Cédric BERNAT, Docteur en Droit – Société d'Avocats LEX CONTRACTUS – Notre site : www.lexcontractus.fr

25 mars 2010

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : les contrats proches du CONNAISSEMENT MARITIME

    

Avertissements : 

Les développements qui suivent sont issus de notre Thèse de Doctorat.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

             

1250. Division Parmi les contrats de transports de marchandises par mer, outre le connaissement, la lettre de transport maritime ou sea waybill suscite un intérêt certain de la part des opérateurs, en raison de ses spécificités qui la distinguent du connaissement et qui peuvent correspondre à certaines attentes des opérateurs[1].

En pratique, « le tonnage total de marchandises acheminées en conteneurs maritimes[2], et donc potentiellement multimodalisées, se situe aujourd’hui autour de 500 millions de tonnes, soit 10 % seulement du volume de toutes les marchandises échangées par voie maritime, mais 45 % de la valeur du commerce mondial, soit plus de 3.000 milliards $ (2.560 milliards d’Euros) » ; le « total mondial des conteneurs manutentionnés s’élève au-dessus de 150 millions d’unités », et « l’essor du conteneur se poursuit depuis sa création il y a trente ans à un rythme plus rapide que la croissance des échanges mondiaux »[3]. Aussi, importe-t-il de s’interroger sur le régime applicable à ce mode de transport (A) ; mais l’étude de la notion de transport multimodal ne serait pas complète si on ne la distinguait pas de deux expressions proches : connaissement de transport multimodal (B) et connaissement direct (C).

A.   Le contrat de transport multimodal : première approche

 

1251. Division A part une Convention des Nations Unies de 1980, qui n’entrera jamais en vigueur, le droit positif international est, à ce jour, dépourvu de tout texte portant droit uniforme en matière de transport multimodal de marchandises. Pour pallier au moins en partie cette lacune, la CCI et la CNUCED ont élaboré un régime possible de l’entrepreneur de transport multimodal (ETM), offert aux opérateurs (1). On notera que la BIMCO[4] a également offert aux opérateurs un contrat-type intitulé COMBIDOC (révisé en 1977)[5]. Cependant, le vide juridique d’un droit uniforme subsiste et peut susciter certaines propositions (2). Enfin, concrètement, en pratique, quel est, à ce jour, le régime applicable aux ETM (3) ?

1. Genèse des Règles applicables aux documents de transport multimodal (Règles CNUCED-CCI de 1991)

 1252. Notion de transport combiné ou multimodal — Dans les années 1960, avec le développement de la conteneurisation, sont apparus de nouveaux termes contractuels, en dehors du découpage classique d’un transport de bout en bout, où chaque fraction du voyage (ferroviaire, maritime, fluviale, routière, aérienne) relevait d’un régime juridique propre. Depuis, une profession particulière, celle des entrepreneurs de transport multimodal (ETM), a pris en charge la réalisation de transports internationaux de bout en bout, sans rupture de charge, sous un titre de transport unique, et un régime juridique qu’il restait à unifier[6].

Mais encore fallait-il conceptualiser ce type de transports. Des termes ont été proposés : transport intermodal, mixte, combiné, multimodal. Martine RÈMOND-GOUILLOUD a justement fait observer que le terme « intermodal » présentait « une connotation plus économique »[7]. Quant au terme mixte, il est, selon nous, trop général, trop générique, dans la mesure où il n’évoque pas forcément directement le transport mettant en œuvre plusieurs modes de transport successifs sous un régime unique. Au contraire l’expression transport mixte nous paraît renvoyer à l’activité d’un navire transportant à la fois des passagers et des marchandises. Quant aux deux dernières propositions, le terme multimodal a manifestement recueilli les suffrages de la quasi totalité des juristes, et celui de combiné, ceux des opérateurs, peut-être simplement parce que ce dernier compte une syllabe de moins, et qu’il faut en matière commerciale, aller toujours très vite. Nous userons en conséquence indifféremment de l’un ou de l’autre de ces termes. 

 

1253. Premières réglementations de la matière — En 1975, la CCI a publié le fruit de ses travaux portant Règles uniformes pour un document de transport combiné[8]. Ces règles ont connu un franc succès auprès des ETM qui ont élaboré, à partir du modèle original, des polices-types de contrats de transports multimodaux[9].

Le 24 mai 1980, à Genève, la CNUCED a adopté une Convention sur le transport multimodal international[10], qui prévoit essentiellement la responsabilité de plein droit de l’ETM depuis la prise en charge des marchandises jusqu’à leur livraison. Indirectement, ses préposés, mandataires et sous-traitants sont également responsables. Il s’agit d’une responsabilité pour faute ou négligence présumées, limitée dans son quantum avec des dispositions particulières suivant que lui soient imputés des pertes ou avaries d’une part, ou retards d’autre part[11]. Le texte n’est cependant pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications ou d’adhésions[12].

Pour faire face à ce retard à l’allumage, et à la fois moderniser les précédentes Règles de 1975, la CNUCED et la CCI se sont associées pour élaborer un nouveau corps de règles immédiatement applicables, reprenant pour l’essentiel, le contenu de la Convention CNUCED de 1980. Elles y parvinrent et adoptèrent le 11 juin 1991, les Règles applicables aux documents de transport multimodal (RDTM), qui furent publiées l’année suivante[13]. 

 

1254. Objectifs des RDTM — La CNUCED et la CCI s’étaient assigné deux objectifs.

Le premier était de parvenir à concilier des intérêts contradictoires, à deux égards. D’une part, d’un point de vue institutionnel, ces règles ont été élaborées conjointement par la CNUCED et la CCI, la première étant plus proche des intérêts des Etats, la seconde, plus sensible aux prétentions des opérateurs commerciaux privés. Cette mixité originelle  est le gage d’un premier équilibre. Et d’autre part, les chirurgiens du texte avaient à concilier les intérêts des ETM avec ceux des chargeurs, en tenant compte des besoins de la pratique, bien que, à la suite d’Eric CAPRIOLI, l’on puisse regretter que si « ces règles devraient (…) avoir la faveur des pays chargeurs, les pays armateurs et les compagnies maritimes paraissent plus partagés »[14].

Le second objectif était de procéder à l’uniformisation des règles, à deux degrés : d’une part, en tentant d’unifier véritablement le régime juridique applicable aux documents de transports multimodaux, et d’autre part, en raison de la manifeste interaction des différents aspects d’une opération économique internationale (vente, transport, assurance, financement), en s’attachant à contribuer à l’uniformisation du droit commercial international dans son entier, transversalement, en veillant à la compatibilité des différents corps de règles, dès lors qu’ils sont appelés à cohabiter, par la force des choses, c’est-à-dire la réalité du marché[15]. 

 

1255. Force obligatoire des RDTM — Les RDTM sont un matériau contractuel offert aux opérateurs pratiquant non seulement le transport multimodal proprement dit, mais encore à ceux ne pratiquant que le transport maritime, et même à ceux ne pratiquant que du transport unimodal (par opposition au multimodal)[16]. L’art. 2 définit ainsi le contrat de transport multimodal (pas forcément international, mais le plus souvent) : « le contrat de transport multimodal désigne un contrat unique pour le transport de marchandises par au moins deux modes de transport différents ». Elles n’acquièrent force obligatoire, inter partes, que si les parties ont choisi d’en faire leur loi contractuelle ; auquel cas, toute clause contraire aux dispositions des RDTM est nulle, à l’exception de celle qui aggraverait la responsabilité de l’ETM[17].

Dans ses rapports avec les droits nationaux et le droit international, en cas de conflit de règles, les RTDM s’inclinent devant les dispositions d’ordre public (art. 13).

Comme pour les RUUCD, il sera très bientôt possible de mesurer le degré d’application de ces règles par les opérateurs, et d’analyser les premiers fruits jurisprudentiels arbitraux et peut-être étatiques.

         

2. L’absence de Convention internationale (efficace)

1256. Constatation d’un vide législatif — Si l’on excepte la Convention de Genève du 24 mai 1980, qui n’est pas entrée en vigueur et n’y entrera probablement jamais, le transport multimodal, à ce jour, à la différence des modes de transports spécifiques (maritime, aérien, ferroviaire, routier), n’est l’objet d’aucune disposition impérative sous le sceau d’un véritable texte international[18] ; car, rappelons-le, les Règles CNUCED-CCI de 1991 ne sont qu’un matériau contractuel offert au consentement libre des parties. Quant aux dispositions éparses, presque « accidentelles », dénichées ici et là, dépareillées (comme celle évoquée par la Professeur BONASSIES dans l’art. 2 de la Convention de Genève de 1956 sur le transport routier ou CMR[19] ou dans l’art. 31 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 sur le transport aérien[20]), elles ne permettent pas, selon nous, de dégager avec suffisamment de certitude, un régime uniforme du transport multimodal, qui soit un régime de compromis, réconciliant les thèses en présence.

1257. Quel remède contractuel ? — Face à ce vide, outre la juxtaposition de contrats distincts[21], deux possibilités s’offrent aux juristes en quête d’un droit applicable à l’opération complexe de transport multimodal :

1°) soit un découpage de l’opération, par tranches de modes de transport (la Convention sur les transports maritimes sera applicable à la phase maritime, la Convention sur les transports aériens sera applicable à la phase aérienne, etc…)[22] ;

2°) soit la soumission de l’ensemble de l’opération à un régime unique[23], mais lequel ?

La première branche de l’option, dont le connaissement direct est une illustration[24], n’est guère satisfaisante. En effet, s’il n’est pas possible, à l’issue des expertises, de déterminer le moment auquel le dommage aux marchandises est survenu, la responsabilité de quel transporteur particulier faudra-t-il rechercher ? Nous pensons que la question ne se pose pas ainsi. D’une part, l’organisateur du transport multimodal agit, en quelque sorte, comme un commissionnaire de transport ; et l’on sait les incidences de régime qu’une telle qualification (ou requalification) implique. D’autre part, va se poser la question de savoir si les transporteurs (réels) successifs ont, ou non, pris des réserves, au moment où ils ont pris personnellement en charge les marchandises ; et l’on sait qu’en l’absence de réserves, le transporteur est présumé avoir reçu des marchandises conformes aux mentions les désignant figurant sur le document de transport. Donc, en droit, on parviendra toujours à déterminer un opérateur « responsable », même si cette responsabilité juridique ne correspond pas à la réalité des circonstances de réalisation de la perte ou des dommages, dans l’hypothèse où ces circonstances sont demeurées inconnues ou n’ont pu être prouvées. Dans ce cas, la fiction juridique viendra pallier la méconnaissance des circonstances de réalisation des dommages, et permettra (sauf liquidation judiciaire du déclaré « responsable ») d’indemniser les ayants-droits aux marchandises, ou tout autre personne ayant souffert du dommage (comme un assureur subrogé ou un vendeur qui aura expédié un second lot de marchandises pour remplacer le premier qui a été avarié ou perdu).

Mais, si le juge ou l’arbitre parvient toujours à une solution, cette première branche de l’option (le découpage du régime), présente un avantage majeur : l’imprévisibilité du régime d’indemnisation (notamment, quelle sera la limitation de responsabilité applicable ?), pour la ou les victimes potentielles. Il est donc souhaitable d’envisager la seconde branche.

Il faudrait donc dégager un régime juridique unique régissant tout le transport, quel qu’en soit le mode, en cas de transport multimodal ; oui, mais lequel ? Sur cette question, comme l’on se trouve face à un vide presque total, l’enthousiasme des juristes face à un terrain presque vierge aidant[25], on peut trouver des dizaines d’opinions, chacune avec des nuances plus ou moins justifiées, et parfois, plus ou moins contraires. Faut-il s’inspirer, comme le suggère le Professeur BONASSIES, de la seconde partie de la Convention de Genève de 1980 ? Faut-il croiser ces considérations avec les Règles CNUCED-CCI de 1991 ? Faut-il aussi éclairer cette réflexion du régime du commissionnaire de transport français, distinct du « commissionnaire-expéditeur » belge (comme on a tenté de le faire lors du colloque précité des Associations française et belge de droit maritime de janvier 1999) ? La question est d’une riche complexité.

1258. De lege ferenda… — Mais, au-delà de cette question sur un hypothétique régime unique du transport multimodal, ne pourrait-on pas former le vœu que, après qu’eut été dégagé un droit commun applicable à tous les modes de transport de marchandises, ce même droit commun apporterait une réponse au régime de base du transport multimodal de marchandises, et que, comme pour les modes spécifiques de transport, d’autres règles, complémentaires, mais spécifiques, pourraient être ciselées en vue de parfaire le dispositif ? En d’autres termes, le droit commun des transports de marchandises ainsi dégagé servirait de terreau à tous les régimes spéciaux, de la même manière qu’en droit des régimes matrimoniaux, les époux sont d’abord soumis à un régime de base obligatoire, lequel est complété par un régime spécial, choisi par eux.

3. Quel régime pour le contrat de transport multimodal ?

1259. Le régime dépend de la lex contractus — A titre liminaire, on rappellera qu’à l’instar de tout autre contrat commercial international, les contrats de transport multimodal (qui peuvent prendre la forme d’un connaissement multimodal en cas d’émission, par exemple, par une compagnie maritime) sont soumis à la loi d’autonomie, ou à défaut, par la loi désignée par la règle de conflit applicable, et, naturellement, le régime de ce type particulier de contrat peut varier suivant la norme finalement applicable.

1260. Le droit positif français sous l’attraction du régime du commissionnaire de transport — Madame LACASSE, entreprenant de définir les contours du régime de droit commun de l’ETM, après avoir pris le soin de distinguer notamment le contrat de commission de transport, du contrat de transport[26], souligne l’évidente attraction exercée par le régime du commissionnaire de transport sur celui de l’entrepreneur de transport multimodal[27].

Toutefois, le Professeur BONASSIES différencie le commissionnaire de transport de celui qu’il qualifie non pas d’ETM mais d’OTM (organisateur de transport multimodal), au motif que l’OTM, à la différence du commissionnaire de transport, « n’est pas garant des pertes et avaries subies par les marchandises » ; « de plus, tout en ayant à charge l’organisation du transport, l’OTM peut alléger fortement sa responsabilité, ce qui en fait un système très souple »[28]. Si l’attraction exercée par le régime des commissionnaires de transport est donc incontestable, elle est toutefois relative.

1261. Un terrain largement abandonné à la liberté contractuelle — Ainsi que l’observait justement Monsieur BOKALLI en 1989, et ses travaux sont, de ce point de vue, toujours d’actualité, à défaut de toute « réglementation uniforme et impérative du transport multimodal international des marchandises », il appartient aux opérateurs de choisir leurs propres « aménagements contractuels » pour adopter un système de responsabilité de l’ETM[29].

Notamment, les parties contractantes pourront opter pour l’extension d’un régime de responsabilité existant[30] (par exemple, celle du transporteur maritime), ou la création d’un régime autonome de responsabilité (responsabilité sui generis) prévoyant soit une responsabilité « allégée » soit une responsabilité « aggravée » de l’ETM[31].

B.   Distinction du contrat de transport multimodal et du connaissement de transport multimodal

 

1262. Le genre et le mode — Simplement, le connaissement de transport multimodal n’est qu’un mode de contrat de transport multimodal. Le contrat de transport multimodal peut être émis par de nombreux opérateurs (commissionnaires de transport, NVOCC, transitaires, transporteurs routier, ferroviaire, aérien, maritime…). En revanche, le connaissement de transport multimodal n’est émis que par un transporteur maritime (ou, du moins, par la compagnie exploitant commercialement le navire).

1263. Précision sur le droit de livraison réservé au détenteur d’un exemplaire du connaissement multimodal ou à l’opérateur qui fournit une lettre de garantie — En principe, lorsque est émis un connaissement de transport multimodal, comme pour les connaissements maritimes classiques, seul le détenteur du titre peut légitimement solliciter la livraison des marchandises, des mains du transporteur.

Dans l’affaire Diana[32], un commissionnaire intermédiaire apparaissait comme chargeur dans un connaissement multimodal maritime, et ce commissionnaire était resté en possession des deux exemplaires du connaissement, puisqu’il craignait pour le recouvrement du fret (dont il avait fait l’avance) auprès du commissionnaire principal (lequel s’est effectivement retrouvé en liquidation). Dans le même temps, ledit commissionnaire principal, pour se conformer au crédit documentaire ouvert par une banque iraquienne, a émis des connaissements FIATA[33] visant les mêmes marchandises, conteneurisées, à raison d’un connaissement par conteneur, et le destinataire réel (acheteur CAF[34]) a pris possession des marchandises, muni des connaissements FIATA, « contournant » en quelque sorte la sûreté que croyait avoir pris le commissionnaire intermédiaire. Ce dernier a alors reproché au transporteur maritime d’avoir remis les marchandises à une personne sans titre (en fait, en raison du caractère multimodal du transport, les marchandises avaient été débarquées dans un port Syrien et avaient terminé leur voyage par route, jusqu’en Irak[35]).

Par quel contrat le transporteur maritime était-il lié ? Le transporteur n’était censé connaître, en l’espèce (jusqu’à la livraison), que le contrat de transport par lui émis : le connaissement multimodal[36]. Son cocontractant, partie à la formation du connaissement était le chargeur, c’est-à-dire ici, le commissionnaire intermédiaire ; et, comme ce dernier avait conservé les deux exemplaires (négociables) du connaissement, le transporteur n’aurait dû, en principe, ne remettre les marchandises qu’à un opérateur qui se serait présenté, muni de l’un de ces deux exemplaires.

En l’espèce, en remettant les marchandises au porteur de connaissements FIATA émis par un commissionnaire (principal), le transporteur n’a pas respecté la logique interne du connaissement multimodal, et s’est laissé abuser par les titres intitulés connaissements FIATA. Les juges ont ainsi estimé qu’en remettant les marchandises aux autorités iraquiennes sans exiger en contrepartie une lettre de garantie, le transporteur avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l’égard du commissionnaire intermédiaire. Quant au montant du préjudice subi par le commissionnaire intermédiaire, il était égal au montant du fret dont il n’avait pu obtenir le remboursement, en raison de la négligence du transporteur.

Le problème de fond, dans cette affaire, nous paraît résulter d’une mauvaise harmonisation des contrats les uns avec les autres[37] :

–  Pourquoi le crédit documentaire exigeait-il des connaissements FIATA ? Il aurait suffi que ne soit exigé qu’un « document de transport multimodal » au sens de l’art. 26 des RUU 500 (relatives aux crédits documentaires), pour que le commissionnaire principal n’émette pas de « document de transport (« émis par un transitaire ») » (le connaissement FIATA) au sens de l’art. 30 des RUU 500. Ainsi, les deux sortes de connaissements ne se seraient pas « télescopées ».

–  Ou alors, pour éviter tout risque de contradiction, il appartenait au commissionnaire principal, soit de conserver l’exercice direct de sa mission et de ne pas recourir aux services d’un commissionnaire intermédiaire, soit de donner des consignes précises à ce dernier (qui n’aurait plus été que mandataire) afin de préserver la logique contractuelle de l’ensemble de l’opération.

En d’autres termes, s’il est exact que le transporteur maritime n’avait pas à remettre les marchandises à un opérateur qui n’était pas porteur d’un exemplaire du connaissement par lui émis, il nous semble qu’en amont de cette négligence, le commissionnaire principal a lui aussi commis une faute en ne s’assurant pas de la bonne articulation des contrats en cause.

1°) Le commissionnaire principal n’ignorait pas l’existence du crédit documentaire, et c’est d’ailleurs, en connaissance de cause qu’il a émis les connaissements FIATA ;

2°) Le commissionnaire principal est censé être responsable du fait de tous ses substitués. A ce titre, il a l’obligation, s’il se substitue un sous-commissionnaire ou commissionnaire intermédiaire, de suivre de près la réalisation de la mission. De ce chef, nous voyons là une faute du commissionnaire principal qui a laissé souscrire une connaissement d’une autre nature, par son substitué, ruinant l’unité juridique de l’opération de transport[38]. Et, en effet, un conflit entre les deux types de connaissements n’a pas manqué de naître… Pour nous, c’est la négligence première (chronologiquement) du commissionnaire principal, qui a provoqué l’erreur du transporteur maritime, sans doute troublé par l’appellation « connaissement » (certes FIATA, mais connaissement quand même). Les avocats du commissionnaire intermédiaire, pas plus que ceux du transporteur,  ne paraissent avoir exploité cette piste, peut-être à tort.

C.   Distinction du connaissement multimodal et du connaissement direct

 

1264. Une frontière nette entre les deux notions — Le connaissement direct ou « through bill of lading » est un contrat unique au sens instrumental, couvrant l’ensembles des modes de transports qui vont se succéder pour l’acheminement des marchandises. En revanche, il cloisonne et divise le régime de responsabilité, suivant le mode de transport considéré ; et « quand les circonstances de la perte ou de l’avarie ne peuvent être déterminées, il y a un régime sui generis »[39]. Le connaissement direct est donc un connaissement « combiné » (au sens où l’emploient MM. DELEBECQUE et GERMAIN[40]) en ce qu’il combine plusieurs modes de transports distincts, aux régimes distincts, au moyen d’un instrumentum unique.

Mais, là où il y a ambiguïté, c’est que les mots n’ont pas la même signification pour tous les auteurs. Ainsi peut-on lire, sous la plume de Marie TILCHE, que « le connaissement de transport combiné repose sur un statut unique »[41] (exact contraire de ce qui peut être lu dans le RIPERT et ROBLOT !). Dans le même sens que Madame TILCHE, Ross MASUD estimait en 1992 que dans le « combined transportation », l’unique « transport document is issued by one carrier undertaking responsibility for the goods during the entire transport involving different links and modes of transportation but under a legal regime known as network liability system »[42].

Alors, lorsque l’on s’inquiète (à juste titre) que des transporteurs émettent des connaissements de « transport combiné » qui sont en réalité des connaissements directs, encore faut-il savoir de quel « contrat de transport combiné » on parle et à quelle notion de « connaissement direct » on se réfère. Un effort de définition s’impose manifestement, pour que les qualifications aient un sens précis (pléonasme volontaire) ; et comme la confusion la plus totale semble régner dans les conventions d’appellations, ainsi que nous venons d’en rapporter une illustration, il faut proposer une convention claire.

Ainsi, proposons-nous la convention suivante :

–  On peut désigner sous l’appellation connaissement direct le titre unique de transport cloisonnant les régimes de responsabilité suivant le mode de transport considéré, avec un régime unique subsidiaire en cas d’indétermination de l’origine de la perte ou du dommage ;

–  On peut désigner sous l’appellation contrat de transport multimodal ou contrat de transport combiné (les deux appellations étant parfaitement synonymes), le titre unique de transport prévoyant un régime unique de responsabilité pour la totalité du voyage des marchandises.

En d’autres termes, nous conservons l’appellation utilisée par Marie TILCHE et rejetons celle de MM. DELEBECQUE et GERMAIN. Ainsi, aucune confusion ne nous paraît possible entre les deux types de contrats, et, si par mégarde, des opérateurs utilisaient une qualification inexacte, il appartiendrait naturellement à l’arbitre ou au juge saisi, de procéder à la requalification nécessaire.

D.   Distinction du connaissement multimodal et du connaissement « port to port » (port à port)

 

1265. Une distinction évidente… — La différence entre un connaissement multimodal (titre émis par un transporteur maritime prenant sous son unique responsabilité la totalité de l’acheminement multimodal de la marchandise, par exemple, mer / fer / route) et un connaissement « port to port », c’est-à-dire, finalement, un connaissement ordinaire est plutôt évidente. Comme son nom l’indique, le connaissement de port à port ne couvre que la phase maritime du transport. Inversement, le connaissement multimodal couvre le transport maritime mais aussi la phase terrestre qui, par exemple, le transport maritime.

1266. La curieuse qualification « alternative » — Pourtant, face à la mauvaise rédaction ou à la rédaction ambiguë des contrats par les opérateurs, les juges doivent parfois rappeler l’évidence. Ainsi, dans l’affaire du navire Boka 014, un connaissement était — pour le moins curieusement — qualifié de « connaissement de transport combiné ou de port à port » ! Il faut être sérieux et concis : c’est soit l’un, soit l’autre ! Il ne viendrait à l’idée de personne d’intituler un contrat : « contrat de vente ou de bail » ! Nous affirmons avec force qu’un tel contrat n’en est pas un car l’objet du contrat doit être déterminé au sens des articles 1108 et 1129 du Code civil ! Or, si c’est « une vente ou un bail », qu’est-ce alors ? Et s’il s’agit d’un « connaissement multimodal ou d’un connaissement de port à port », de quel contrat parle-t-on ? A quel contrat les parties ont-elles effectivement consenti ? Une telle démarche de la part d’un rédacteur d’actes n’a rien de juridique et frise l’incompétence professionnelle.

Dans l’affaire du Boka 014, les juges du fond et la Cour de cassation ont estimé que, la rubrique « place of delivery » (lieu de livraison à destination) n’ayant pas été remplie, et une mention manuscrite « port to port » figurant sur le connaissement, les parties contractantes avaient ainsi manifesté leur volonté de voir la responsabilité du transporteur maritime cesser à la livraison au port de destination, à savoir, Anvers (Belgique)[43]. Les juges ont ici, exactement pensons-nous, procédé à la recherche de la volonté réelle des parties contractantes, essentiellement manifestée par la mention manuscrite.

1267. Précision jurisprudentielle aidant à la distinction : dans un connaissement multimodal, les lieux de prise en charge et de livraison doivent être mentionnés — Dans l’affaire du navire CMB Ensign[44], la Cour de cassation a précisé qu’un « connaissement qui concerne expressément un transport maritime de port à port », ne deviendrait « un connaissement de transport combiné qu’à la condition que les lieux de prise en charge (« Place of recept ») et de livraison des marchandises (« Place of delivery ») y soient mentionnés ». Deux hypothèses sont donc à distinguer.

–  Soit le connaissement est intitulé « de port à port », mais indique, par exemple, « lieu de livraison : Rungis » ou « Place of delivery : Rungis » (impliquant un transport routier postérieur au transport maritime) ; dans ce cas, nonobstant l’appellation générale du connaissement « port to port », il ne s’agit pas d’un connaissement port to port, mais d’un connaissement de transport multimodal (il appartiendra au juge de procéder à la requalification nécessaire) ;

– Soit le connaissement est intitulé « de port à port », et laisse vierge la clause « lieu de livraison » ; dans ce cas, la responsabilité du transporteur maritime cesse au port de livraison.

1268. Contradiction entre un connaissement « port to port » et la présence d’une clause FCL/FCL — Dans la même affaire, le connaissement intitulé « port to port » contenait une clause FCL/FCL[45] c’est-à-dire une clause visant les transports par conteneurs, de domicile à domicile[46] ou « house to house » : ainsi que l’observe le Professeur BONASSIES, cette mention est « habituellement interprétée par les professionnels comme indiquant que le conteneur confié au transporteur a été remis « empoté » par le chargeur, et doit être délivré au domicile du destinataire ou au lieu indiqué par celui-ci »[47].

Il y a donc une contradiction manifeste à prétendre faire cohabiter dans le même titre, une clause FCL/FCL et une clause « port to port ». De deux choses l’une : ou bien la responsabilité du transporteur cesse au port de livraison (il ne s’agit alors que d’un connaissement ordinaire, classique), ou bien on est en présence d’un véritable connaissement de transport multimodal, et sa responsabilité cessera à la livraison au domicile du destinataire (par exemple, après qu’un transport routier aura suivi le transport maritime) ou au lieu indiqué par ce dernier.

On remarquera qu’en l’espèce, la Cour de cassation, en présence d’une telle contradiction, a fait prévaloir l’intitulé du connaissement (port to port) sur la clause FCL/FCL. On ne peut pas reprocher aux juges d’avoir ainsi tranché [leur appréciation est, de toute façon, souveraine (pour les juges du fond), et, à défaut de manifestation claire de la volonté des parties, il faut malgré tout trancher] : si les parties osent se plaindre de l’interprétation judiciaire de leur contrat, qu’elles commencent plutôt par apprendre à rédiger correctement un contrat, en veillant à l’harmonisation élémentaire des clauses entre elles !

Encore une fois : que les rédacteurs de contrats tournent sept fois la plume dans leur encrier avant de noircir le papier !


[1] V. supra, n° 132, s.

[2] V. Marie TILCHE, Conteneurs maritimes : faut-il un régime spécifique ?, BTL 1999, p. 531. Add. Versailles, 14 janvier 1999, BTL 1999, p. 550 : le contrat de location de conteneur n’est pas un contrat de transport mais juste un « contrat de location de meubles ». Dans le même sens, le contrat de fourniture de conteneurs (par le transporteur maritime) et le contrat de transport sont deux contrats distincts : Aix-en-Provence, 9 décembre 1999 (Jolly Rubino), DMF 2000, p. 914, obs. TASSEL, et les références citées par l’auteur, p. 918. Dans cette affaire, il a justement été jugé que « la mise à disposition des conteneurs par le transporteur maritime, contrat distinct du contrat de transport, n’entraîne en elle-même aucune modification du moment de la prise en charge ».

Egalement, il faut remarquer que, un conteneur étant scellé, lorsque toutes les marchandises qu’il contient sont adressées au même destinataire, ce dernier ne peut exiger une livraison partielle au motif que deux connaissements distincts ont été émis pour désigner chacun une partie des marchandises contenues dans ce conteneur : il ne pourra, dans ce cas, obtenir qu’une livraison totale, muni des deux connaissements : Rouen, 29 avril 1999 (CMB Melody), DMF 2000, p. 351, obs. Yves TASSEL, et DMF 2001, Le droit positif français en l’an 2000, par Pierre BONASSIES, n° 74, pp. 62 et 63.

V. encore, plus largement : Georges-André GAUTHIER, Régime des conteneurs, Juris-Classeur Com. fasc. 976 (éd. 1996) ; et Yann LE GOUARD, Conteneurisation, la nouvelle donne, 1986 (disponible à la B.U. Droit de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, sous la cote KD LEG C).

[3] V. Stéphane MIRIBEL, compte-rendu du colloque AFDM / ABDM, Paris, 14 et 15 janvier 1999, Transport multimodal et assurance, DMF 1999, pp. 657, s. et 756, s., spécialement p. 658. Add. RIPERT et ROBLOT (tome 2, 16ème éd. 2000, mise à jour par DELEBECQUE et GERMAIN, op. cit.), n° 2789-1, p. 784.

[4] Baltic and International Maritime Conference.

[5] Contrat-type cité par Marie TILCHE in Multimodal / logistique, le temps du droit, BTL 2001, p. 85.

[6] L. PEYREFITTE, Le régime juridique des transports combinés de marchandises, DMF 1973, p. 643 à 649, et 707 à 711.

[7] M. RÈMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, Pédone 1988, n° 601, note 44. En son sens, nous ajouterons que, d’un point de vue étymologique, la racine latine inter signifie : entre, dans, au milieu de, dans l’espace de, parmi. Appliqué à l’économie, qui met l’accent sur les liens entre les opérateurs économiques, le préfixe inter a sa place. Appliqué à un transport que l’on veut juridiquement unifié, et non pas morcelé, le préfixe inter, non seulement produit l’effet inverse au but recherché, mais encore, ne semble désigner, dans le temps, que les moments précis où la marchandise change de mode de transport, cette dernière étant entre deux modes de transport… Le terme « intermodal » ne pouvait effectivement qu’être rejeté.

[8] CCI, Publication n° 298. V. également, sur les travaux antérieurs d’UNIDROIT et du CMI (Comité maritime international) : H. SCHADEE, Petite polémologie sur le dernier projet de Convention internationale sur le transport international combiné de marchandises, DMF 1970, p. 540, s. ; C. LEGENDRE, La Conférence de Tokyo du CMI, DMF 1969, p. 451 à 456 et 515 à 517 ; texte du projet CMI : DMF 1969, p. 467, s.

[9] V. par ex. le connaissement FIATA, ou encore le connaissement négociable BIMCO, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

[10] Juris-Classeur com. V° Transport combiné, fasc. 856. V. aussi les observations sceptiques de RODIÈRE vis-à-vis de ce texte : DMF 1981, p. 6. L’art. 1er, § 1, de la Convention, définit le transport multimodal international comme « le transport de marchandises effectué par au moins deux modes de transport différents, en vertu d’un contrat de transport multimodal, à partir d’un lieu situé dans un pays où les marchandises sont prises en charge par l’ETM jusqu’au lieu désigné par la livraison dans un pays différent ». Pour une étude détaillée des dispositions de la Convention, v. Nicole LACASSE, Le transport multimodal international de marchandises, étude comparative des droits canadien et français, thèse Paris I, 1988, spécialement p. 328, s.

[11] En cas de perte ou d’avarie, la responsabilité est limitée à 920 DTS/colis ou 2,75 DTS/kg de poids brut des marchandises ; en cas de retard à la livraison, la responsabilité est limitée à 2,5 fois le montant du fret pour les marchandises ayant subi le retard, sans excéder le montant total du fret.

[12] L’art. 6 de la Convention exige la signature de 30 Etats avant que le texte puisse entrer en vigueur. A ce jour (septembre 2002), seuls 9 Etats y ont adhéré : Chili, Malawi, Maroc, Mexique, Norvège, Rwanda, Sénégal, Venezuela, Zambie.

Sur l’échec de cette Convention, add. Stéphane MIRIBEL, compte-rendu du colloque AFDM / ABDM « Transport multimodal et assurance » (Paris, 14 et 15 janvier 1999), DMF 1999, p. 657, spécialement p. 660.  Il est indiqué que l’interventionnisme étatique dans les opérations des ETM, organisé dans la première partie du texte, n’a pas favorisé l’enthousiasme des professionnels, mais que le régime de responsabilité, organisé par la seconde partie du texte, étant « assez souple et équilibré », selon les termes du Professeur BONASSIES, devrait peut-être servir d’inspiration à l’élaboration d’un nouveau régime uniforme.

[13] CCI, Publication n° 481.

[14] Eric A. CAPRIOLI, Considérations sur les nouvelles Règles CNUCED/CCI applicables aux documents de transport multimodal, DMF 1993, p. 204, s., spéc. p. 224.

[15] Eric A. CAPRIOLI, op. cit., conclut ainsi sa chronique (pp. 221 et 224) : « Le document de transport multimodal, tel qu’il est régi par les nouvelles règles, est acceptable par la communauté commerciale internationale. Les Incoterms 1990 de la CCI n’ont-ils pas été révisés pour partie à cause des changements techniques de transport se traduisant par l’acheminement multimodal ? De sorte que ce sont pas moins de sept termes qui correspondent à tous les modes de transport y compris le multimodal (EXW, FCA, CPT, CIP, DAF, DDU, DDP). Outre cela, l’acceptation du texte par la communauté bancaire internationale ne laisse planer aucun dote ; les règles ont été conçues pour être compatibles avec les futures RUU 500 (qui ont été adoptées officiellement en 1993) sur le crédit documentaire de la CCI. Pour preuve, l’art. 26 du projet définitif est entièrement consacré au document de transport multimodal. (…) ».

[16] Eric A. CAPRIOLI, op. cit. p. 208.

[17] Idem.

[18] V. notamment Victor-Emmanuel BOKALLI, Conteneurisation et transport multimodal des marchandises, aspects juridiques et assurances, thèse Aix Marseille III, 1989, spécialement p. 209, s.

[19] V. le compte-rendu du colloque précité, DMF 1999, spécialement p. 661.

[20] DELEBECQUE et GERMAIN in RIPERT et ROBLOT, n° 2789-1, spécialement p. 785.

[21] V. Nicole LACASSE, thèse précitée, spécialement p. 23, s.

[22] C’est ce que MM. DELEBECQUE et GERMAIN qualifient de transports « combinés » (in RIPERT et ROBLOT, op. cit. p. 784).

[23] C’est ce que ces mêmes auteurs qualifient de transports « homogènes » (idem).

[24] Sur le connaissement direct, v. infra, n° 1264, s.

[25] MM. DELEBECQUE et GERMAIN (in RIPERT et ROBLOT, loc. cit.) observent, à propos d’un régime unique du transport multimodal, que, « juridiquement, on peut imaginer toute une série de solutions ».

[26] Thèse précitée, spécialement p. 122, s.

[27] Op. cit. p. 128, s. Dans le même sens, v. Victor-Emmanuel BOKALLI, thèse précitée, spécialement p. 234, s.

[28] Propos rapportés par Stéphane MIRIBEL, in compte-rendu du colloque de l’AFDM et de l’ABDM, précité, DMF 1999, spécialement p. 664.

[29] Thèse précitée, spécialement p. 246, s.

[30] BOKALLI, p. 246.

[31] BOKALLI, p. 248, s. Sur les conditions générales de validité des clauses de limitation ou d’exonération de responsabilité, v. supra, n° 1094, s.

[32] TC Marseille, 12 mars 1982 (inédit) ; Aix-en-Provence, 3 octobre 1984, DMF 1986, p. 160, note ACHARD ; Cass. Com. 31 mars 1987, DMF 1988, p. 451 ; Montpellier, 19 janvier 1989 (inédit) ; puis Cass. Com. 29 janvier 1991, DMF 1991, p. 354, note critique de R. ACHARD ; Andrée CHAO, Quand deux connaissements interfèrent, BTL 1991, pp. 677 et 684.

[33] FIATA : Fédération internationale des associations de transitaires et assimilés. Connaissement FIATA : connaissement négociable pour transports combinés.

[34] Coût, assurance et fret.

[35] On notera que le transporteur routier avait la qualité de simple mandataire du transporteur maritime (v. la motivation de : Montpellier, 19 janvier 1989, rapportée par Raymond ACHARD, dans sa note sous : Cass com. 29 janvier 1991, DMF 1991, spécialement p. 357).

[36] Le transporteur maritime, qui se charge de l’organisation de l’acheminement final de la marchandise, par voie routière en l’occurrence, et émet à ce titre un connaissement de transport multimodal, revêt la qualité de commissionnaire de transport (v. la motivation de l’arrêt de la Cour de Montpellier, précité).

[37] Le Professeur TASSEL nous semble de cet avis : l’auteur écrit, à propos de l’affaire Diana, et imaginant que le connaissement multimodal légitimement détenu par le commissionnaire intermédiaire aurait pu entrer en conflit avec les mêmes connaissements FIATA, mais cette fois, détenus par le banquier émetteur du crédit documentaire, que « la seule façon de résoudre le conflit de droits est donc de le faire disparaître, ce qui suppose une rédaction conforme des documents susceptibles d’être en conflit » (TASSEL, article précité, in Mélanges en l’honneur d’Henri BLAISE, spécialement p. 409).

[38] On remarquera également, à la suite de Monsieur ACHARD (note précitée), que si le transporteur avait su l’existence de connaissements FIATA, il n’aurait probablement pas émis, à son tour, un nouveau connaissement couvrant la totalité du transport. Ici encore, si le commissionnaire principal avait suivi de près l’organisation du transport, il se serait fait connaître au transporteur maritime et lui aurait indiqué l’existence des connaissements FIATA, afin d’éviter le fâcheux doublon, à l’origine du présent litige.

[39] Marie TILCHE, Multimodal / logistique, le temps du droit, BTL 2001, p. 85.

[40] Pour ces auteurs, les transports « peuvent être combinés et par là soumis à des régimes juridiques différents » (op. cit. n° 2789-1, p. 784).

[41] Marie TILCHE, op. cit. loc. cit.

[42] Ross MASUD, The emerging legal regime for multimodal transport, RDAI 1992, p. 825, spécialement n° 5, p. 826 : dans le transport combine, l’unique document de transport est établi par un seul transporteur qui prend les marchandises sous sa responsabilité pendant l’entier transport, qui peut inclure différents modes de transport, mais sous un seul régime juridique connu sous le nom de responsabilité de réseau.

[43] Cass. Com. 26 octobre 1999, Scapel 2000, p. 15 ; DMF 2001, Le droit positif français en l’an 2000, par Pierre BONASSIES, spécialement n° 81, p. 66.

[44] Cass. Com. 4 juillet 2000, DMF 2001, p. 130, obs. AMMAR ; add. obs. BONASSIES, in Le droit positif français en l’an 2000, précité, n° 81, spécialement p. 66 in fine et 67.

[45] Full Container Load = conteneur chargé complet.

[46] V. le lexique des termes juridiques et techniques proposé à la fin du Lamy Transport, tome 2.

[47] BONASSIES, obs. précitées, p. 67.

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : les contrats proches de l’AFFRETEMENT DE NAVIRE

 

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Les développements qui suivent sont issus de notre Thèse de Doctorat.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

     

1247. Position du problème Parmi les moyens offerts aux opérateurs pour transporter (au sens commun) des marchandises, outre les conventions de transport proprement dites s’offrent les variétés connues d’affrètement d’engins de transport et notamment de navires. Mais, au-delà encore des affrètements classiques de navires (essentiellement à temps ordinaire et au voyage), la matière de l’affrètement étant mue par un esprit de liberté contractuelle, des contrats « hybrides » se sont développés, pour lesquels il est quasi impossible de donner une typologie précise, puisque, précisément, d’une part, toutes les nuances contractuelles sont dans la nature, et d’autre part, même si les parties donnent un nom à leur contrat, il se peut que cet intitulé ne corresponde pas à la matière contractuelle telle qu’elle résulte des stipulations qui suivent. Il est donc particulièrement délicat d’aborder cette matière floue « autour » des contrats d’affrètements classiques de navire. Tel est pourtant notre objectif.

1248. L’approche de la difficulté par RODIÈRE Dans un article publié en 1980, RODIÈRE évoque cette question en des termes qui auraient pu être ceux de 1900, comme ceux de l’an 2000. Ainsi que le relève l’auteur, la liberté des parties contractantes navigue parfois dans des eaux intermédiaires entre le transport, l’affrètement et la commission de transport. Certes, en théorie, il est aisé de distinguer ces contrats. Mais, encore une fois, la lecture des contrats maritimes peut réserver bien des surprises et parfois bien des interrogations sur la qualification finale à conférer à tel contrat[1]. Le « Père du droit maritime » (ainsi que le nomme le Professeur VIALARD) tente néanmoins d’opérer une classification (qu’il sait relative) dans cette brume contractuelle, et distingue trois sortes « d’arrangements commerciaux ».

1248-1. Un contrat de transport, éventuellement multimodal Selon une première hypothèse, un commerçant ou un industriel pourrait négocier avec une compagnie maritime « contre un prix à la tonne (ou toute autre unité de mesure) », le transport d’une « quantité donnée ou simplement déterminable de marchandises, en les prenant en charge à tel endroit et en les acheminant à tel autre endroit »[2]. Pour nous, cette hypothèse, ainsi décrite, ressemble à un contrat de transport multimodal de marchandises[3], à ceci près que, dans un tel contrat, les marchandises doivent être précisément désignées en genre et en nombre ; ou alors, il s’agirait d’un contrat préparatoire (comme un contrat de base ou un contrat-cadre dans le cas où les parties envisagent de renouveler périodiquement la même opération, dans les mêmes conditions) ou d’un avant contrat (comme une promesse synallagmatique).

Mais la qualification que nous avons avancée de contrat de transport multimodal recèle elle-même sa propre ambiguïté, sur laquelle nous reviendrons : l’entrepreneur ou organisateur de transport multimodal souscrit-il une obligation de transport ou une obligation de commission de transport ? Et là aussi, il faut nuancer la réponse, au regard des obligations exactement souscrites.

1248-2. Un affrètement d’espace La seconde hypothèse envisagée par RODIÈRE : « un industriel ou un commerçant (…) conclut avec un armateur un contrat aux termes duquel celui-ci mettra à sa disposition, sur un ou plusieurs navires, des espaces propres à déplacer une certaine quantité de marchandises ou une quantité déterminable (un minimum et un maximum étant souvent prévus) depuis tel port jusqu’à tel autre port (…). Une charte-partie est annexée au contrat.

Quelle est sa nature ? A première vue, on est en présence d’un contrat d’affrètement parce qu’il s’agit essentiellement de réserver des espaces ou des navires entiers, que l’armateur ne prend pas en charge la marchandise et que son rôle consiste seulement à recevoir les marchandises à bord de son ou de ses bâtiments et à les conduire aux ports désignés »[4].

Qu’en est-il de l’affrètement partiel en droit français ? D’abord, quel que soit le droit national considéré, il n’est que dans le cadre d’un affrètement au voyage que l’affrètement partiel soit envisageable ; il est, a contrario, exclu en matière d’affrètements à temps (à temps ordinaire et coque nue). Cette première réflexion, assez évidente, est d’ailleurs reprise dans la loi française du 18 juin 1966 : ainsi, peut-on lire, à l’art. 5 du texte, que « par l’affrètement au voyage, le fréteur met, en tout ou en partie, un navire à la disposition de l’affréteur en vue d’accomplir un ou plusieurs voyages ». Donc, il semble que ce que la pratique appelle parfois « affrètement d’espace » ou affrètement partiel, soit reconnu dans la loi.

Mais, si la notion est communément admise, le régime de l’affrètement d’espace est-il aussi unanimement considéré ? C’est là le siège de la difficulté. On sait qu’en principe, la matière de l’affrètement est largement ouverte à la liberté contractuelle ; aussi, les contrats-types de charte-partie prévoient-ils tous des clauses aménageant (dans le sens de l’allègement) la responsabilité du fréteur. La même souplesse est-elle possible en matière d’affrètement d’espaces ? Monsieur MORINIÈRE peut apporter des éléments de réponse.

Cet auteur nous apprend que dans le contrat-type de « slot charter » ou charte-partie « SLOTHIRE » (élaborée par la BIMCO), le fréteur met à disposition de l’affréteur une partie du navire pour un temps défini, et qu’au moment de l’embarquement, ce dernier reçoit un « reçu d’embarquement » qui peut prendre la forme d’une « loading list » ou liste de chargement[5]. En outre, le fret correspondant à la l’espace réservé est dû en totalité, quand bien même l’affréteur n’utiliserait pas, par exemple, en raison d’un volume de marchandises moins important que prévu, la totalité du volume réservé en soute : c’est ce que les praticiens nomment « deadfreight »ou « faux fret », et qui ne peut être assimilé à une clause pénale mais plutôt au prix de l’exclusivité[6].

Dans un contrat proche, le contrat d’engagement de fret, il semble que la seule différence notoire réside en une « clause de non-responsabilité » bénéficiant naturellement au fréteur. Mais concrètement, la mise en œuvre de cette clause, par laquelle le fréteur entend ne pas prendre en charge les marchandises et se contenter de fournir le navire comme moyen d’acheminement, n’est pas sans susciter des interrogations, déjà formulées par RODIÈRE : « au point de vue pratique, où est la prise en charge ? (des marchandises) » ; « quel est le signe irrécusable de cette volonté chez l’armateur : prendre en charge la marchandise ou mettre le navire à disposition ? Il n’y en a pas et c’est seulement en s’aidant des clauses du contrat que l’on peut répondre car seules les obligations précises des parties qualifient leur convention »[7].

Au vu de ce qui précède, même si la mise en œuvre d’une clause de responsabilité peut soulever certaines questions d’ordre général, propres à toutes les clauses de responsabilité stipulées en matière d’affrètement de navire, il semble que rien ne distingue le régime de l’affrètement d’un navire entier, de celui d’un affrètement d’espace. Naturellement, dans tous les cas, le navire est désigné nommément ; et pour le reste, ce n’est qu’une question de proportion d’espace « loué » et de prix du fret exigé en contrepartie par l’armateur fréteur.

En faveur de cette unité du régime de l’affrètement, qu’il concerne un navire entier, ou une partie de navire, on observera enfin que « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus »[8] (et l’art. 5 de la loi de 1966, en proposant un régime supplétif, ne distingue deux régimes particuliers, selon que l’affrètement au voyage considéré, concernerait la totalité ou une partie seulement du navire).

1248-3. Le contrat-cadre ou la promesse synallagmatique de transport ou d’affrètement : les multiples visages du « contrat de volume » ou « de tonnage » En dernier lieu, RODIÈRE envisage l’hypothèse d’un « contrat suivant lequel, moyennant un prix donné (pour telle unité de mesure), (un) armateur s’engage à évacuer sur des (destinations) à fixer par (son client, commerçant ou industriel), la production de celui-ci »[9]. Ce dispositif n’est pas sans évoquer celui d’un contrat-cadre entre deux opérateurs[10]. Mais, pour le reste (affrètement ou transport), tout dépend des termes du contrat cadre. Il pourra s’agir d’une sorte d’abonnement à des chartes-parties successives d’affrètement au voyage, ou d’une sorte d’abonnement à des connaissements ou contrats de transport successifs (comme des lettres de transport maritimes) ; et, pour compliquer, on peut imaginer qu’un contrat-cadre prévoit la fréquence d’organisation des transports à réaliser, sans se prononcer sur le mode d’acheminement, ou en laissant le contractant débiteur de la prestation caractéristique libre des voies et moyens de transport (il y aurait ici commission de transport, et peut être transport si le « commissionnaire » transporte lui-même). A ce propos, le Professeur VIALARD observe que « la pratique contemporaine a vu apparaître aux côtés des affrètements « nommés » par la loi, des contrats variés aux contours juridiquement incertains, comme le contrat de tonnage (qui évoluent aux frontières du contrat d’affrètement au voyage — par abonnement — et du contrat de transport) (…) »[11].

Une sentence récente de la Chambre arbitrale maritime de Paris (CAMP) a reposé la question de la qualification de ce type de contrat. L’appellation donnée par cette juridiction arbitrale nous convient, par sa neutralité : « contrat de volume » (on comprend bien qu’il s’agit, pour le débiteur de la prestation caractéristique, de s’engager à déplacer des « volumes » de marchandises sur certaines destinations). Pour la CAMP, « un tel contrat-cadre est une promesse formelle et mutuelle (c’est-à-dire une promesse synallagmatique) de souscrire dans un délai déterminé à un nombre de contrats d’affrètements parfaits »[12]. Alors : contrat-cadre ou promesse synallagmatique ?

D’un côté, il semble que l’on puisse analyser le contrat-cadre en une promesse synallagmatique. En effet, ainsi que nous l’avons vu[13], les promesses synallagmatiques consensuelles valent contrat définitif assorti de force obligatoire (tout au moins, en droit français), et contiennent les éléments essentiels du futur contrat définitif et la partie victime de la résistance de l’autre partie à achever le cycle de formation du contrat peut engager la responsabilité contractuelle de cette dernière et demander au juge ou à l’arbitre l’exécution forcée de l’obligation de parfaire le contrat déjà existant.

D’un autre côté, le plus souvent, la promesse synallagmatique concerne une vente particulière (vente unique portant sur un immeuble). Le contrat-cadre tend au contraire à organiser dans les grandes lignes une relation contractuelle à moyen ou long terme, qui prendra la forme d’une multitude de « petits contrats », tous pris en exécution du contrat-cadre. Enfin, le contrat-cadre n’est pas étymologiquement une « promesse ». C’est déjà un contrat… mais un contrat portant engagement (ou « promesse ») de contracter ensuite d’autres engagements ponctuels.

La frontière entre promesse synallagmatique et contrat-cadre est fine, et la distinction éventuelle nous paraît plus théorique que pratique.

Aussi, ne critiquerons-nous pas la CAMP d’avoir ainsi rapproché les deux notions[14].

1249. Conclusion : la relativité de la matière contractuelle, génératrice de la relativité de la qualification Il n’est donc pas possible de tracer des perspectives claires là où le jeu de la liberté contractuelle peut à tout instant brouiller les pistes des qualifications traditionnelles. Le juriste en quête d’exactes qualifications devra donc avancer, en pratique, avec une extrême vigilance, et une absence totale d’a priori sur une qualification éventuelle, lorsqu’il amorcera la lecture d’un contrat, et spécialement d’un contrat qui, à première vue, paraît se rapprocher d’un contrat d’affrètement ou de transport.


[1] RODIÈRE, Le contrat au tonnage, DMF 1980, p. 323, spécialement n° 7, p. 326.

[2] RODIÈRE, op. cit. n° 1, p. 323.

[3] Sur ce contrat, v. infra, n° 1251, s.

[4] RODIÈRE, op. cit. n° 3, p. 324.

[5] Jean-Michel MORINIÈRE raisonne spécifiquement à propos des NVOCC, mais son raisonnement vaut pour tous les affréteurs en général, en ce compris ceux qui ne seraient pas NVOCC : v. article précité sur les NVOCC, in ADMO 1998, p. 109, s. spécialement p. 118.

[6] En effet, le deadfreight ressemble, en droit de la vente, à l’indemnité d’immobilisation : par sa promesse d’achat (ici, par sa réservation d’espace), l’acheteur (ici, l’affréteur) qui, finalement, n’a pas confirmé la vente (ici, l’affréteur qui n’a pas utilisé son espace réservé), a fait perdre au vendeur (ici, fréteur), une chance de trouver acquéreur (un affréteur qui utilise réellement l’espace réservé). Plus précisément, l’indemnité d’immobilisation (ou le deadfreight) constitue le prix de l’exclusivité : Civ. 1ère, 5 décembre 1995, Bull. n° 452 ; Defrénois 1995, p. 757, obs. MAZEAUD, et p. 814, obs. BÉNABENT. Enfin, il est constant que l’indemnité d’immobilisation ne constitue pas une clause pénale au sens de l’art. 1152 du Code civil : v. par exemple Civ. 3ème, 29 juin 1994, Bull. n° 139 ; JCP 1994, I, 3809, obs. VINEY ; Defrénois 1994, p. 1459, obs. MAZEAUD.

[7] RODIÈRE, op. cit. n° 6, spécialement p. 326.

[8] V. ROLAND et BOYER, op. cit. n° 434, p. 936.

[9] RODIÈRE, op. cit. n° 5, p. 325.

[10] En ce sens : RODIÈRE, op. cit. n° 5, p. 325. Pour la Cour de Rouen, une telle opération s’analyse en une « promesse synallagmatique de contrats de transports » : Rouen, 30 juin 1977, DMF 1978, p. 535.

[11] Op. cit. n° 389, p. 333. Add. note 1, p. 339.

[12] CAMP, sentence 1039 du 12 décembre 2000, DMF 2001, p. 404.

[13] V. supra, n° 95.

[14] Dans le même sens, v. RODIÈRE et du PONTAVICE, op. cit. n° 286-1, pp. 268 et 269 : « le contrat de tonnage est une promesse de passer le nombre de contrats d’affrètements nécessaires à l’évacuation de la marchandise ou encore une promesse de passer le nombre de contrats de transport nécessaires à cette même évacuation ; tantôt il s’agit donc d’un contrat-cadre préparatoire à d’autres contrats qui peuvent être des contrats d’affrètement ou des contrats de transport. Tantôt, le contrat-cadre lui-même est considéré comme un contrat d’affrètement, les contrats d’application étant également des contrats d’affrètement ».

CONTRATS SPECIAUX DU COMMERCE MARITIME : un contrat proche de la commission de transport : le contrat de NON-VESSEL-OPERATING COMMON CARRIER (N.V.O.C.C.)

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– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

           

1242. La pratique américaine de l’organisation des transports par mer de marchandises conteneurisées — L’évocation de ces intermédiaires entre chargeur et transporteur, que sont les commissionnaires, nous conduit à examiner une variété particulière de commissionnaires, ceux que Monsieur MORINIÈRE a baptisé, traduit de l’américain, les transporteurs maritimes contractuels ou Non-Vessel-Operating Common Carriers (NVOCC)[1].

Le domaine d’activité des NVOCC ne concerne que l’organisation du transport de marchandises conteneurisées. A cet égard, suivant le taux de remplissage des conteneurs, la pratique américaine distingue les Less than Containers Load (LCL) des Full Containers Load (FCL), les premiers désignant des conteneurs incomplets, à l’inverse des seconds. Le plus souvent, des navires de petite taille (feeders) vont charger LCL et FCL dans des ports excentrés, puis se rejoignent dans une Container Freight Station (CFS), où les LCL sont éventuellement complétés, et où s’organise le remplissage optimum des super-porte-conteneurs[2].

1242-1. Les grandes étapes de la reconnaissance juridique des N.V.O.C.C. — Quant à l’origine du concept, c’est avec le développement de la conteneurisation à partir de 1956, et à la suite d’une tâtonnante construction jurisprudentielle, que la Federal Maritime Commission (FMC) a donné naissance en 1962, à la notion de NVOCC, définissant cet opérateur comme « toute personne qui par son établissement, le maintien de tarifs, la publicité ou autre, propose le transport interne ou international par mer de marchandises tel que défini par la loi », étant précisé qu’il est « supposé être un expéditeur de marchandises vis-à-vis des transporteurs maritimes substitués »[3]. La notion de NVOCC est pour la première fois entrée dans les textes législatifs américains, avec le Shipping Act du 20 mars 1984, qui disposait que « chaque NVOCC exerçant au départ ou vers les USA devait déposer auprès de la FMC une caution d’au moins $ 50.000 et disposer d’un mandataire aux USA pour y recevoir d’éventuels actes de procédure »[4]. Le tollé des NVOCC non américains a conduit à l’adoption du NVOCC Act de 1991 entré en vigueur le 3 mars 1992, et complété par de « nouvelles mesures » adoptées par la FMC le 22 janvier 1993[5]. Pour les Etats de l’Union Européenne, une directive du 29 juin 1982 pose certaines conditions de moralité, de compétences et de solvabilité à la délivrance de licences professionnelles aux auxiliaires de transport. Cependant, M. MORINIÈRE note que cette réglementation européenne est, pour l’heure, insuffisante, dans la mesure où elle ne permet pas suffisamment de s’assurer de la solvabilité d’un tel opérateur[6]. Or, cette question de solvabilité est essentielle puisqu’elle conditionne l’utilité de toute action en garantie à l’encontre d’un NVOCC qui, par hypothèse, ne possède pas de navire et peut ne présenter qu’un patrimoine quasi inexistant.

On notera cependant que, postérieurement à l’écriture de l’article de M. MORINIÈRE, la réglementation française de la profession de commissionnaire de transport été révisée par le décret n° 99-295 du 15 avril 1999, dont l’art. 2, qui réécrit l’art. 7 du décret n° 90-200 du 5 mars 1990, prévoit désormais que tout commissionnaire de transport devra, à compter du 1er juillet 1999, fournir des capitaux propres, réserves, ou caution bancaire, d’un montant au moins égal à 22.867,35 euros (ou 150.000 francs), sans pour autant que le montant des cautions ne puisse excéder la moitié de la capacité minimale requise, soit la somme de 11.433,68 euros (ou 75.000 francs)[7].

1242-2. Les diverses formes de N.V.O.C.C. : carriers et freight forwarders — Il est intéressant de noter que la pratique américaine a enchevêtré sous ce même concept, des fonctions très différentes. Le concept de NVOCC est un conglomérat artificiel potentiellement source de confusion pour les chargeurs qui y ont recours. M. MORINIÈRE nous enseigne tout d’abord que « les NVOCC peuvent apparaître sous deux visages »[8] : ceux qui se disent carriers, et ceux qui se présentent comme freight forwarders. Les seconds ne dissimulent pas leur activité réelle sous une étiquette fallacieuse, comme c’est en général le cas des premiers. Les freight forwarders (mot à mot : expéditeurs de fret, au sens de marchandises) ont des activités mixtes qui tendent à les rapprocher d’une part de nos transitaires, et d’autre part de nos commissionnaires de transports maritimes[9].

1243. Division — Au delà de ces appellations anglo-saxonnes, si l’on entreprend de désacraliser la notion de NVOCC, on s’aperçoit très vite qu’elle se rattache à deux notions connues du droit français, et qu’il n’y a, dès lors, aucune aura extraordinaire derrière ce qualificatif. Il apparaît concrètement que le « NVOCC » est soit un simple commissionnaire de transport maritime (A), soit un affréteur au voyage pouvant parfois prendre la qualité juridique de transporteur maritime (B). Il s’agira, dans les deux cas, d’opérer, en tant que de besoin, une requalification du contrat.

         

A. Le contrat de N.V.O.C.C. et la commission de transport

1244. L’émission d’un « house » bill of lading par le N.V.O.C.C. : critique du concept — La particularité de la pratique des NVOCC est qu’elle implique une multiplication des documents relatifs au transport des marchandises conteneurisées, entre le NVOCC et son client d’une part, et entre le NVOCC et le transporteur maritime réel[10] d’autre part. Une autre confusion terminologique vient alors du fait que le NVOCC remet à son client un house bill of lading (étant entendu que le bill of lading, au sens strict, est un connaissement, émis par le seul transporteur maritime), et que le transporteur maritime réel remettra ensuite un master bill of lading au NVOCC (en réalité il s’agira du véritable bill of lading). Celui de ces documents qui pose problème, est celui que la pratique a qualifié de house bill of lading. Certes, ainsi que le fait remarquer M. MORINIÈRE, ce dernier porte la mention « for delivery apply to… »[11], ou « for the release of goods apply to… »[12], ou encore « agents to contact at destination… »[13]. Le but de cette stipulation est d’inviter le porteur du house bill of lading à se rapprocher du représentant local du NVOCC, au port de destination, qui lui remettra le seul document qui fasse foi de sa qualité de destinataire, auprès du transporteur maritime : le « vrai » connaissement ou master bill of lading (puisque, rappelons-le, le transporteur ne peut valablement remettre les marchandises qu’au porteur légitime du connaissement, sauf lettre de garantie).

Donc, la présence de cette mention (for delivery apply to…) est bien la preuve que le house bill of lading n’est pas un véritable connaissement, au sens de la loi française et des Conventions internationales de Bruxelles et Hambourg. Cette pratique visant à dénommer house « bill of lading », un document qui, en réalité, n’est pas un bill of lading, est particulièrement vicieuse, dans la mesure où elle tend à donner à un contrat de commission, l’apparence d’un véritable contrat de transport maritime par l’appellation « connaissement / bill of lading », alors qu’en réalité, il ne s’agit absolument pas d’un contrat de transport maritime.

Au soutien de sa démonstration que le house bill of lading est un connaissement, M. MORINIÈRE recourt aux trois fonctions traditionnelles du connaissement pour vérifier si le house bill of lading satisfait à chacune d’elles : la prise en charge des marchandises, le titre représentatif de celles-ci, et le contrat de transport maritime.

1. Cette prise en charge des marchandises par le NVOCC peut n’être que purement formelle, notamment dans le cas où le client du NVOCC achemine lui-même les marchandises conteneurisées, au port, puis le long du navire (alongside ship). Dans ce cas de figure, il y a concomitance entre la « prise en charge » par le NVOCC et la (véritable) prise en charge par le transporteur maritime (gestionnaire du navire). En pratique, sous réserve du droit applicable au contrat transport (le vrai connaissement), cette prise en charge correspond au contrôle du chargement dont le NVOCC ès-qualité de commissionnaire de transport, garantit le bon déroulement à son client[14]. Enfin, sauf dans un cas précis, que nous verrons, cette soi-disant prise en charge des marchandises par le NVOCC, relève largement de la fiction dans la mesure où la prise en charge est liée à la garde des marchandises. Or, en pratique, les conteneurs seront rarement sous la garde de NVOCC, sauf à imaginer un opérateur cumulant plusieurs fonctions, comme transitaire et NVOCC.

2. M. MORINIÈRE admet que, s’agissant de la représentativité des marchandises, le house bill of lading ne permet pas au destinataire des marchandises, de les retirer auprès du transporteur maritime, puisque seul le master bill of lading ouvre droit à livraison auprès du (vrai) transporteur maritime.

Par ailleurs, il est exact, ainsi que nous le verrons, que le connaissement émis par le NVOCC affréteur au voyage, a bien valeur représentative des marchandises.

3. Quant à la valeur de contrat de transport du connaissement, l’auteur distingue à nouveau entre freight forwarders et carriers, concluant que les documents émis par les premiers ne sont pas des connaissements (nous partageons cet avis), et que les documents émis par les seconds peuvent toujours être qualifiés de connaissements, mais sous réserve du pouvoir de requalification judiciaire[15] (la formule est pour le moins paradoxale[16]). Sur ce dernier point en revanche, nous sommes partisans d’une solution radicale, qui nous semble en conformité avec la réalité : le NVOCC n’émet valablement aucun connaissement, sauf dans le cas où il est affréteur au voyage.

A l’issue de son analyse, l’auteur conclut que « le document remis par le NVOCC au chargeur peut être un connaissement lorsqu’il répond aux trois fonctions classiques qu’on lui attribue (…) Dans les autre cas, nous sommes en présence de documents de transport de NVOCC »[17]. Cette conclusion appelle deux observations.

La première partie de la conclusion est juste. Effectivement, le NVOCC qui remet un connaissement (en exécution d’une charte-partie au voyage) à son client, doit être qualifié de transporteur maritime. Cependant, au regard des options dont disposent les NVOCC quant aux modalités de leurs activités, ce cas de figure où le NVOCC émet un « vrai » connaissement est unique. Partant, il est gênant que cette hypothèse soit érigée en principe par M. MORINIÈRE alors que, manifestement, il ne s’agit que d’une exception ; sauf par ce dernier à démontrer, au moyen de statistiques réalisées sur ce point, qu’en pratique, les NVOCC recourent massivement à l’affrètement au voyage. Or, au contraire, faisant une évocation historique, il note que le transport s’est « dissocié petit à petit de l’affrètement » au profit du transport sous connaissement[18].

Notre seconde observation vise la seconde partie de la conclusion de l’auteur et ce qu’il désigne pudiquement ainsi : « document de transport de NVOCC ». Qu’est-ce, en réalité (hormis encore une fois le cas du NVOCC affréteur au voyage), sinon un contrat de commission de transport maritime ?

Au demeurant, l’ultime preuve que le NVOCC n’est pas, dans ce cas, un transporteur maritime, c’est qu’il est contraint d’en revenir au vrai connaissement, avec un vrai transporteur maritime. Selon nous, il convient de ne pas se laisser abuser par cette apparence terminologique trompeuse où celui qui ne transporte pas se qualifie néanmoins de carrier[19] ; au contraire, il convient, dans chaque cas, d’examiner les termes du contrat, de se prononcer sur la nature des obligations souscrites constitutives de la prestation caractéristique et partant, de qualifier (ou requalifier) exactement, rigoureusement, le contrat litigieux[20].

             

B. Le contrat de N.V.O.C.C., l’affrètement au voyage et le transport maritime

1245. NVOCC affréteur au voyage ayant émis un connaissement à son nom Ainsi que M. MORINIÈRE en a fait la démonstration[21], le NVOCC affréteur au voyage revêt la qualité de transporteur maritime, aux motifs que le fréteur ne délivre pas à ce dernier, un connaissement, mais une loading list (liste de chargement), et que de surcroît, le fréteur au voyage insère dans le container freight engagement conditions, une clause de non responsabilité (negligence clause) qui naturellement ne serait pas valable au regard du droit positif en matière de transport maritime[22], outre une deadfreight clause aux termes de laquelle la totalité du fret est due par l’affréteur, quand bien même tout l’espace réservé n’aurait pas été utilisé. En conséquence, le transporteur maritime apparaît comme étant l’affréteur, c’est-à-dire le NVOCC.

1246. Réserves Nous ferons cependant observer deux choses.

• Tout d’abord, en général, en matière d’affrètement au voyage, c’est le fréteur, investi des gestions nautique et commerciale du navire, qui émet le connaissement et endosse la qualité de transporteur maritime[23]. La pratique originale des NVOCC émettant des connaissements en application d’une charte-partie au voyage, nous laisse donc, quand même, dans une certaine perplexité. Mais l’on comprend que le fréteur ne souhaite pas apparaître comme transporteur maritime par l’émission d’un connaissement, pour des raisons tenant à l’engagement de sa responsabilité vis-à-vis du futur porteur du connaissement, qui constaterait, par exemple, des avaries, au port de destination. Tout dépendra alors du résultat de la négociation survenue entre le NVOCC et le fréteur.

• En second lieu, il est possible que le NVOCC affréteur ne remette pas de bill of lading à son client. En ce cas, le NVOCC (ès-qualité de commissionnaire de transport) demeure simplement garant du fréteur, dans la limite de la responsabilité de celui-ci. RODIÈRE, raisonnant sur l’hypothèse symétrique du commissionnaire (français) affrétant un navire au voyage, sans émettre de connaissement, considère que « le commissionnaire conserve cette qualité lorsqu’il a recours à l’affrètement de navire »[24].

En revanche, et c’est dans cette seule hypothèse que nous rejoignons M. MORINIÈRE, si le NVOCC affréteur au voyage émet un connaissement à son nom, qu’il remet à son client, alors seulement, il y a lieu de le qualifier de transporteur maritime. En d’autres termes, la seule circonstance que le NVOCC affrète un navire au voyage, est insuffisante à le qualifier de transporteur maritime. Il ne pourra être ainsi désigné, qu’à la double condition qu’il ait souscrit à une charte-partie au voyage avec le fréteur, puis qu’il ait remis à son client (chargeur) un bill of lading à son nom.


[1] Jean-Michel MORINIÈRE, Le transporteur maritime contractuel, Thèse, Nantes, 1997.

[2] Inversement, ces CFS sont utiles à la ventilation des cargaisons de conteneurs importées ; v. MORINIÈRE, Genèse et juridicité de l’acronyme NVOCC, A.D.M.O. tome XV, 1997, p. 319 à 329, spéc. 117 et 126.

[3] Idem, p. 321 et 322.

[4] Idem, p. 325.

[5] Idem, p. 326.

[6] Idem, p. 329.

[7] V. Lamy, Transport, tome 2, éd. 2002, n° 124, p. 89.

[8] MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, A.D.M.O. tome XVI, 1998, p. 109 à 174, spéc. p. 127.

[9] Mais alors, pourquoi les englober sous l’étiquette Non-Vessel-Operating Common Carrier ?

[10] Par opposition au NVOCC qui se dit transporteur.

[11] « Pour la livraison, s’adresser à… » ; Jean-Michel MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 125.

[12] « Pour la délivrance/livraison des marchandises, s’adresser à… ».

[13] « Agents à contacter à destination… ».

[14] Idem, n° 31, p. 23.

[15] MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 129.

[16] En effet, de deux choses l’une : soit la qualification est la bonne et il n’y a pas lieu de craindre une requalification judiciaire ou arbitrale ; soit on a conscience que la qualification est erronée et alors, effectivement, on pressent fortement la sanction de la requalification juridictionnelle.

[17] Idem.

[18] Idem, p. 141.

[19]         « Vous voyez qu’en ce fait la plus forte apparence

Peut jeter dans l’esprit une fausse créance. 

De cet exemple-ci ressouvenez-vous bien ;

Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. »

Sganarelle, (Sganarelle, scène XXIV), de MOLIÈRE (Œuvres, éd. Firmin-Didot et Cie, 1800, tome I, p. 207).

[20] Sur le pouvoir souverain des juges du fond, de requalification desdits opérateurs, v. Martine RÈMOND-GOUILLOUD, op. cit. n° 464, p. 301 ; et plus généralement, MALAURIE et AYNÈS, Droit civil, tome VIII, Les contrats spéciaux, Cujas 1995, n° 7, p. 16. Notons enfin que là où M. MORINIÈRE estime que « le juge peut rechercher la volonté réelle des parties » pour éventuellement requalifier un contrat (Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, op. cit. p. 129), nous prétendons de plus fort que le juge en a non seulement la faculté (sauf le juge des référés, juge de l’évidence, qui ne peut trancher une contestation sérieuse), mais encore le devoir ; car comment bien juger en matière contractuelle si, avant même d’examiner les termes du litige qui oppose les parties, l’on n’analyse pas d’abord l’étendue de leurs droits et obligations respectifs, tant au vu de l’instrumentum du contrat, qu’au regard d’indices relatifs à la manière dont cette convention a été exécutée en pratique ?                                                                                                                                                                                                                                                         

[21] M. MORINIÈRE, Les NVOCC, Du concept de transporteur maritime contractuel, A.D.M.O. tome XVI, 1998, p. 109 à 174, spéc. p. 118 s. et 138 s.

[22] Cet argument relatif à la negligence clause ne peut au mieux que constituer un indice puisque de toute manière, dans les rapports fréteur/affréteur, c’est cette stipulation qui prévaudra, dérogeant au caractère impératif du régime de responsabilité du transporteur.

[23] VIALARD, n° 422, p. 361.

[24] RODIÈRE, BT 1979, p. 322.

Le régime juridique des CAPITAINES de NAVIRES

 

Avertissements : 

Les développements qui suivent, issus de notre Thèse de Doctorat, sont ici reproduits avec une pensée particulière pour le Professeur Antoine VIALARD, qui fut notre Professeur de Droit maritime et Directeur de nos travaux de recherches à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.

– Les notes de bas de page sont regroupées à la fin du document.

 

246. Présentation du capitaine Le capitaine de navire est choisi par l’armateur (ce dernier pouvant être une société propriétaire du navire, ou bien un affréteur)[1]. Pour autant, le capitaine de navire ne doit pas être confondu avec le capitaine d’armement (ce dernier étant un « préposé terrestre de l’armateur chargé de pourvoir  aux besoins des capitaines de navires en fait d’équipage »[2]).

Le capitaine de navire (seul maître à bord après Dieu ! pour d’évidentes raisons liées à la permanence du péril marin et à l’isolement historiquement total, puis désormais seulement physique, du navire en cours de navigation) regroupe sur sa tête une multitude de fonctions, très diverses, que l’on classe traditionnellement en trois groupes : des fonctions techniques (conduite du navire et administration du navire), des fonctions commerciales (représentation contractuelle et représentation en justice[3]), et des fonctions publiques (officier d’état civil, notaire, autorités disciplinaire et pénale à son bord). Nous ne reviendrons pas sur les fonctions dites publiques pour lesquelles nous renvoyons aux études réalisées sur ces aspects[4].

 

246-1. Bref regard historique Avant le début des progrès de la communication à distance que l’on peut situer au début du XXème s., ainsi que nous l’avons suggéré, le navire, en mer, était totalement isolé ; et, au port de destination, le capitaine, ne pouvant s’entretenir avec l’armateur demeurant dans le pays du port de départ, était inévitablement conduit à prendre certaines initiatives qu’il estimait utiles, pour le compte de ce dernier. Ainsi, pouvait-il conclure des contrats avec des tiers, sa mission oscillant entre le mandat et la commission. En effet, à l’époque de GROU et WALSH[5], il n’était pas possible aux armateurs de chaperonner leurs capitaines, embarqués pour des mois, pour de lointaines destinations, à bord de magnifiques vaisseaux tels le Massiac, navire de la Compagnie des Indes dont la poupe était, pour l’anecdote, un émerveillement architectural et artistique.

Mais avec les progrès, outre le recul de la magnificence de certaines décorations architecturales navales, les fonctions commerciales du capitaine se sont sensiblement réduites, notamment grâce à l’installation dans les ports de destination, de représentants permanents de l’armateur (commis succursaliste[6] ou agent de l’armateur, ou encore société de ship-management[7]), ou simplement grâce au recours par ce dernier à un représentant occasionnel de ses intérêts (le consignataire du navire[8]). Nous verrons, dans le sens de cette évolution, certaines dispositions de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969. Cette évolution pratique est salutaire pour le capitaine, qui, jadis, devait supporter de très lourdes responsabilités liées à sa grande polyvalence.

En revanche, le nécessaire isolement physique de l’expédition maritime a suscité une particularité en matière de responsabilité du capitaine de navire, qui ne trouve aucun équivalent en droit terrestre, et qui, malgré les évolutions ci-avant évoquées, conserve, à ce jour, toute son actualité[9]. Il s’agit de la responsabilité personnelle du capitaine du navire, en cas de « faute nautique » de sa part, ayant mis en péril l’expédition maritime ; et le caractère personnel de cette faute et de cette responsabilité ne sont nullement remis en cause par la qualité juridique que peut, par ailleurs, revêtir ledit capitaine (préposé ou mandataire)[10].

 

247. Division Avant d’examiner en quelles circonstances le capitaine de navire est amené, notamment, à contracter pour le compte de l’armateur (paragraphe 2), il convient préalablement de définir la nature de ce personnage (préposé, mandataire ?) (paragraphe 1). Il nous faudra enfin brosser le portrait de son régime de responsabilité (paragraphe 3).

 

Paragraphe 1. Recherche de la nature de la fonction de capitaine de navire

 

248. Énoncé de la difficulté « Réduire le capitaine à la qualité de préposé faisait rugir CHAUVEAU, qui ne se résolvait pas à ramener au rang des domestiques de l’art. 1384, al. 5 C. civ. ce personnage doté d’un pouvoir autonome de commandement, de larges pouvoirs légaux de représentation et d’une très large indépendance du fait de son éloignement du port d’attache »[11]. Le débat est lancé !

  

249. Le capitaine est signataire d’un contrat de travail (« contrat d’engagement ») salarié Nonobstant la relative indépendance du capitaine évoquée supra, au sens des dispositions de l’art. 1384, al. 5 du Code civil[12], tout employé salarié, fût-il capitaine de navire, est en premier lieu préposé de son employeur ou commettant.

   

249-1. Détermination du commettant du capitaine Il peut paraître surprenant de prétendre rechercher le commettant. Cependant, la diversité des situations pratiques exige certaines précisions.

Si le commettant est le propriétaire du navire, il n’y a pas de difficulté, à moins que la même personne cumule la qualité de propriétaire et capitaine d’un même navire. Dans ce cas, par application des dispositions de l’art. 69, al. 3 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, il convient d’opérer une distinction suivant que, au moment du dommage, l’auteur du dommage agissait ès-qualité de capitaine ou ès-qualité d’armateur propriétaire[13].

Si le navire a été affrété au voyage (voyage charter), le fréteur conservant la gestion nautique et commerciale du navire (art. 7 du décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966 sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes), c’est lui qui sera le commettant du capitaine[14].

Si le navire est affrété à temps ordinaire (time charter), le fréteur ne conserve que la gestion nautique du navire (art. 20 du même décret), la gestion commerciale étant confiée à l’affréteur, qui pourra prendre la qualité de transporteur en émettant un connaissement. Pour la gestion nautique, le commettant du capitaine est donc le fréteur, et pour la gestion commerciale, le commettant est l’affréteur. Il faudra donc distinguer entre les fautes du capitaine survenues dans le cadre de la gestion nautique (par exemple échouage du navire), de celles survenues dans le cadre de la gestion commerciale (par exemple lors de l’émission d’un connaissement ne comportant pas toutes les mentions nécessaires)[15].

Mais les fautes nautiques du « capitaine, pilote ou autre préposé du transporteur » sont, en droit français (loi du 18 juin 1966, art. 27, al. 1, b), et dans le cadre de la Convention de Bruxelles (art. 4, § 2, a), exclusives de la responsabilité du transporteur, en ce qu’elles constituent un « cas excepté ».

Si l’affréteur sous-affrète le navire, le commettant du même capitaine, pour la gestion commerciale, sera le sous-affréteur[16].

Si le navire est affrété coque nue (bare boat charter), l’affréteur prend à sa charge la totalité de la gestion du navire (nautique et commerciale), et c’est donc lui qui sera le commettant du capitaine[17].

Enfin, il est un cas exceptionnel où le capitaine de navire aura pour commettant un autre capitaine de navire : à l’occasion d’un remorquage.

Lorsqu’il s’agit de remorquage portuaire, cette opération se réalise sous la direction du capitaine du navire remorqué (art. 26, al. 1 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes) : le capitaine du navire remorqué devient le commettant du capitaine du navire remorqueur ; et inversement, lors d’un remorquage hauturier (en haute mer), cette opération se réalise sous la direction du capitaine du navire remorqueur (art. 28, al. 1 de la même loi) : le capitaine du navire remorqueur devient le commettant du capitaine du navire remorqué[18].

    

249-2. Conséquences de la qualité de préposé du capitaine D’une part, le capitaine, ès-qualité de préposé, engage en principe la responsabilité de son commettant pour les fautes qu’il a commises dans l’exercice de ses fonctions[19] (art. 1384, al. 5, C. civ.).

Cependant, la portée de ce texte éminemment « terrestre » a été adaptée au monde de la mer, où l’on relève l’existence d’un usage ancestral de non-responsabilité de l’armateur pour les fautes nautiques commises par ses préposés[20]. Ainsi que nous l’avons dit, la faute nautique du capitaine ou d’un membre de l’équipage exonère l’armateur, mais aussi le transporteur (sauf dans le cadre de la Convention de Hambourg qui ne reprend pas ce « cas excepté »).

D’autre part, les qualités de gardien au sens de l’art. 1384, al. 1er, du Code civil (pouvoir, usage, direction et contrôle de la chose[21]) et de préposé (dépendance totale ou partielle) étant incompatibles[22], la Cour de cassation a admis l’application de cette incompatibilité au profit du capitaine de navire, qui, parce qu’il est préposé de son commettant, n’a pas la qualité de gardien du navire, et n’est pas responsable des dommages qui pourraient être causés par le fait du navire[23]. Enfin, depuis l’arrêt d’Assemblée Plénière du 25 février 2000, précité, il semble que, dès lors que le capitaine n’aura pas excédé les limites de la mission à lui assignée par l’armateur, sa responsabilité personnelle, même en cas de faute nautique, ne pourra nullement être recherchée[24].

De troisième part, si le capitaine, ès-qualité de préposé, cause un dommage à autrui (ou à un bien appartenant à autrui), mais en agissant en dehors de sa stricte mission contractuelle, il se place alors dans le champ de l’article 1382 du Code civil, le droit commun retrouvant son empire.

         

250. Le capitaine mandataire Le capitaine peut encore, à certains égards, être mandataire de l’armateur. Mais nous sommes à présent très loin des prérogatives quasi « ouvertes » d’il y a encore 150 ans.

–          L’art. 6 de la loi précitée du 3 janvier 1969 limite géographiquement les pouvoirs de représentation du capitaine. Il ne pourra éventuellement représenter l’armateur que « hors des lieux où l’armateur a son principal établissement ou succursale », mais encore, il ne pourra le représenter qu’aux fins de pourvoir « aux besoins normaux du navire et de l’expédition ». Voilà des dispositions qui limitent déjà sensiblement les pouvoirs de représentation du capitaine.

–          Pour tout autre représentation de l’armateur, le capitaine doit se prévaloir d’un « mandat exprès de l’armateur ou, en cas de communications impossibles avec lui, avec l’autorisation du tribunal compétent ou, à l’étranger, de l’autorité consulaire » (art. 7).

–          Enfin, « hors des lieux où l’armateur a son principal établissement ou une succursale, le capitaine peut, en cas d’urgence, prendre au nom de l’armateur toutes dispositions conservatoires des droits de l’armateur, des passagers et des chargeurs » (art. 8, al. 1) ; le capitaine est alors réputé avoir agi comme gérant d’affaires (art. 8, al. 2)[25].

Le mandant du capitaine est celui qui détient la gestion commerciale du navire[26].

   

251. Conclusion A l’issue de cet examen, il apparaît que le capitaine de navire est principalement un préposé, et accessoirement un mandataire de l’armateur, mais qu’il cumule, au moins potentiellement, les deux qualités[27].

         

Paragraphe 2. Fonctions du capitaine de navire contractant

 

252. Le capitaine de navire contractant Sur la forme, le capitaine de navire pourra représenter l’armateur dans la conclusion de contrats, dans toutes les limites qui viennent d’être rappelées en matière de mandat. Sur le fond, les contrats à conclure seront des contrats de remorquage, de manutention ou d’acconage, de pilotage ou de subrécargue[28] ; en cas d’urgence, ce pourra être par exemple un transbordement sur un autre navire et la conclusion d’un contrat de transport, pour sauver les marchandises qui étaient à bord d’un navire atteint d’une importante voie d’eau et menaçant de sombrer.

Dans ce dernier cas, « les marchandises sauvées ou sacrifiées contribuent (aux avaries communes) en proportion de leur valeur marchande réelle ou supposée au port de déchargement » (art. 31 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 préc.)[29]. Pour que les cocontractants de l’urgence bénéficient de ce privilège pour le paiement de leur prestation, « la jurisprudence exige que le contrat ait été conclu par le capitaine, hors du port d’attache et d’un port où l’armateur aurait un représentant à terre et dans les limites des pouvoirs légaux du capitaine »[30].

           

Paragraphe 3. Responsabilités du capitaine de navire

 

253. Diversité des responsabilités Outre ses responsabilités pénale et disciplinaire[31], le capitaine de navire engage sa(ses) responsabilité(s) civile(s)[32], contractuelle (A) et délictuelle (B).

 

A. Les responsabilités contractuelles du capitaine[33]

             

254. Le principe de la responsabilité pour faute prouvée du capitaine Conformément au principe de l’effet relatif, le capitaine de navire n’engage sa responsabilité contractuelle qu’à l’égard de son commettant ou de son mandant ; bref, à l’égard de toute personne de laquelle il tient, sur le fondement d’un contrat, certains pouvoirs, certaines obligations.

L’art. 5 de la loi du 3 janvier 1969 entérine une solution jurisprudentielle antérieure[34] en disposant que : « Le capitaine répond de toute faute commise dans l’exercice de ses fonctions ». En d’autres termes, sa responsabilité ne peut être engagée que pour faute prouvée : il n’est tenu que d’une obligation de moyens[35].

        

255. Distinction entre faute nautique et faute commerciale du capitaine L’intérêt de la qualification de la nature de la faute commise par le capitaine se manifeste à un double titre, ainsi que nous l’avons évoqué supra : d’une part, dans le cadre d’un affrètement à temps, les gestions nautique et commerciale du navire étant scindées en deux (la gestion nautique incombant au fréteur, la gestion commerciale relevant de l’affréteur), la qualification de la nature de la faute commise par le capitaine permettra de déterminer si la responsabilité engagée du fait du capitaine est celle du fréteur ou celle de l’affréteur ; d’autre part, la faute « nautique » du capitaine est un cas exonératoire de responsabilité pour le transporteur maritime en droit interne français ainsi que dans la Convention de Bruxelles (mais pas dans les Règles de Hambourg).

            

256. Qualification impérative et motivée D’où la nécessité de tracer une ligne de crête entre les deux catégories. Le caractère impérieux de la qualification de la faute en cause est particulièrement sensible pour les juges du fond (et tout autant pour les arbitres) ; la haute juridiction française a d’ailleurs sanctionné des magistrats qui certes avaient qualifié une faute de « nautique », « sans préciser en quoi la sécurité du navire s’en était trouvée compromise »[36].

         

257. La faute nautique dans la Convention de Bruxelles : évolution du critère de qualification La Convention de Bruxelles prévoyait, dès l’origine (1924), que « ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant : a) des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote, ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l’administration du navire » (art. 4, § 2, a)[37]. La version anglaise de la dernière partie de la formule[38] pose problème. Si l’on voit bien à quoi peut correspondre la faute dans la navigation, il est plus délicat (obscur ?) de déterminer ce qu’il faut entendre par management of the ship. Cette interrogation n’est pas le fruit des seuls juristes français. Les Anglais eux-mêmes sont « embarrassés »[39] à cet égard. CHAUVEAU avait proposé un critère de qualification permettant une meilleure appréhension de la faute nautique dans son ensemble, comprenant les deux aspects distincts de la notion : est nautique toute faute qui pourrait survenir en l’absence de cargaison à bord du navire[40]. Donc, outre les fautes de navigation au sens strict, on peut y ajouter les fautes concernant les agrès et apparaux, ainsi que, plus largement, la structure du navire, et tout ce qui s’y rattache. La jurisprudence n’a pas retenu directement ce critère. Dans son ensemble, elle a d’abord considéré comme faute nautique, toute faute de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime[41]. Dans l’hypothèse où une faute pourrait être à la fois commerciale (atteinte aux marchandises) et nautique (atteinte à la sécurité de l’expédition maritime), par exemple parce qu’un arrimage défectueux d’une marchandise altère celle-ci en se déplaçant, tout en provoquant une gîte dangereuse du navire, compte tenu du poids de cette marchandise, et perce la coque du navire, engendrant une voie d’eau (la marchandise était ici un camion)[42], c’est la qualification de faute nautique qui l’a emporté, au regard de l’impérieux maintien de la sécurité du navire lui-même.

En revanche, il a été jugé[43] que lorsque c’est une faute de manutention lors du déchargement du navire, qui est à l’origine de la perte d’une partie des marchandises (déchargement d’une remorque, provoquant le désarrimage des autres remorques et de leur chargement, ainsi qu’une gîte de 45° nécessitant le jet à la mer d’une partie des marchandises pour éviter de perdre le navire), le transporteur ne peut s’exonérer en invoquant une faute nautique au sens de l’art. 4, § 2 de la Convention de Bruxelles de 1924. Ainsi que l’a pertinemment observé M. BONASSIES, « il semble bien qu’après (cet arrêt) il faille refuser toute incidence (au) critère de sécurité. Peu importe que la faute commise par le capitaine ait ou non affecté la sécurité du navire. Le seul critère auquel on doive se référer est celui du but de l’opération fautive »[44]. Plusieurs décennies ont donc été nécessaires à la détermination, par la jurisprudence française, du critère le plus pertinent.

Peut-être aurait-il été souhaitable de s’intéresser plus tôt au droit comparé, d’examiner les différentes solutions proposées et d’étudier les effets potentiels de chacune d’elles. Ainsi, le droit américain (US) connaît cette solution depuis (au moins) 1905, date d’un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis[45] !

          

258. Absence de référence à la faute nautique dans la Convention de Hambourg La Convention de Hambourg rompt avec la tradition maritime que nous avons évoquée, en ne reprenant pas la faute nautique comme cause exonératoire de responsabilité pour le transporteur maritime (le texte met en revanche l’accent sur les incendies et les retards à la livraison). C’est là, une marque de modernité évidente, la tradition historique de la faute nautique du capitaine, ès-qualité de cas excepté de responsabilité du transporteur maritime, constituant désormais un anachronisme injuste… mais un anachronisme qui sert, désormais, les intérêts financiers des assureurs maritimes, qui verraient d’un très mauvais œil l’alourdissement de la responsabilité des transporteurs maritimes qu’ils sont censés assurer. S’opposent donc des intérêts purement juridiques (en faveur de la modernisation des règles de responsabilité du transporteur maritime[46]), à des intérêts strictement économiques (en faveur de l’immobilisme juridique du statut du transporteur maritime). Et, ainsi que l’observe le Professeur VIALARD, en l’état de l’opposition de ces groupes de pressions au rang desquels figurent, en bonne place, les assureurs londoniens (la Lloyd’s notamment), la France, même si ses juristes approuvent cette modernité insufflée par la Convention de Hambourg, ne peut, seule, ratifier ladite Convention, car alors, les transporteurs français se trouvant soumis à cette Convention, devraient répercuter cet alourdissement de responsabilité dans leurs tarifs (les taux du fret augmenteraient d’autant), tandis que les armateurs britanniques conserveraient leur régime actuel (Convention de Bruxelles) (et leurs taux de fret actuels) ; en conséquence, la loi de la concurrence détournerait les chargeurs des transporteurs maritimes français, au profit des transporteurs britanniques. La meilleure solution consisterait en une ratification concomitante de la Convention de Hambourg par la plupart des Etats européens, mais la pression exercée par les assureurs empêche, pour l’heure, ce dépoussiérage du droit conventionnel des transports maritimes.

L’art. 5, § 1 de la Convention de Hambourg prévoit que « le transporteur est responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les marchandises ainsi que du retard à la livraison, si l’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard a eu lieu pendant que les marchandises étaient sous sa garde au sens de l’art. 4, à moins qu’il ne prouve que lui-même, ses préposés ou mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées pour éviter l’événement et ses conséquences ». Outre la classique présomption de responsabilité du transporteur, le texte prévoit que ce dernier pourra se libérer en prouvant que lui et ses préposés ont été raisonnablement diligents pour éviter l’événement dommageable ou réduire les conséquences de celui-ci. Le texte ne distingue pas selon que le fait dommageable revêtirait un caractère strictement commercial, ou nautique. : ubi lex non distinguit… L’art. 5, § 1 des Règles de Hambourg aligne donc tacitement le régime des fautes nautiques sur celui des fautes commerciales (les rédacteurs du texte ne pouvant ignorer cette distinction).

Donc, dans le système des Règles de Hambourg, et sous réserve de leur applicabilité ès-qualité de lex contractus, le transporteur maritime est responsable de toutes ses fautes, fussent-elles nautiques ou commerciales, à moins qu’il ne prouve que lui-même, ses préposés ou mandataires ont pris toute mesure de nature à éviter le dommage ou les conséquences de celui-ci.

       

259. La faute nautique en droit interne français L’art. 27, b), de la loi du 18 juin 1966 dispose que : « Le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu’à la livraison, à moins qu’il ne prouve que ces pertes ou dommages proviennent : (…) b) des fautes nautiques du capitaine, du pilote ou d’autres préposés du transporteur (tels les manutentionnaires et acconiers) ».

Interprétant ces dispositions, la jurisprudence a retenu, dans son ensemble, que la faute nautique serait celle qui aura mis le navire en péril, c’est-à-dire qui aura compromis sa sécurité, et, a contrario, que la faute commerciale serait celle qui n’aura mis en péril que les marchandises (ce qui implique, a priori, qu’en cas de cumul, la faute nautique doive prévaloir sur la faute commerciale)[47]. Or, il a pu être constaté[48] que, récemment, la jurisprudence s’oriente plutôt vers la prévalence de la faute commerciale et, donc, de l’engagement de la responsabilité du transporteur.

Il a ainsi été jugé[49] qu’un capitaine de navire qui prend la mer malgré un avis de tempête engage la responsabilité du transporteur (ici : un fréteur ayant émis une charte-partie GENCON), lequel ne peut pas invoquer une faute nautique du précédent : il y a donc faute commerciale. Le Professeur TASSEL approuve cette solution, considérant que « la décision d’appareiller concerne l’expédition maritime et non le navire lui-même » ; qu’à la suite de M. BONASSIES, « la faute nautique pourrait voir son domaine limité aux fautes commises en mer » ; et que « l’état de la mer est pris en compte dans un cas exonératoire de responsabilité spécifique, celui des faits constituant un événement non imputable au transporteur »[50].

Néanmoins, nous critiquons cette solution, car c’est là, selon nous, aller directement à l’encontre des dispositions des art. 5 et 6 de la loi de 1966, qui étaient applicables en la cause. Les magistrats de Rouen ont ôté toute responsabilisé à un capitaine qui avait manifestement commis une faute grave, en discordance avec les techniques et conseils de navigation qui lui ont été prodigués pour l’obtention de son diplôme[51] ! Nous considérons qu’il s’agit plus d’une dérive jurisprudentielle que d’une « évolution ». Examinons les arguments de M. TASSEL.

1. « La décision d’appareiller concerne l’expédition maritime et non le navire lui-même ». Cette observation est exacte. Mais, en cas de tempête, avant de s’inquiéter pour les marchandises dont le sort est finalement accessoire, il convient au premier chef de s’intéresser à la sécurité du navire lui-même, dont le sort est pour le moins capital.

On pourra alors observer que l’arrêt Aude de 1991 a abandonné le critère de la sécurité du navire pour celui du but de l’opération fautive. Le fait de « prendre la mer » a-t-il un but nautique ou un but commercial ? M. TASSEL s’engouffre dans la réponse : « time is money »[52], plaidant pour le but essentiellement commercial. Cela est encore exact ; mais par extension, tout à un but commercial, y compris les fautes dont personne ne conteste le caractère « nautique », qui sont commises, finalement, elles aussi, dans un but commercial. Nous ne partageons pas le choix de cette extension en ce qui concerne la décision d’appareiller, qui, selon nous, constitue chronologiquement le début du périple marin… et du péril marin.

2. Le second argument de M. TASSEL est le suivant : à la suite de M. BONASSIES, « la faute nautique pourrait voir son domaine limité aux fautes commises en mer ». M. BONASSIES a écrit exactement ceci : « Si la jurisprudence nouvelle se confirme (l’arrêt Aude), la faute « nautique » verra son domaine limité pour l’essentiel aux fautes commises en mer »[53]. Les propos autorisés de M. BONASSIES ne nous paraissent pas exclure du champ des fautes nautiques, la décision d’appareiller. La formule de l’auteur conserve une certaine souplesse qui autorise certaines précisions. Nous pensons fermement, ainsi que nous l’avons déjà dit, que la décision d’appareiller, notamment au regard des conditions atmosphériques, marque l’entrée dans la phase maritime et donc nautique.

3. « L’état de la mer est pris en compte dans un cas exonératoire de responsabilité spécifique, celui des faits constituant un événement non imputable au transporteur ». Le dernier argument de M. TASSEL est exact en apparence, mais nous paraît également critiquable sur un point.

Le cas excepté de l’art. 27, d), de la loi de 1966 (« faits constituant un événement non imputable au transporteur ») recouvre certains cas exceptés de la Convention de Bruxelles [parmi lesquels, les périls de la mer : art. 4, § 2, d) de la Convention]. Or, il est constant en droit positif interne que, pour se prévaloir utilement de ce cas excepté, encore faut-il que la circonstance à l’origine du fait dommageable ait été imprévisible et irrésistible[54].

Dans ces conditions, comment affirmer que l’état de la mer et plus particulièrement la tempête préalablement annoncée par un avis spécial, était « pris en compte » dans le cas excepté de l’art. 27, d) de la loi (péril marin imprévisible et irrésistible) ?

           

259-1. Cas particulier de l’arrimage défectueux d’une marchandise L’art. 38 du décret du 31 décembre 1966[55], à l’instar de l’art. 3, § 2, de la Convention de Bruxelles (1924 et Visby)[56] (et contrairement à la Convention de Hambourg[57]), fait expressément obligation au transporteur de s’assurer personnellement de l’arrimage des marchandises. Un arrimage défaillant par le capitaine est donc réalisé « pour le compte du transporteur »[58]. En ce sens, et nous ne pouvons qu’approuver la jurisprudence française qui qualifie le plus souvent cette faute dans l’arrimage des marchandises, de « commerciale », par opposition à la faute « nautique »[59].

           

260. Conclusion sur le critère de distinction entre faute nautique et faute commerciale : la faute de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime Au vu de tout ce qui précède, le critère phare de la distinction entre faute nautique et faute commerciale pourrait bien être celui du but de l’opération fautive[60]. Mais, comme il peut parfois y avoir doute sur ce but, il nous paraît sage de nous en remettre au critère de la faute mettant en péril la sécurité du navire, qui, s’il n’est pas parfait, présente l’avantage d’être éminemment pratique ; et c’est d’ailleurs la position adoptée par le Professeur VIALARD : la faute nautique est celle qui est « de nature à compromettre la sécurité de l’expédition maritime tout entière »[61].

A cela, il faut ajouter que la Cour de cassation s’est prononcée en un sens proche (mais sa solution est plus complexe), au visa de l’art. 4, § 2, a), de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans un arrêt du 20 février 2001 : « en se déterminant ainsi, alors que le caractère nautique d’une opération n’entraînant pas nécessairement le caractère nautique de la faute commise au cours de cette opération, la Cour d’appel, qui n’a pas précisé en quoi la faute avait intéressé l’équilibre et la sécurité du navire et n’avait pas eu d’effet que sur la marchandise transportée (cargaison de sucre mouillée), n’a pas donné de base légale à sa décision »[62]. Ce qui est curieux, c’est la fin de la formule, qui semble signifier que c’est à partir de l’étendue des résultats de la faute qu’il faut qualifier cette faute (si la marchandise a seule subi un dommage, et non le navire, la faute ne pourrait être, ipso facto, que commerciale)[63]. Donc, pour la Cour de cassation, pour être nautique, la faute devrait être dommageable à la fois au navire et à la marchandise, ce qui revient à nier l’existence d’une faute nautique qui ne causerait de dommages qu’aux marchandises transportées. Cette solution a déjà commencé de recevoir application auprès des juridictions du fond[64].

          

261. Première conclusion : l’avenir incertain de la faute nautique Il n’est pas exclu que dans quelques décennies, il ne soit plus d’actualité de chercher à définir le ou les critères de la faute nautique car celle-ci pourrait disparaître en tant que cause d’exonération de responsabilité du transporteur maritime. Le Professeur MOLFESSIS relève ainsi notamment, que la jurisprudence de la Cour de cassation « semble guidée par le seul résultat à atteindre », le but de sa politique juridique étant de « restreindre singulièrement la faculté d’exonération du transporteur »[65]. Pour le reste, sous un titre évocateur, l’auteur envisage ce qui pourrait bien être le prélude du « Requiem pour la faute nautique »[66]. Et le Professeur TASSEL d’ajouter : « On s’accorde à admettre soit que la faute nautique doit disparaître en tant que cause d’exonération du transporteur maritime, soit qu’elle doit être contenue dans une interprétation des plus restrictives qui la cantonnerait à la conduite du navire à la mer [ce que les anglais nomment « error in navigation »] »[67].

           

262. Seconde conclusion : la mort de la faute nautique et l’avènement de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (art. 1384, al. 5, du Code civil) Mais, dès à présent, la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation en matière de responsabilité des préposés à l’égard des tiers [« n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant », Ass. Plén. 25 février 2000 (Costedoat), précité], n’est-elle pas de nature à protéger le capitaine de navire ès-qualité de préposé de l’armateur (son commettant) en cas de faute nautique commise dans l’exercice de sa mission ? Nous le pensons. En conséquence, grâce à la portée de l’arrêt précité de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, la faute nautique du capitaine, dès à présent, n’est plus de nature à exonérer l’armateur transporteur : au contraire, sa responsabilité, ès-qualité de commettant du capitaine, est définitivement engagée à l’égard de toute personne victime d’une mauvaise exécution du contrat de transport, et il ne dispose d’aucun recours contre le capitaine dès lors que cette faute nautique n’a pas excédé le cadre de sa mission.

L’article 1384, al. 5, du Code civil (nouvellement interprété) a tué la faute nautique !

 

 

B. La responsabilité délictuelle du capitaine

 

263. La responsabilité délictuelle du capitaine Conformément aux canons de la responsabilité civile délictuelle, la responsabilité du capitaine ne peut être engagée que s’il est prouvé une faute personnelle de sa part, un dommage (réserves, expertises…), et un lien de causalité entre les deux, et, pouvons-nous ajouter, pour un dommage ne résultant pas d’une inexécution de sa mission contractuelle[68].

 

 


[1] Art. 4 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes.

[2] CORNU, Vocabulaire juridique, V° Capitaine.

[3] Sur les spécificités du capitaine représentant l’armateur en justice, v. VEAUX, Capitaine, J.-Cl. Com. fasc. 1155 (éd. 1998), n° 65 et 66.

[4] VEAUX, n° 67 à 71 ; VIALARD, n° 199 et 200.

[5] Richissimes armateurs Nantais du début du XVIIIème s., la ville de Nantes étant alors, aux termes d’un mémoire de 1704, le port de l’Atlantique enregistrant le plus grand trafic commercial (et négrier…) : v. Armel de WISMES, Les ports de Bretagne au temps de la grande marine à voile, éd. J.-P. GYSS, 1998, p. 127, s.

[6] Art. 5 du décret n° 69-679 du 19 juin 1969 relatif à l’armement et aux ventes maritimes.

[7] VIALARD, n° 188.

[8] Art. 18 du même texte.

[9] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, Contrat de transport de marchandises, Responsabilité du transporteur, Régime interne : règles de fond, Juris-Classeur com. fasc. 1266 (éd. 1997), n° 16, § 2.

[10] Sur les qualités de préposé et mandataire, v. infra, n° 249-2 et 250 ; sur la faute nautique, v. infra, n° 255, s.

[11] VIALARD, n° 201.

[12] Comp. art. 1797 du même Code sur la responsabilité de l’entrepreneur « du fait des personnes qu’il emploie ».

[13] Art. 69, al. 3 de la loi : « Si le propriétaire du navire, l’affréteur, l’armateur ou l’armateur-gérant est le capitaine ou un membre de l’équipage, la disposition de l’alinéa précédent (faculté pour le capitaine et autres membres d’équipage, d’invoquer la limitation de responsabilité du propriétaire de navire même lorsqu’ils ont commis une faute personnelle) ne s’applique qu’aux fautes qu’il a commises dans l’exercice de ses fonctions de capitaine ou de membre de l’équipage ». A contrario, le propriétaire-capitaine ne peut pas invoquer la limitation de responsabilité du propriétaire de navire s’il a commis une faute en cette dernière qualité : VEAUX, préc. n° 14. Contra : une décision antérieure à la loi : Paris, 7 janvier 1956, DMF 1956, p. 220, note SAUVAGE.

[14] Solution acquise avant le décret : Cass. com. 6 juillet 1961, DMF 1961, p. 593, note RODIÈRE, et Bull. n° 316.

[15] Sur la distinction entre fautes nautiques et fautes commerciales, v. infra, n° 249-2 et 250.

[16] TC Seine, 4 juillet 1967, DMF 1968, p. 225.

[17] VEAUX, n° 15.

[18] VEAUX, n° 19, s.

[19] « N’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant » : Ass. Plén. 25 février 2000 (Costedoat),  D 2000, p. 673, note BRUN ; D 2000, somm. 467, obs. DELEBECQUE ; JCP 2000.II.10295, conclusions KESSOUS et note BILLIAU ; JCP 2000.I.241, n° 5, obs. VINEY ; RJDA 2000, p. 395, obs. DORLY ; RTDCiv. 2000, p. 582, obs. JOURDAIN ; Resp. civ. et ass. 2000, chron. n° 11, obs. GROUTEL ; Droit et patrimoine 2000, n° 82, p. 107, obs. CHABAS. V. aussi : R. KESSOUS et F. DESPORTES, Les responsabilités civile et pénale du préposé et l’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 février 2000, Rapport annuel de la Cour de cassation 2000, La documentation française, Paris, 2001, p. 257 à 275 ; P. BONASSIES, Le droit positif français en 2000, DMF hors série, mai 2001, n° 25, p. 34. Monsieur BONASSIES observe que « c’est une règle d’une extrême importance qui est affirmée : celle de l’immunité civile du préposé pour les fautes commises dans l’exercice de sa mission », solution qui ramène à la vie la thèse de Robert GARRON (La responsabilité personnelle du capitaine de navire, Aix-en-Provence, 1964) selon laquelle le capitaine ne devait engager sa responsabilité civile personnelle que « dans la mesure où il aura commis une faute caractérisée, une faute lourde, une faute détachable de son service » (thèse précitée, n° 76). V. enfin : Pierre BONASSIES, Aspects nouveaux de la responsabilité du capitaine, DMF 2002, p. 2, spécialement p. 7, s.

Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, soulignons que, antérieurement à l’arrêt Costedoat, le commettant dont la responsabilité civile avait été engagée en raison d’une faute imputable à son préposé, disposait, par principe, d’un droit de recours ou d’appel en garantie contre ce dernier, essentiellement pour des raisons de solvabilité au regard du tiers victime. Désormais, ce principe est renversé : aucun recours n’est possible contre le préposé (arrêt Costedoat), sauf si le préposé a commis une faute personnelle en dehors de ses fonctions (Civ. 2ème, 18 mai 2000, Bull. n° 84 ; JCP 2000.I.280, n° 19, obs. VINEY ; Gaz. Pal. 22 avril 2001, somm. obs. CHABAS).

[20] VEAUX, n° 11.

[21] Arrêt Franck : Chambres réunies, 2 décembre 1941, S 1941, p. 217, note H. MAZEAUD / JCP 1942.II.1766, note J. MIHURA.

[22] Ce principe, quoique de droit positif (v. récemment : Civ. 2ème, 1er avril 1998, RTDCiv. 1998, p. 914, obs. MESTRE), n’en est pas moins critiqué par une partie de la doctrine : M.-A. PÉANO, L’incompatibilité entre la qualité de gardien et celle de préposé, D 1991, chron. 5 ; A. VIALARD, op. cit. n° 218, p. 190 : « depuis les arrêts de l’Assemblée Plénière du 9 mai 1984 [époux Gabillet, Bull. n° 1 / D 1984, p. 525, concl. CABANNES, note CHABAS / JCP 1984.II.20255 (1ère espèce), note de JEAN de la BÂTIE / RTDCiv. 1984, p. 508, obs. HUET] reconnaissant dans l’enfant non discernant le gardien des choses qu’il utilise, le principe d’incompatibilité des fonctions de gardien et de préposé devient tout simplement grotesque et incohérent » ; en effet, en droit positif, l’enfant en bas-âge est gardien d’un bâtonnet de bois (jurisprudence confirmée plus récemment : Civ. 2ème, 24 mai 1991, Bull. n° 159), tandis que le capitaine de navire n’est pas gardien de son navire… Pareille solution ferait sûrement bondir CHAUVEAU, dont on connaît la position sur le statut du capitaine.

[23] Exemple : rupture d’une amarre lors d’une manœuvre d’accostage, blessant mortellement un officier du port, Rouen, 8 juillet 1966, DMF 1966, p. 741, note M. OSMONT.

[24] Par application de la jurisprudence nouvelle, le capitaine du navire de croisière Cristal Symphony  qui, en mai 2001, n’a pas respecté la vitesse maximale autorisée, a créé une grande vague qui a causé certains dommages matériels en s’écrasant contre, et parfois en submergeant, certaines rives et digues de la Garonne (notamment sur la commune de Saint-Louis de Montferrand), ne devrait pas engager sa responsabilité personnelle, si l’on considère qu’il a commis une faute dans l’exercice de sa mission. En dehors du cadre d’une faute nautique (comme le dépassement de la vitesse autorisée), il avait déjà été jugé qu’un capitaine n’est pas responsable du dommage causé (notamment à des automobilistes) par le déferlement d’une vague qui n’a pu être stoppé en raison d’une brèche existant dans la paroi d’une digue : Rouen, 24 novembre 1983, BT 1984, p. 373. Avec la jurisprudence nouvelle, la responsabilité du fait des choses (et spécialement du navire) engageant la responsabilité des armateurs se trouve renforcée, tandis que, corollairement, celle des capitaines se trouve allégée.

[25] Sur le régime de la gestion d’affaires (quasi-contrat), v. art. 1372 à 1375 du Code civil ; H., L., J. MAZEAUD, F. CHABAS et M. de JUGLART, n° 669, s. et les réf.

[26] VEAUX, n° 23, et les réf.

[27] En ce sens : VIALARD, n° 201, s.

[28] Nous reviendrons en temps utile sur chacun de tous ces contrats.

[29] Comp. De lege Rodia de Jactu, La loi de Rhodes sur le jet à la mer (d’après le Digeste de Justinien), trad. M. CHEVREAU, directeur du CESAM de Bordeaux (Comité d’Etudes et de Services des Assureurs Maritimes et Transports de France), novembre 1999.

[30] VEAUX, n° 64, et les réf.

[31] VEAUX, n° 50 à 53. Complétez avec la loi du 10 juillet 2000 (JO 11 juillet, D 2000, lég. 325 modifiant l’art. 121-3 du Code pénal, et dont les termes généraux, qui permettent une application aux capitaines de navires, allègent les conditions des délits non intentionnels. Add. les observations de Monsieur BONASSIES, in Le droit positif français en l’an 2000, DMF hors série n° 5, mai 2001, n° 7, p. 11 ; et, du même auteur : Aspects nouveaux de la responsabilité du capitaine, DMF 2002, p. 2, spécialement pp. 5 et 6. V. aussi : Jean-Paul DECLERCQ, A propos de poursuites suite à un abordage : la responsabilité pénale du capitaine, ADMO 1999, p. 57.

[32] BONASSIES, La responsabilité du capitaine, Annales IMTM 1991, p. 133 ; ODIER, Responsabilité du capitaine, ADMA, tome XII, 1993, p. 293.

[33] Le pluriel employé ici se justifie au regard des doubles compétences du capitaine : nautique et commerciale.

[34] Cass. com. 30 mars 1965, Bull. n° 240 ; DMF 1965, p. 480.

[35] VEAUX, n° 38 et 39.

[36] Cass. Com. 17 juillet 1980, Bull. n° 302 ; DMF 1981, p. 209, note ACHARD.

[37] Remarquons que la loi de 1966 globalise ces deux aspects sous la formule de : « faute nautique ».

[38] La version d’origine, anglaise, dispose ici : « in the navigation or in the management of the ship ».

[39] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, J.-Cl. Com. fasc. 1266 (éd. 1997), spéc. n° 18.

[40] CHAUVEAU, Droit maritime, Litec 1958, n° 808.

[41] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, n° 19, et les réf.

[42] Cass. com. 4 juillet 1972, Bull. n° 214 / DMF 1972, p. 717 / D 1973, p. 41, note RODIÈRE ; dans le même sens : Cass. com. 12 avril 1976, DMF 1976, p. 685.

[43] Cass. com. 26 février 1991, Aude, DMF 1991, p. 358 ; BTL 1991, p. 375, obs. CHAO ; DMF 1992, p. 158 à 162, n° 75, obs. BONASSIES.

[44] BONASSIES, obs. préc. spéc. p. 160.

[45] V. l’affaire du navire Germanic qui, en cours de déchargement, et alourdi par la glace, a sombré dans le port de Hambourg, citée par M. BONASSIES, préc. pp. 160 et 161. L’auteur indique même (p. 162), que cette solution somme toute raisonnable, figurait déjà dans un projet de loi présenté au Sénat américain dès 1892

[46] Le Professeur VIALARD nous fait observer que « la doctrine française travaille, depuis cinquante ans, à la suppression des cas exceptés, à commencer par la faute nautique, qui est devenue le symbole d’un système de responsabilité inique ». Dans le même sens, mais en termes moins percutants : v. VEAUX-FOURNERIE et VEAUX (fasc. 1266, préc. n° 26), qui considèrent « un peu anachronique » l’exonération du transporteur pour faute nautique de l’équipage.

[47] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, préc. n° 20, in fine.

[48] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, n° 26.

[49] Rouen, 13 juillet 1994, DMF 1995, p. 540, obs. Y. TASSEL.

[50] TASSEL, obs. préc. p. 546.

[51] Sur la formation et les différents degrés de compétence des capitaines de navires, v. A. VIALARD, n° 195.

M. RÈMOND-GOUILLOUD précise que lorsque la faute du capitaine « est grossière au point que ses compétences sont mises en cause, c’est le choix de son commettant qui est critiquable : la faute est alors justement requalifiée en faute commerciale : ainsi pour un défaut de surveillance au cours d’une relâche (Cass. com. 2 juin 1987, BT 1987, p. 414) » : op. cit. n° 582, p. 376. Cette solution mérite selon nous, d’être circonstanciée. En effet, bien des fautes de navigation pourraient, a posteriori, être qualifiées de grossières ou graves. Renverser la règle chaque fois de façon automatique (ou « juste »), chaque fois qu’un capitaine aura commis une telle faute reviendrait à vider le cas excepté de la faute nautique de l’essentiel de son intérêt. L’arrêt de la Cour de cassation, cité à titre d’illustration par l’auteur, peut relever de l’accident de parcours (il y en a eu d’autres…) et, à notre connaissance, la solution qu’il retient n’a jamais été reprise ultérieurement.

Aussi, pour nous, une telle solution (retour à la responsabilité du transporteur pour cause d’incompétence grave du capitaine) ne peut présenter un intérêt que si cette incompétence était soit connue du transporteur (mais se pose alors le problème de la preuve de cette connaissance), soit notoire [mais dans ce cas, outre le problème de preuve de cette notoriété, se posera la question de la cessation des fonctions du capitaine par application de certaines dispositions du Code disciplinaire et pénal de la navire marchande, de son contrat d’engagement, et de certaines dispositions du Code du travail maritime (art. 109 et titre V)].

[52] TASSEL, p. 547.

[53] BONASSIES, préc. DMF 1992, p. 162, 2ème §.

[54] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, fasc. 1266 préc. n° 30, et les références.

[55] « Nonobstant toute clause contraire, le transporteur procède de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde et au déchargement de la marchandise. Il doit à la marchandise les soins ordinaires conformément à la Convention des parties ou aux usages du port de chargement. »

[56] « Le transporteur, sous réserve des dispositions de l’art. 4, procédera de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l’arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées. »

[57] La Convention de Hambourg ne prévoit rien, expressément, sur la responsabilité née d’un mauvais arrimage des marchandises. On peut en revanche y voir une disposition tacite, par application des dispositions de l’art. 5, § 1, le transporteur étant responsable des marchandises, tant qu’elles sont sous sa garde.

[58] RODIÈRE, Affrètements et transports, n° 623 ; BONASSIES, DMF 1992, p. 162.

[59] VEAUX-FOURNERIE et VEAUX, préc. n° 21, et les réf. Pour d’autres applications, casuistiques, de la faute nautique, v. ces mêmes auteurs, n° 22 à 25 ; RÈMOND-GOUILLOUD, n° 583.

[60] Martine RÈMOND-GOUILLOUD estime, dans une formule prudente, que : « le critère de distinction semble devoir être tiré de l’objet (c’est-à-dire le but) de l’opération litigieuse » : op. cit. n° 582, p. 376.

[61] Antoine VIALARD, note sous Aix-en-Provence, 19 janvier 2001, DMF 2001, p. 820, spécialement p. 834.

[62] Cass. Com. 20 février 2001, DMF 2001, p. 919, obs. Nicolas MOLFESSIS. Comp. pour une solution proche : Cass. Com. 17 juillet 1980, DMF 1981, p. 209, note ACHARD ; BT 1980, p. 567.

[63] Nicolas MOLFESSIS, op. cit. spécialement, p. 922.

[64] Versailles, 12ème Chambre, section 2, 20 décembre 2001, DMF 2002, p. 251, obs. Yves TASSEL.

[65] Op. cit. p. 923.

[66] Nicolas MOLFESSIS, Requiem pour la faute nautique, in Études de droit maritime à l’aube du XXIème siècle, Mélanges offerts à Pierre BONASSIES, éd. Moreux 2001, p. 207 à 237.

[67] Yves TASSEL, op. cit. spécialement p. 259.

[68] Pour un défaut de lien de causalité : Cass. com. 26 février 1962, Bull. n° 124 ; DMF 1962, p. 341 ; sur l’ensemble de la question : VEAUX, n° 41 à 49.