BERAUDO, magistrat de l’ordre judiciaire :

« Le contentieux des contrats internationaux est plus souvent confié à des arbitres que dévolu à des juridictions nationales. Les sentences arbitrales constituent donc une source du droit plus significative que la jurisprudence des tribunaux. »[151]

Conclusion sur la lex mercatoria

66. Constat de son existence — La lex mercatoria, certes diffuse par ses sources diront les uns, incomplète par son contenu feront valoir les autres, existe néanmoins manifestement. Elle constitue un outil précieux d’adaptation rapide, presque synchronisée avec non pas la pratique, mais les pratiques du commerce international, en perpétuelle évolution. De plus, comme elle est issue d’esprits maîtrisant de façon quasi parfaite leurs domaines d’interventions, elle ne peut qu’être en adéquation avec l’efficacité, la justice et la loyauté qu’impliquent l’exercice du commerce international. A titre d’exemple, les RUU relatives aux garanties à première demande, ou celles relatives aux crédits documentaires, ne connaissent nul égal en droit interne, pas plus qu’en droit international. Alors, l’argument qui était utilisé par les détracteurs de la lex mercatoria pourrait se retourner contre eux : en matière de garanties à première demande et de crédits documentaires, ce sont les législations nationales et le droit international qui sont « incomplets ». Mais cette démarche vaine et inutile ne sera pas la nôtre. Simplement, nous estimons que si les droits nationaux et le droit international ont une place et un rôle incontestables dans la réglementation des contrats commerciaux internationaux, en revanche, leurs méthodes d’élaboration ne sont pas à même de rendre compte de l’extrême diversité des pratiques transnationales, qui, au nom de la liberté contractuelle, sauf violation d’une règle d’ordre public (encore faudrait-il préciser lequel…), ne peuvent qu’être validées. Le rôle de la lex mercatoria ne pourra jamais être supplanté par les méthodes classiques d’élaboration du droit. La lex mercatoria permet de canaliser par la méthode douce (comme les principes UNIDROIT, les RUU ou les INCOTERMS) les usages du commerce international, et constitue ainsi cet indispensable trait d’union entre le droit proprement dit (c’est-à-dire les droits nationaux et le droit international) et les pratiques libres par principe, des opérateurs du commerce international. La lex mercatoria existe ; elle vit au contact du commerce international ; et elle montre aux droits classiques, la ligne réglementaire qu’il conviendrait d’adopter en certaines matières, en cas de « légifération ». Nécessairement, la lex mercatoria aura toujours un temps d’avance sur le droit. Vouloir nier son existence reviendrait à tuer le cheval à la tête de l’attelage entraînant le phaéton de la réglementation internationale.

67. Systématisation de la lex mercatoriaLa lex mercatoria, grâce à d’importants efforts de codification en certaines matières, grâce au souci de mettre en place une véritable jurisprudence arbitrale internationale, dont le phare serait la CCI, grâce encore à des apports doctrinaux tels que ceux de MM. GOLDMAN, FOUCHARD, GAILLARD, prend progressivement corps, se précise peu à peu, telle la silhouette d’un clipper sortant de la brume[152].

 


[1] Lex mercatoria désigne, mot pour mot, la loi du commerce : lex, legem, pouvant signifier tout autant la loi, que le contrat, la convention (ce qui permet de tracer un lien entre la loi émanant du législateur et le contrat entendu comme loi des parties) ; mercator signifiant quant à lui, commerçant, négociant, et mercatorius, mercatoria, mercatorium, de marchand, ou de commerce.

[2] B. GOLDMAN, Frontières du droit et lex mercatoria, Archives de philosophie du droit, 1964, p. 177, s.

[3] B. GOLDMAN, Règles de conflits, règles d’application immédiate et règles matérielles dans l’arbitrage commercial international, Travaux du Comité français de DIP, 1966-1969, p.      ; B. GOLDMAN, La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalités et perspectives, Clunet 1979, p. 746, s. ; Michel VIRALLY, Un tiers droit ? Réflexions théoriques, in Le droit des relations économiques internationales, Paris, 1982, p. 373 s. et 381 s. ; B. GOLDMAN, Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria, l’affaire Norsolor, Revue de l’arbitrage 1983, p. 379 s. ; Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria, in Etudes LALIVE, 1993, p. 241, s.

[4] Jean-Denis BREDIN, La loi du juge, in Le droit des relations économiques internationales, Paris, 1982, p. 15, s. ; Paul LAGARDE, Approche critique de la lex mercatoria, in Le droit des relations économiques internationales, Paris, 1982, p. 135 s. ; A. KASSIS, Théorie générale des usages du commerce, Droit comparé, contrats et arbitrages internationaux, lex mercatoria, LGDJ, 1984 ; H. BATTIFOL et Paul LAGARDE, Droit international privé, tome 1, 7ème édition, LGDJ, spéc. p. 251, s.

[5] BREDIN, op. cit. spéc. p. 21, s.

[6] B. GOLDMAN, Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria, op. cit. spéc. n° 26, p. 406 ; v. aussi B. GOLDMAN, La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalité et perspectives, op. cit., p. 475 s. 

[7] Paul LAGARDE, Approche critique de la lex mercatoria, in Le droit des relations économiques internationales, op. cit. notamment pp. 133, 136 et 139.

[8] Formule empruntée à B. GOLDMAN, Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria, op. cit. spéc. n° 26, p. 406, in fine.

[9] Néanmoins, la societas mercatorum dispose manifestement :

— de ses propres institutions visant en particulier à codifier la lex mercatoria, mais également à en assurer l’application : v. B. GOLDMAN, Règles de conflits, règles d’application immédiate et règles matérielles dans l’arbitrage commercial international, op. cit., p.       ;

— mais aussi de certains moyens de coercition : v. B. GOLDMAN, Frontières du droit et lex mercatoria, op. cit. p. 177, ainsi que Philippe FOUCHARD, L’arbitrage commercial international, Paris, 1965, p. 466 s.

[10] H. BATTIFOL et P. LAGARDE, op. cit., p. 251.

[11] B. GOLDMAN, Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria, op. cit. p. 407.

[12] Pour une synthèse assez récente de la question, v. aussi, Emmanuel GAILLARD, Trente ans de Lex mercatoria. Pour une application sélective de la méthode des principes généraux du droit, JDI 1995, p. 5 à 30. Après avoir constaté que « pour suivre l’aventure de la lex mercatoria, il faut parler toutes les langues » (v. les nombreuses références étrangères citées), l’auteur, en toute objectivité (ce qui est rare pour les études consacrées à ce sujet), examine les utilisations contestables de ce qu’il convient d’appeler les « règles transnationales », puis fait état des applications légitimes de ces règles qui « résultent d’une méthode et non d’une liste » (n° 28, s. , p. 21, s.) ; enfin, logiquement, il s’intéresse à leur contenu en éclairant ladite méthode, faisant justement observer que « le support de droit comparé des règles transnationales n’a pas à être absolu » (n° 33, s. , p. 26, s.).

[13] Civ. 1ère, 30 mars 1999, Juris-Data n° 001371, Contrats, concurrence, consommation, juillet-août 1999, p. 13. En l’espèce, « un usage s’était instauré entre les parties, en relation d’affaires depuis plusieurs années », eu égard aux caractéristiques des marchandises vendues, et plus particulièrement, au caractère traité ou non traité de semences agricoles.

[14] NCPC, Livre IV (l’arbitrage), titre V (l’arbitrage international), art. 1492 à 1497.

[15] Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus… En conséquence, le Code civil ne distinguant pas entre les usages inter partes, les usages de la branche commerciale considérée, les usages internes ou les usages internationaux, il y a lieu de considérer qu’il vise les usages au sens le plus large.

[16] C. civ. art. 1159.

[17] C. civ. art. 1160.

[18] Uniform Commercial Code, section 1-205, § 2 : « On entend par « usages du commerce » une pratique ou une habitude observée si régulièrement dans un lieu, une profession ou une branche du commerce que l’on peut s’attendre à ce qu’elle soit observée dans la transaction en question ».

[19] En ce sens, v. Philippe FOUCHARD, L’Etat face aux usages du commerce international, Travaux du Comité français de DIP, 1973-1975, p. 71 à 102, spéc. p. 73.

[20] CE, 15 décembre 1972, Gaz. Pal. 1973.I.432. En l’espèce, les usages commerciaux en cause étaient relatifs à la dénomination des produits, pour la répression des fraudes.

[21] Sentence CCI, 1994, n° 7331, JDI 1995, p. 1001, s. et spéc. p. 1002. V. aussi, sentence CCI, 1979, n° 3267, JDI 1980.

[22] En la matière, la France est dotée d’une autorité de « nommage » (néologisme !), qui a élaboré une « charte de nommage » : l’AFNIC ou « Association française pour le nommage Internet en communication ».

[23] TGI Paris, 23 mars 1999, Gaz. Pal. 1999.III. n° 204, sommaires annotés, p. 50, note Marie Emmanuelle HAAS ; commentaire, Anne COUSIN, De la tradition et de la modernité, de la coutume sur Internet, Gaz. Pal. 2000, doctrine, p. 13. ; pour la procédure de référé antérieure à la procédure au fond, v. TGI Paris, ordonnance du 12 mars 1998, D 1998, IR, p. 173 ; CA Paris, ordonnance de référé du 4 décembre 1998, Gaz. Pal. 1999.II. n° 108 à 110, sommaires annotés, p. 50, note Marie Emmanuelle HAAS.

[24] Le terme « documentaire » nous semble convenir à la qualification de cette catégorie d’usages, dès lors que le terme instrumentum, en son troisième sens étymologique, désigne les actes, pièces, documents ; et c’est dans cette catégorie des usages documentaires que nous classerions la règle dite du « premier arrivé premier servi », comme relevant des usages du commerce à support électronique. Par ailleurs, il est intéressant de constater que les supports documentaires, dans l’histoire de l’homme auront connu, jusqu’à présent, une évolution en trois phases : une phase primitive qui est celle des rouleaux de papyrus, puis une phase moderne qui est celle des codex ou premiers livres, et enfin la révolution des documents à support électronique ou e-documents, e-books. Tout n’est qu’histoire de support…

[25] Ph. DELEBECQUE, op. cit. n° 147, p. 86 ; et aussi, E. GAILLARD, Trente ans de lex mercatoria Pour une application sélective de la méthode des principes généraux du droit, préc. spéc. p. 26.

[26] Ph. DELEBECQUE, ibid. p. 87, et la note 1.

[27] Le plus souvent seulement, car, ainsi que le relève notamment Emmanuel GAILLARD, « l’analyse de la pratique arbitrale révèle que certaines utilisations de (la méthode des règles transnationales) sont éminemment contestables, alors que d’autres apparaissent parfaitement légitimes ». L’auteur développe ensuite des exemples de chacun de ces deux aspects : ibid. n° 8, s. p. 9 s.

[28] V. en ce sens, Ph. DELEBECQUE, op. cit. n° 143, p. 83.

[29] Sur le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, v. notamment l’étude de G. DELAUME, JDI 1982, p. 775, s.

[30] Résolution de la session d’Athènes, septembre 1979, article 2 : RCDIP 1980, spéc. p. 427, in fine.

[31] Résolution de la session de Bâle, 31 août 1991, préambule, alinéa 4 : RCDIP 1992, spéc. p. 198.

[32] Sentence CCI, 1er septembre 1988, Rev. arb. 1990, p. 701 ; en appel : Paris, 13 juillet 1989, Rev. arb. 1990, p. 663, note P. LAGARDE ; RCDIP 1990, p. 305, note B. OPPETIT ; JDI 1990, p. 430, note B. GOLDMAN ; pourvoi en cassation : Civ. 1ère, 22 octobre 1991, RCDIP 1992, p. 113 à 116, obs. Bruno OPPETIT ; JDI 1992, p. 177 à 186, note B. GOLDMAN ; Rev. arb. 1992, p. 457 à 461, note P. LAGARDE.

[33] Sentence CCI, 1er décembre 1989 ; en appel : Paris, 24 janvier 1991, inédit.

[34] Paul LAGARDE, note sous Civ. 1ère, 22 octobre 1991, Rev. arb. 1992, spéc. n° 4, p. 460, in fine.

[35] D’une part, l’International Law Association (ILA) a formulé la « recommandation » suivante :

« Le fait qu’un arbitre international ait fondé une sentence sur des règles transnationales (principes généraux du droit, droit international, usages du commerce, etc.) plutôt que sur le droit d’un Etat déterminé ne devrait pas, à lui seul, affecter la validité ou le caractère exécutoire de la sentence :

(1) lorsque les parties se sont accordées pour que l’arbitre applique des règles transnationales ; ou

(2) lorsque les parties sont demeurées silencieuses sur le droit applicable. » ;

Et d’autre part, l’ILA  a invité le Comité à « poursuivre ses travaux sur le contenu et la mise en œuvre de règles transnationales spécifiques ». Rev. arb. 1994, p. 211 à 214, obs. Emmanuel GAILLARD, ès-qualité de Président du Comité de l’arbitrage de l’ILA ; v. aussi, B. OPPETIT, Les principes généraux en droit international privé, in Archives de Philosophie du droit 1987, tome 32, p. 179 ; Dominique BUREAU, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales, thèse sur microfiches, Paris II, 1992 ; Tangui VANDENPUT, La lex mercatoria, acte du séminaire sur les ventes internationales et les transports, tenu à LOUVAIN, 1991-1992, spéc. p. 9, s. ; Petra HAMMJE, La contribution des principes généraux du droit à la formation du droit international privé, thèse sur microfiches, Paris I, 1994 ; en faveur des principes transnationaux comme « garants de valeurs matérielles essentielles », la chronique d’Horatia MUIR WATT, Les principes généraux en droit international privé français, JDI 1997, p. 403 à 415, spéc. p. 410, s. et les références citées.

Nous ne sommes donc encore qu’au début de l’ère juridique transnationale…

[36] Il s’agit d’une application transnationale du vieil adage (les conventions doivent être respectées) hérité des Décrétales de Grégoire IX, I, 35, 1, et qui trouve de nombreuses autres applications, notamment à l’article 1134 du Code civil français. Cette règle porte les fondements de la morale contractuelle.

[37] Ph. KHAN, Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce international, JDI 1989, p. 305 à 327 ; P. MAYER, Le principe de bonne foi devant les arbitres du commerce international, Etudes LALIVE, p. 543.

[38] E. GAILLARD, L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du droit du commerce international, Rev. arb. 1985, p. 241 ; Ph. KHAN, Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce international, préc. ; P. BOWDEN, L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui (estoppel) as a substantive transnational rule in international commercial arbitration, Publication CCI 1993, p. 125 ; V. Philippe PINSOLLE, Distinction entre le principe de l’estoppel et le principe de bonne foi dans le droit du commerce international, JDI 1998, p. 905 à 931.

[39] Sur tous ces principes, v. Publication CCI n° 480/4, 280 p., 1994 ; Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, spéc. p. 825, s. ; J. PAULSSON, La lex mercatoria dans l’arbitrage CCI, Rev. arb. 1990, p. 55, s. et spéc. p. 78, s.

[40] V. AMAR et KIMBROUGH, Esprit de géométrie, esprit de finesse ou l’acceptation du mot raisonnable dans les contrats de droit privé américains, DPCI 1983, p. 43 à 56 ; Vincente FORTIER, Le contrat international à l’aune du raisonnable, JDI 1996, p. 315 à 379.

[41] Sur ces deux points, v. E. GAILLARD, présentation de la résolution de l’ILA précitée, rev. arb. 1994, spéc. p. 214.

[42] V. supra, n° XX.

[43] V. par ex. J. STOUFFLET, L’œuvre normative de la Chambre de commerce internationale dans le domaine bancaire, Etudes GOLDMAN, Litec 1982, p. 631, s.

[44] Les E-Terms seront des termes commerciaux internationaux électroniques : v. ICC, ETERMS Repository Guidebook, Draft v.0.2, International Commercial Policy and Techniques, Doc. N° E100/INT.3, november the 21rst. L’objectif des ETERMS est de constituer une base de données qui définira notamment des termes commerciaux sur le modèle des Incoterms, ainsi que des best practice rules (meilleures règles de pratique).

[45] Cost, insurance and freight (coût, assurance et fret, ou CAF), et Free on board (franco bord) ; sur ces Incoterms, v. infra, n° XXX et XXX.

[46] Delivered duty unpaid (rendu droits non acquittés) ; sur cet INCOTERM, introduit à l’occasion de la réforme de 1990, v. infra, n° XXX.

[47] CCI, Publication n° 325 ; v. infra, n° XXX, s.

[48] V. notamment F. EISENMANN et Y. DERAINS, La pratique des INCOTERMS, Jupiter LGDJ, 1988 ; Coralie GHYSELEN et Isabelle ZOMBECK, La problématique des ventes à l’embarquement, séminaire sur les ventes internationales et les transports, Louvain, 1991-1992, 134 p. ; Christophe GREGOIRE, Les ventes au débarquement, séminaire sur les ventes internationales et les transports, Louvain, 1991-1992, 43 p. ; Christian DIERYCK, Les INCOTERMS, thèmes et réflexions, séminaire sur les ventes internationales et les transports, Louvain, 1991-1992, 17 p. ; J. RAMBERG, INCOTERMS 1990 in relation to contracts of sale, carriage, insurance and financien, séminaire sur les ventes internationales et les transports, Louvain, 1991-1992, 38 p.

[49] Sur ces notions de chargeur, transporteur et intéressés au contrat de transport maritime, v. infra, n° XXX, s., XXX, s. et XXX, s.

[50] FI = free in = mise à bord à la charge du chargeur ;

FO = free out = frais de déchargement à la charge du réceptionnaire ;

FIO = free in & out = le taux de fret est exclusif des frais de chargement et déchargement du navire, qui demeurent respectivement à la charge du chargeur et du réceptionnaire de la marchandise.

Le terme FIO comporte deux variantes :

FIOS = free in & out & stowed = l’arrimage n’est pas non plus compris dans le taux de fret ;

FIOST= free in & out & stowed & trimmed = le nivelage des marchandises (vrac) n’est pas non plus compris dans le taux de fret.

Un taux de fret FIO ne comporte ainsi, que le prix du transport maritime, à l’exclusion des frais de manutention, étant entendu que le terme « manutention » ne vise strictement que les opérations réalisées dans le « périmètre du navire » (sur la relativité de la notion de périmètre du navire, notamment au regard des usages portuaires, v. LAMY, Transports, tome 2, op. cit., n° 559). Mais en raison de l’extrême complexité des phases de chargement et déchargement (les auteurs du LAMY recensent pas moins de 20 éléments pour la procédure de chargement d’un conteneur à l’exportation : v. n° 557), les hypothèses de répartition des coûts et des risques étant multiples, nous renvoyons le lecteur aux développements du LAMY qui tente de faire état des termes de fret les plus couramment pratiqués (v. n° 558 et tableau p. 379).

[51] Empotage et/ou chargement, pré-acheminement, formalités import, manutention départ, transport principal, assurance, manutention arrivée, douane import, post-acheminement, dépotage et/ou déchargement.

[52] Sur les clauses de réserve de propriété, v. infra, n° XXX, s.

[53] V. les formalités de publicité, par ex. suite à la cession d’un fonds de commerce (v. Y. GUYON, Droit des affaires, tome 1, 8ème éd. 1994, Economica, spéc. n° 705, p. 718, s.), d’un navire : il est nécessaire de porter sur la fiche matricule du navire, le nom du ou des nouveaux propriétaires, et la date de la cession (art. 88, s. du décret n° 67-967 du 27 octobre 1967) ; A. VIALARD, op. cit. n° 345, pp. 292 et 293 ; comp. sur la critique de la distinction entre le transfert de propriété et l’opposabilité aux tiers, les observations de J. FLOUR : « La distinction n’est-elle pas artificielle, dès lors que l’objet du contrat est de transférer ou de constituer un droit dont le propre est d’être opposable à tous ? Pour un contrat constitutif ou translatif de droit réel, il revient au même de ne pas exister ou de ne pas être opposable » : Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, Etudes RIPERT, LGDJ 1951, tome 1, p. 93, s., spéc. p. 102.

[54] Simplement, le Code civil indique que « l’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes » (art. 1138, alinéa 1er) ; en outre (alinéa 2), « elle rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée (…) ». Propriété, risques et livraison sont donc intimement liés… V. aussi : MALAURIE et AYNES, Les contrats spéciaux, Cujas 1994/1995, n° 252, p. 172.

[55] A. VIALARD, op. cit. n° 324, p. 278. Au paragraphe suivant (n° 325, et la note 2), notre professeur incline fortement en faveur de ce « découplage » du tandem propriété/risques, et propose une hypothèse avantageuse pour les chantiers navals : insérer au contrat de construction, une clause qui aura pour effet de transférer immédiatement la (totalité de la) propriété du navire au client armateur, en conservant la charge des risques ; ainsi, l’armateur étant propriétaire, le chantier naval, pour s’assurer de son paiement, peut faire inscrire une hypothèque maritime sur le navire en construction.

[56] Par ex., il est constant que les opérateurs Américains (des USA) affectionnent les Revised American Foreign Trade Definitions 1941 (RAFTD), qui prévoient notamment six variétés de ventes FOB « couvrant pratiquement tout l’éventail des Incoterms, depuis l’EXW jusqu’au DDP » ! (LAMY, op. cit. notamment, n° 196, b), p. 134.

[57] Suite à la réforme des services de manutention portuaire et à la création du nouveau « FOB Dunkerque », diligentées par Bruno VERGOBBI ès-qualité de Directeur général du port autonome, cette institution, malgré la perte du trafic trans-Manche, a connu en 1998, une hausse d’activité de 7,3  % et a accueilli 3.200 navires, soit une moyenne de 267 navires/jour, ce qui est considérable ; aussi, parmi les taux de croissance les plus spectaculaires, l’on citera une hausse de 47,8 % d’import de marchandises diverses (par conteneurs), et une hausse de 31,2 % d’export d’hydrocarbures (source : Annuaire statistique du Port autonome de Dunkerque 1998, éd. mars 1999, spéc. pp. 14 et 15).

[58] Ex Works, named place = vente départ usine, lieu convenu.

[59] Free Carrier, named place = vente franco transporteur, lieu convenu.

[60] Paul-Marie RIVOALEN (Directeur des transports de VALLOUREC & MANNESMAN TUBES), INCOTERMS 2000, nouvel instrument de concurrence portuaire, BTL 2000, pp. 26 et 27.

[61] Free Alongside ship, named port of shipment = vente franco le long du navire, port d’embarquement convenu.

[62] V. RAFTD précité. Les Américains connaissent également le term « III FAS » qui, selon le contexte contractuel, peut signifier : franco entrepôt, franco le long de la péniche, ou franco le long du wagon (v. LAMY, op. cit. n° 192, p. 130).

[63] Paul-Marie RIVOALEN, op. cit.

[64] Free on board, named port of shipment = vente franco bord, port d’embarquement convenu.

[65] Free on board, United Kingdom = vente franco bord, au départ d’un port quelconque du Royaume Uni.

[66] Cost and freight, named port of destination = vente coût et fret, port de destination convenu.

[67] Sur l’assurance sur facultés, v. infra, n° XXX.

[68] CFR landed = déchargement/mise à quai à la charge du vendeur ;

CFR customs duties paid = déchargement, puis droits de douane import à la charge du vendeur ;

CFR cleared = déchargement puis, droits de douane import, taxes consulaires et autres frais liés à l’importation à la charge du vendeur.

[69] Cost, insurance and freight, named port of destination = vente coût, assurance et fret (CAF en français), port de destination convenu.

[70] V. LAMY, op. cit. n° 220.

[71] Carriage paid to, named place of destination = vente port payé jusqu’au lieu de destination convenu.

[72] Carriage and insurance paid to, named place of destination = vente port et assurance payés jusqu’au lieu de destination convenu.

[73] Delivered at frontier, named place = vente « rendu » ou « livré » à la frontière (marchandises livrées à la frontière), au lieu convenu.

[74] Delivered ex ship, named port of destination = vente « rendu sur navire », au port de destination convenu.

[75] Delivered ex quay, named port of destination = vente « rendu à quai », au port de destination convenu.

[76] Delivered duty unpaid, named place of destination = vente « rendu droits non acquittés » au lieu de destination convenu.

[77] Delivered duty paid, named place of destination = vente « rendu droits acquittés » au lieu de destination convenu.

[78] Sur la notion fondamentale de livraison, v. infra, n° XXX, s.

[79] V. Uniform Commercial Code, art. 5. Toutefois, ce Code n’est pas applicable dans l’Etat de New York, et de surcroît, doit s’effacer en cas de conflit avec les RUUCD… ; v. sur ce dernier point : Carl-W-Funk, Harward Law Journal, Winter 1965, p. 88, s.

[80] Le terme mercatorial (néologisme de notre cru) est séduisant phonétiquement, et présente le double avantage, d’une part, de se nourrir essentiellement de la racine latine, évoquant directement pour le juriste, la lex mercatoria, et d’autre part, d’être directement utilisable en d’autres langues, notamment en anglais.

[81] La réforme de 1983 avait été un vaste chantier dans la mesure où elle s’était assignée plusieurs objectifs, d’ailleurs pleinement atteints : intégrer le crédit documentaire à paiement différé ainsi que le crédit stand by, et mettre à jour, à la lumière des nouvelles technologies, les articles relatifs aux documents de transport, aux modes d’établissement et de reproduction des documents.

[82] V. le texte des RUUCD ou RUU 500 : Publication CCI n° 500, ISBN 92.842.1155.7 (E), ISBN 92.842.2155.2 (F), disponible auprès de : ICC Publishing S.A., 38 cours Albert Ier, 75008 Paris ; v. aussi : Brochure CCI et AFB (Association Française des Banques) n° 511, relative aux modifications apportées par la nouvelle version des RUUCD, tendant à simplifier les Règles.

[83] Sur la distinction, v. RUU, art. 6, a), et la présomption (non pas légale mais mercatoriale) de ce que le contrat ne précisant pas si le crédit est révocable ou irrévocable, sera réputé irrévocable (art. 6, c). Notons également que, face au peu d’intérêt des opérateurs pour les crédits documentaires révocables, la version des RUUCD de 1993 a inversé l’ancienne présomption (RUU 400, art. 7) qui prévoyait au contraire que, dans le silence des parties sur ce point, le crédit documentaire serait présumé révocable.

[84] L’expression « engagement ferme » est issue de l’art. 9, a) des RUUCD.

[85] L’expression « authenticité apparente » est issue de l’art. 7, a), des RUUCD.

[86] V. KEEREN, Le crédit irrévocable, Revue de la Banque 1952, p. 452, s. ; J.-P. MATTOUT, Droit bancaire international, 2ème éd., spéc. n° 256-2, s., p. 206, s.

[87] Notons cependant que le terme apéritrice (qui vient du latin aperire signifiant ouvrir le chemin, donner un avis, inaugurer), est plus communément utilisé en matière d’assurances et plus particulièrement de coassurance (v. art. L. 352-1 et R. 351-2 et s. du Code des assurances) où effectivement, une seule société d’assurance devient le correspondant privilégié de l’assuré, parlant au nom (ouvrant le chemin…) de ses confrères coassurant le même client. Sur la coassurance, v. infra, n° XXX, s.

[88] J.-P. MATTOUT, op. cit. note 1, p. 205.

[89] RUUCD, art. 3, a) : « Les crédits sont, par leur nature, des transactions distinctes des ventes ou autre(s) contrat(s) qui peuvent en former la base. Les banques ne sont en aucune façon concernées ou liées par ce(s) contrat(s). (…) ».

[90] Contrairement à celui des cartes bleues, qui défraye la chronique, via la communication d’un code d’accès long de 96 chiffres, dont on disait qu’il était inviolable mais qui manifestement, circule librement sur l’Internet… v. notamment : Clause SOULA, interview de Charles COPIN, « Cartes à puces : panique dans les banques ! La carte à puce n’est plus inviolable. Sa technologie est dépassée », Nouvel Observateur, n° 1845 du 16 au 22 mars 2000, p. 84 ; et pour la première décision faisant application, notamment, des dispositions de l’art. 67-1 du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement, modifié (loi n° 91-1382 du 30 décembre 1991), disposant que seront punis d’un emprisonnement de sept ans et d’une amende de 5.000.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, « ceux qui auront contrefait ou falsifié une carte de paiement ou de retrait » : Tribunal correctionnel de Paris, 25 février 2000, D 2000, p. 219, s. obs. Xavier DELPECH.

[91] Sur le système SWIFT, du nom de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), société de droit belge, v. J.-P. MATTOUT, op. cit. n° 394, s., spéc. n° 397, s., p. 308 et 309, s.

[92] Zhicheng ZHU, Documentary credit practice in the People’s Republic of China, CCI, 12ème Conférence bancaire, 26 octobre 1989.

[93] Jean-Marc BENNAMAR estime ce seuil entre 50.000 et 200.000 FF, c’est-à-dire entre environ 7.620 et 30.490 euros (sur la base de conversion de 1 euro = 6,55957 FF) : Le crédit documentaire, Sefi 1997, p. 10.

[94] J.-P. MATTOUT, op. cit. n° 247, p. 196.

[95] En ce sens, v. J. STOUFFLET, op. cit., n° 107, s.

[96] V. le Commentaire officiel des Règles et Usances, Banque 1957, p. 65 et 189. Dans l’hypothèse où la banque émettrice n’aurait pas adhéré aux RUUCD, la Commission des Techniques et Pratiques bancaires de la CCI considère comme critère majeur d’appréciation, le lieu du paiement.

[97] Cass. com. 14 octobre 1981, D 1982, p. 301, obs. VASSEUR ; JCP 1982.II.19815, obs. Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET ; Banque 1982, p. 524, obs. MARTIN.

[98] « (…) on peut (…) considérer que (…), la Cour de cassation a entendu implicitement, mais quasi solennellement, (reconnaître aux RUUCD), à juste titre, le caractère de véritables règles coutumières, étant bien entendu qu’est donné ici à cette expression de « règle coutumière » son plein sens de règle de Droit, dégagée des pratiques habituellement suivies dans un milieu donné et obligatoire, indépendamment de toute intervention du législateur » : M. VASSEUR, op. cit. n° 1, p. 301.

[99] Doctrine : J. ESCARRA, Cours de droit commercial, Sirey, 1952, spéc. p. 994 ; EISENMANN et BONTOUX, Le crédit documentaire, 1976, spéc. p. 119, s. ; Y. DERAINS, JDI 1979, spéc. p. 1001 ; décisions au fond : v. par ex. Paris, 8 mars 1976, DMF 1976, p. 558 et RJC 1977, p. 72, note LE GUIDEC.

[100] V. les nombreuses références citées par Michel VASSEUR, D 1982, note 2, p. 302, dans sa note sous Cass. com. 14 octobre 1981 préc.

[101] V. la position du droit néerlandais, Hoge RAAD, RDAI 1985, p. 879, s.

[102] V. le Commentaire officiel des Règles et Usances, précité. V. sur ce point, J. STOUFFLET, Le crédit documentaire, spéc. n° 118, qui souligne le caractère indicatif de cet avis, en s’y ralliant toutefois.

[103] Sur la jurisprudence arbitrale anglaise en matière de crédit documentaire, v. J. STOUFFLET, op. cit. n° 96, s.

[104] V. J.-P. MATTOUT, op. cit. n° 197, p. 146.

[105] Idem, n° 197 et 198, p. 146 à 149.

[106] Idem, n° 200, p. 150, s. Sur les circonstances particulières de l’apparition des lettres de crédit stand by, en réaction à l’interdiction d’émettre des cautionnements, dont avaient été frappées les banques américaines (principe de no-guaranty), v. notamment B. et D. WUNNICKE, Stand-by letters of credit, éd. Wiley 1993, et J. RIGGS, La lettre de crédit « stand-by » en tant que garantie bancaire aux Etats-Unis, RDAI 1990, p. 393, s.

[107]

[108] CCI, Publication n° 325 ; DPCI 1980 p. 713.

[109] J.-P. MATTOUT, op. cit. p. 151.

[110] V. Paris, 13 décembre 1984, Banque 1985, p. 93, obs. RIVES-LANGES ; puis sur pourvoi : Cass. com. 10 mars 1987, D 1987.IR.172, obs. VASSEUR ; v. aussi Sentence CCI n° 5639, JDI 1987, p. 1054.

[111] CCI, Publication n° 458, mai 1992.

[112] J.-P. MATTOUT, op. cit., n° 200 bis, p. 152. L’auteur ajoute que les RUUGD « apportent également des solutions satisfaisantes à de nombreux problèmes tels que les demandes de prorogation ou de paiement (art. 26), le droit applicable (art. 27), la durée de l’engagement (art. 18 et 22). (…) On pourra cependant regretter que le régime de la contregarantie n’ait été traité que par ellipse ».

[113] RUUGD, art. 2, b).

[114] J.-P. MATTOUT, op. cit. n° 203, p. 155.

[115] V. Eric A. CAPRIOLI, Le crédit documentaire, évolutions et perspectives, Paris, Litec 1992, Bibl. de droit de l’entreprise, tome 27.

[116] L. PEYREFITTE, Le régime juridique des transports combinés de marchandises, DMF 1973, p. 643 à 649, et 707 à 711.

[117] M. REMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, Pédone 1988, n° 601, note 44. En son sens, nous ajouterons que, d’un point de vue étymologique, la racine latine inter signifie : entre, dans, au milieu de, dans l’espace de, parmi. Appliqué à l’économie, qui met l’accent sur les liens entre les opérateurs économiques, le préfixe inter a sa place. Appliqué à un transport que l’on veut juridiquement unifié, et non pas morcelé, le préfixe inter, non seulement produit l’effet inverse au but recherché, mais encore, ne semble désigner, dans le temps, que les moments précis où la marchandise change de mode de transport, cette dernière étant entre deux modes de transport… Le terme « intermodal » ne pouvait effectivement qu’être rejeté.

[118] CCI, Publication n° 298. V. également, sur les travaux antérieurs d’UNIDROIT et du CMI (Comité maritime international) : H. SCHADEE, Petite polémologie sur le dernier projet de Convention internationale sur le transport international combiné de marchandises, DMF 1970, p. 540, s. ; C. LEGENDRE, La Conférence de Tokyo du CMI, DMF 1969, p. 451 à 456 et 515 à 517 ; texte du projet CMI : DMF 1969, p. 467, s.

[119] V. par ex. le connaissement FIATA, ou encore le connaissement négociable BIMCO, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

[120] Juris-Classeur com. V° Transport combiné, fasc. 856. V. aussi les observations sceptiques du Doyen RODIERE vis-à-vis de ce texte : DMF 1981, p. 6. L’art. 1er, § 1, de la Convention, définit le transport multimodal international comme « le transport de marchandises effectué par au moins deux modes de transport différents, en vertu d’un contrat de transport multimodal, à partir d’un lieu situé dans un pays où les marchandises sont prises en charge par l’ETM jusqu’au lieu désigné par la livraison dans un pays différent ».

[121] En cas de perte ou d’avarie, la responsabilité est limitée à 920 DTS/colis ou 2,75 DTS/kg de poids brut des marchandises ; en cas de retard à la livraison, la responsabilité est limitée à 2,5 fois le montant du fret pour les marchandises ayant subi le retard, sans excéder le montant total du fret.

[122] C’est pour cette raison que nous ne l’avons pas évoquée supra dans la sous-section 2 relative au droit international uniforme.

[123] CCI, Publication n° 481.

[124] Eric A. CAPRIOLI, Considérations sur les nouvelles Règles CNUCED/CCI applicables aux documents de transport multimodal, DMF 1993, p. 204, s., spéc. p. 224.

[125] Eric A. CAPRIOLI, op. cit., conclut ainsi sa chronique (pp. 221 et 224) : « Le document de transport multimodal, tel qu’il est régi par les nouvelles règles, est acceptable par la communauté commerciale internationale. Les Incoterms 1990 de la CCI n’ont-ils pas été révisés pour partie à cause des changements techniques de transport se traduisant par l’acheminement multimodal ? De sorte que ce sont pas moins de sept termes qui correspondent à tous les modes de transport y compris le multimodal (EXW, FCA, CPT, CIP, DAF, DDU, DDP). Outre cela, l’acceptation du texte par la communauté bancaire internationale ne laisse planer aucun dote ; les règles ont été conçues pour être compatibles avec les futures RUU 500 (qui ont été adoptées officiellement en 1993) sur le crédit documentaire de la CCI. Pour preuve, l’art. 26 du projet définitif est entièrement consacré au document de transport multimodal. (…) ».

[126] Eric A. CAPRIOLI, op. cit. p. 208.

[127] Idem.

[128] Pour deux présentations brillantes (en ce sens qu’elles rendent hommage à ses œuvres depuis sa création) de l’organisation internationale intergouvernementale UNIDROIT, v. Jean-Paul BERAUDO, Les Principes d’UNIDROIT relatifs au droit du commerce international, JCP 1995.I.3842, spéc. n° 2, p. 189 ; et Catherine KESSEDJIAN, Un exercice de rénovation des sources du droit des contrats du commerce international : les Principes proposés par l’UNIDROIT, RCDIP 1995, p. 641 à 670, spéc. n° 2 à 5, pp. 643 et 644 puis : La charte constitutive de l’UNIDROIT, n° 11 à 22, p. 647 à 652.

[129] « Le résultat est un véritable Code des contrats internationaux », J.-P. BERAUDO, op. cit. n° 6.

[130] Des Restatements [de l’anglais restate (exposer, énoncer de nouveau), lui-même provenant du latin re (reprise, répétition), et de l’anglais state (déclarer, énoncer, spécifier), ce dernier provenant du latin statuo signifiant mettre en évidence, exposer, statuer, ordonner], Christian LARROUMET donne, selon nous, la définition la plus satisfaisante : ce sont des « compilations privées » qui reflètent « le droit positif tel qu’il résulte des décisions les plus remarquables de la jurisprudence de plusieurs Etats membres de la fédération nord-américaine » (La valeur des Principes d’Unidroit applicables aux contrats du commerce international, JCP 1997.I.4011) ; en d’autres termes, aux USA, un Restatement est un codex de règles jurisprudentielles qui reprend en les énonçant, les solutions essentielles propres à une matière donnée : ainsi, les Américains disposent-ils d’un Restatement of contracts.

[131] Les Restatements sont l’œuvre de l’American Law Institute.

[132] C. KESSEDJIAN, op. cit. n° 8, et note 14, p. 646.

[133] J.-P. BERAUDO est sur ce point, très optimiste : lire ses observations, op. cit. spéc. n° 23, 28 et 32.

[134] J.-P. BERAUDO, op. cit. n° 32.

[135] J.-P. BERAUDO, op. cit. n° 28.

[136] Andrea GIARDINA, Les Principes UNIDROIT sur les contrats internationaux, JDI 1995, p. 547 à 558 (spéc. p. 558), chronique suivie du texte des règles (sans les commentaires), p. 559 à 584.

[137] A la lumière des difficultés inhérentes à la négociation et à la conclusion d’un contrat international, le favor contractus est la faveur, la protection accordée au contrat, afin d’éviter de le voir annuler ipso facto, dès que l’une des parties était, au moment de sa formation, dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations, ou ne disposait pas des biens qui en faisaient l’objet.

[138] J.-P. BERAUDO, op. cit. n° 6.

[139] A. GIARDINA, op. cit. p. 556, s.

[140] V. C. KESSEDJIAN, op. cit. n° 31 à 37.

[141] A. GIARDINA, op. cit. p. 550.

[142] Para : C. LARROUMET, op. cit. spéc. n° 17, p. 149. Contra : en faveur du contrat sans loi : AUDIT, Droit international privé, n° 794, p. 620.

[143] Sur le recours au Principes de « ceux qui sont amenés à trancher les litiges du commerce international », en d’autres termes, arbitres et juges, v. C. KESSEDJIAN, op. cit. n° 38 à 45.

[144] V. les observations de Fabrizio MARRELLA et Fabien GELINAS : Les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international dans l’arbitrage de la CCI, BCIACCI vol. 10 / n° 2, 2ème semestre 1999, p. 26. Les auteurs développent successivement quatre thèmes : les Principes en tant que droit régissant un contrat international (I), les Principes comme moyen de compléter et d’interpréter le droit national applicable (II), les Principes comme moyen de compléter et d’interpréter des Conventions internationales (III), et l’exclusion des Principes (IV). Le Bulletin de la CIACCI publie ensuite des extraits des principales sentences rendues en la matière (pp. 34 à 112), ainsi qu’une importante bibliographie sur le sujet (pp. 113 à 122), auxquels nous renvoyons vivement le lecteur.

[145] Sur l’arrêt Valenciana, v. supra, n° XXX. Comp. les observations de A. GIARDINA sur la probable réception des Principes en Belgique, Suisse et Italie : op. cit. pp. 552 et 553.

[146] J.-P. BERAUDO, op. cit. n° 28, § 1, in fine.

[147] Documentation française, Paris, 1997.

[148] J. RAYNARD, Les Principes du droit européen du contrat : une lex mercatoria à la mode européenne, RTDciv. 1998, p. 1006, s. ; v. aussi, Ch. JAMIN, Un droit européen des contrats, in Le droit privé européen, Colloque de Reims, 30 janvier 1997, Economica 1998, p. 54 s. ; J. BASEDOW, Un droit commun des contrats pour le marché commun, RIDC 1998, n° 1 (ce dernier auteur est favorable aux Principes européens et plaide pour l’adoption d’un tel Code européen des contrats, sur le fondement des dispositions de l’art. 100, a, du Traité de Rome).

[149] J. RAYNARD, op. cit. titre de ses observations.

[150] Site Internet de la CCI : http://www.iccwbo.org

[151][151] J.-P. BERAUDO, Les Principes d’UNIDROIT relatifs au droit commercial international, op. cit. n° 3, p. 189. Dans le même sens, Yves FORTIER (Président de la London Court of International Arbitration), La diplomatie et l’arbitrage, Les Annonces de la Seine, n° 51 du 12 juillet 1999, p. 1 à 6, et spéc. p. 4, 2ème colonne : « Les différends commerciaux internationaux entre parties privées sont, dans la grande majorité des cas, soumis à l’arbitrage ».

[152] Les clippers étaient de solides et rapides voiliers à mâture puissante (jusqu’à cinq mâts), destinés au transport de marchandises, qui (avant d’être détrônés par les navires à vapeur) reliaient l’Angleterre à la Chine, ainsi que les deux côtes des Amériques en affrontant la grosse mer du cap Horn (avant l’ouverture du canal de Panama).